L'analyse de Michael Israel

Actifs « protégés », actifs « non protégés », une nouvelle source d’opportunité ?

Publié le 28 mai 2020 à 10h42

Michael Israel

Comme souvent dans les périodes de stress, les marchés passent de la « micro » à la « macro », pouvant créer un phénomène de dislocation entre le prix d’un actif à l’instant « t » et sa valeur intrinsèque. La stratégie qui consiste à sélectionner les « bons actifs » dans les « mauvaises cases » est alors fortement affectée à court terme, par construction.

Dans cette crise, au niveau « macro », les marchés se sont principalement polarisés sur le thème des actifs « protégés » versus « non protégés », considérant que ces derniers seraient de facto risqués. Ce raccourci, erroné dans bien des cas, a fabriqué la nouvelle « mauvaise case » et ouvre la voie à l’opportunité de pouvoir acheter des actifs de qualité avec une décote.

Certains actifs de qualité, mais considérés comme non protégés, deviennent très bon marché, tant en absolu, compte tenu de leur risque crédit intrinsèque, qu’en relatif, vis-à-vis des émetteurs bénéficiant réellement ou potentiellement d’une protection souveraine et dont les fondamentaux se sont dégradés et les rendements se sont compressés depuis l’intervention des banques centrales.

Le thème de la protection est aussi devenu dominant au sein du segment émergent. Les économies « administrées/banque centrale », telles que la Chine ou la Russie, sont beaucoup moins impactées que le reste des émergents « non administrés ». La nécessité d’analyser les données pays par pays, devises par devises, société par société, dans un univers aussi large et hétérogène que celui des émergents n’est certes pas compatible avec le temps court.

Ce nouveau thème accentue l’amalgame déjà existant entre les problèmes d’un pays au niveau de sa dette publique et la situation de ses entreprises. Un pays affichant un faible taux d’endettement au niveau souverain peut au contraire révéler un très fort niveau d’endettement de ses entreprises, comme c’est le cas de la Chine. C’est exactement la situation inverse pour l’Argentine et le Mexique, pour prendre des exemples d’actualité.

Si l’on s’intéresse aux obligations d’entreprises en devises fortes, il convient de rappeler que les entreprises des pays émergents sont entrées dans cette crise avec des niveaux d’endettement bien plus faibles que celles des pays développés et généralement bien préparées à la volatilité des devises locales. Le segment High Yield émergent est même moins endetté que l’Investment Grade européen.

Une société bien gérée, peu endettée, avec de la trésorerie, une activité long terme, une position concurrentielle solide, des marges confortables, capable de produire du free cash-flow sans retour à des volumes d’activités pré-crise, peu sensible à la volatilité des devises, avec des actionnaires solides et alignés avec ses créanciers, ne devrait pas avoir recours à une « protection », qu’elle soit à sa disposition ou pas. C’est d’ailleurs le cas de nombreuses sociétés qui, bien que dans la case « actifs protégés » n’ont pas recours à cette protection.

Ce sont les qualités des bilans des sociétés qui permettent de traverser un retournement du cycle. Lorsque les fondamentaux sont solides, les outils normaux (augmentations de capital, ventes d’actifs, restructurations amicales de la dette …) se déclenchent autant que nécessaire dès lors que l’activité est créatrice de valeur sur le long terme.

A ce jour, les sociétés « protégées » sont aussi celles dont le levier d’endettement croît à la fois par l’augmentation du numérateur (augmentation de la dette) et la baisse du dénominateur (baisse de l’EBITDA 2020 et peut être des suivants). De fait, le risque de liquidité est éliminé à court-terme, mais qu’en est-il du risque de solvabilité et de  haircut  ? Faire défaut pour des raisons de liquidité est généralement moins grave que pour des problèmes de solvabilité occasionnés par un excès d’endettement.

Si la dislocation est une opportunité, alors, il convient de comprendre les moteurs qui peuvent l’amener à se résorber. A ce sujet, il est possible d’être confiant, à la fois en absolu, en raison des niveaux de décote par rapport aux fondamentaux, qu’en « relatif », en comparant les couples risques/rendements entre les classes d’actifs. Dit autrement, aux prix actuels, les actifs « non protégés » offrent autant, sinon plus, de protection dans un scénario baissier et plus de gain potentiel dans des scénarios médians et positifs sur l’économie mondiale.

Protégées ou pas, les « bonnes sociétés », n’ont pas recours aux protections qui n’ont ainsi peut-être pas la valeur de discount qu’on leur donne. Une chose parait d’ores et déjà claire, les sociétés « non protégées » ne sont pas en train de s’endetter davantage (au numérateur) dans cette crise.

Michael Israel

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