Le grand retour de la stabilité financière
La faillite de SVB aux Etats-Unis et les turbulences autour de Credit Suisse en Europe ont brutalement remis au centre du jeu des banques centrales la nécessité de préserver la stabilité financière.
En quelques jours, le climat a changé dans la finance mondiale. La faillite, vendredi 10 mars 2023, de Silicon Valley Bank, a tout bouleversé. Cette banque régionale américaine, dont la capitalisation boursière fin février égalait encore celle de la Société Générale, était le partenaire financier incontournable des entreprises technologiques, et sa chute a affolé tout un écosystème.
Sur les marchés et dans la tête des investisseurs, cet événement est venu rappeler avec fracas que le système financier ne pouvait pas rester inerte face à la hausse de taux la plus rapide de l’histoire, couplée avec une inédite contraction des liquidités dans le bilan des banques. Sans oublier l’allègement de la réglementation encadrant les pratiques des banques régionales, tel que l’avait décidée l’administration Trump en 2018, avec l’aval de nombreux sénateurs démocrates.
Très vite, comme à la grande époque de la crise financière de 2008, la Fed, le Trésor et le Fonds de Garantie des Dépôts (FDIC) ont mis en place un barrage massif de liquidités pour éviter que l’érosion de la confiance n’entraîne par le fond l’ensemble du système financier. Comme à l’époque de la déconfiture de Bear Stearns en mars 2008, les géants bancaires ont été sollicités, les dix plus grandes institutions s’engageant à placer 30 milliards de dollars chez une autre banque fragilisée, First Republic Bank. Les marchés actions ont repris pied, l’incendie a été circonscrit.
Mais les marchés de taux, eux, ont acté un profond changement. En deux jours, le taux à deux ans des obligations d’état américaines a chuté de 100 points de base. Un record historique si l’on excepte la reprise de cotation en septembre 2001 après les attentats du 11 septembre, qui avaient conduit à suspendre les échanges. Et le 16 mars, la baisse hebdomadaire était encore de 75 points de base. Un gouffre.
Dans l’esprit de ces investisseurs, le choc d’une faillite bancaire fermait, pour les banques centrales, le chapitre de la quête effrénée et à tout prix de la stabilité des prix, et ouvrait celui de la recherche de stabilité financière, fût-ce au point de relancer les politiques non conventionnelles d’injections directes de liquidités dans le bilan des banques.
Quelques jours plus tard, l’Europe se trouvait touchée à son tour par les doutes au travers du Credit Suisse. L’institution de Zurich, plombée depuis 2020 par une succession de crises autour de son management avec le départ de plusieurs hauts dirigeants, et par plusieurs pertes financières importantes liées aux fonds Greensill puis au Family Office Archegos, reconnaissait le 14 mars des « inexactitudes comptables » dans ses rapports financiers des deux dernières années.
Le refus très sec de son premier actionnaire saoudien d’envisager de participer à une possible future augmentation de capital mettait le feu aux poudres. L’action s’effondrait et entraînait une violente correction de tout le secteur bancaire européen. Là aussi, comme outre-Atlantique, l’intervention de la banque centrale de référence, la BNS en l’occurrence, mettant en place un guichet de liquidités pour la banque, calma le jeu.
Les deux cas – SVB et Credit Suisse – sont de nature très différente : régulation, pratiques financières, typologie de clients et éventail de services, à première vue tout les distingue. Un point néanmoins les rapproche : leur impact sur le climat financier et sur le diagnostic réalisé par les banques centrales des deux côtés de l’Atlantique.
Après des mois de resserrement monétaire à marche forcée, la stabilité financière est revenue au centre du jeu des régulateurs et des banques centrales. Certes, l’inflation reste mentionnée dans les communiqués et les déclarations des comités de politique monétaire comme restant au-dessus des normes acceptables. Mais elle n’est plus « l’horizon indépassable » des grands argentiers.
Ainsi, de la dernière réunion de la BCE, le 16 mars, les taux ont été une nouvelle fois remontés de 50 points de base, comme annoncé. Mais en parallèle, Christine Lagarde a ouvert pour la première fois la possibilité d’une pause dans la hausse des taux, en raison de « l’extraordinaire incertitude » créée par les turbulences dans le système bancaire.
Une page se tourne donc. Et la violente progression du bilan de la Fed depuis le 10 mars, de quelque 300 milliards de dollars pour éteindre l’incendie, annulant en quatre jours la moitié de la baisse enregistrée depuis juin 2022, étaye cette conviction. SVB et Credit Suisse ont ouvert un nouveau chapitre sur les marchés et dans le système financier. Le vent n’a pas fini de souffler, mais l’environnement météorologique vient de basculer.
Wilfrid Galand est directeur stratégiste de Montpensier Finance
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