En matière de transition énergétique, l’Europe a besoin d’incitations
Si l’Europe reste fidèle à la politique de la contrainte pour mener sa politique de transition énergétique, le terrain semble bien plus sensible aux incitations positives… Dans ce contexte, quelle stratégie choisir ?
Alors que l’Europe choisit une politique centrée sur des taxes exceptionnelles, une réforme du marché de l’électricité et une approche centrée sur un système de plafonnement et d’échange des émissions pour les pollueurs, les États-Unis font le choix d’accompagner leur loi sur la réduction de l'inflation de 2022 d’une grande quantité de subventions et de crédits d'impôt couvrant énergies renouvelable, énergies alternatives et véhicules électriques.
De ce fait, le climat d'investissement sur les solutions vertes semble toujours plus clément outre-Atlantique, et ce malgré les efforts déployés par l'Europe pour se sevrer du gaz russe, réduire sa consommation de gaz, et augmenter à 40 % la part d’énergies renouvelables dans son mix énergétique, nettement mieux que les 22 % américains.
Il faut dire qu’aux États-Unis, la carotte est reine. C’est en tout cas ce qu’a observé le fabricant de batteries automobiles norvégien Freyr, dont la construction depuis 2022 de son usine américaine tourne à plein régime, pour une valeur nette (VAN) de 8 milliards de dollars, dont 2,5 milliards attribuables aux subventions de l'IRA. En comparaison, la construction de son usine norvégienne débutée en 2021 se poursuit timidement, toujours dans l'attente d'une réponse de l'IRA norvégienne.
Même histoire pour Linde, plus grande entreprise de gaz industriels au monde, qui gère un pipeline d'investissement de 50 milliards de dollars lié aux plans de décarbonation de ses clients, dont 30 milliards pour les seuls projets américains. Un déséquilibre encore une fois motivé par la forte incitation des États-Unis à la production d'hydrogène vert et à la conversion d’hydrogène en carburants alternatifs.
Disparités géographiques
Pour ne rien arranger, les prévisions de Bloomberg New Energy Finance pour 2024 pour l’installation d’éoliennes terrestres en Allemagne, en France, en Espagne et au Royaume-Uni ont été collectivement révisées à la baisse de 10 % cette année, quand elles ont été revues à la hausse de 30 % pour les États-Unis et 8 % pour Chine sur la même période.
Pourquoi un tel écart ? Pour le PDG de Vestas, plus grand fabricant d'éoliennes au monde, c’est l’octroi de permis qui est en cause. Selon le rapport fédéral allemand qu’il cite, seule la moitié de la superficie nécessaire pour atteindre les objectifs de l'Allemagne en matière d'énergie renouvelable à l'horizon 2030 a été allouée. Il faut dire que le délai moyen d'approbation est long, jusqu’à 27 mois dans certains états.
Orsted en fait également les frais pour ses éoliennes offshore. Aux Royaume-Uni, l’entreprise réclame un meilleur soutien du gouvernement britannique pour compenser l'inflation de la chaîne d'approvisionnement, alors qu’au même moment, aux États-Unis, le débat porte sur la conservation de certains crédits d'impôt. Si ce dernier s'est résolu rapidement en faveur d'Orsted, le débat au Royaume-Uni, lui, continue.
Et les chiffres soutiennent ces observations. Parmi les 200 entreprises que nous suivons à l’échelle mondiale et considérons comme des fournisseurs significatifs de solutions climatiques, le PER attendu en 2024 pour les acteurs américains est de 21, et de 17 pour les européens. Une différence, certes, moindre que sur leurs indices de références, (PER à 13 pour le Stoxx 600, contre 20,6 pour le S&P 500) car les moteurs de croissance sont similaires pour les deux marchés, mais qui montre que les investisseurs semblent plus à même de payer la croissance des entreprises américaines plutôt qu’européennes. Sur 3 ans, l'action américaine médiane de notre univers d'investissement est plus chère, et progresse de 14,6 %, contre 9,8 % pour l’européenne.
Des incitations nécessaires pour avancer
Il est possible que l'Europe puisse rétablir l'équilibre grâce à sa loi « Net Zero Industry Act », qui fait actuellement l'objet de négociations. La proposition est de grande envergure et vise à simplifier les réglementations, à développer la fabrication de technologies et à accroître la compétitivité et la résilience de l'industrie net zéro. Tous ces objectifs sont louables, mais les réactions de l’industrie étaient mitigées quant à la portée et à l'ambition de la loi. Si l'on se fie au succès des États-Unis, le rythme, la simplicité et le maintien de nombreux crédits d'impôt pendant dix ans sont essentiels pour créer un environnement d'investissement attrayant.
Nous estimons donc qu’à ce titre, l'Europe a besoin d’incitations, que ce soit sous la forme d'une simplification radicale de l'octroi des permis, de subventions plus fortes ou, plus vraisemblablement, d'une combinaison des deux.[i]
Cours des actions et évaluations au 13/07/2023