Investisseurs : même pas (small) caps !

Publié le 10 avril 2024 à 17h12

Isabelle de Gavoty    Temps de lecture 6 minutes

La sous-performance des petites et moyennes capitalisations (small & mid caps) depuis plusieurs mois prend des airs de phénomène de fond, alimenté par des facteurs cohérents, dont la hausse des taux formait la trame.

En schématisant à l’extrême, cette tendance provient de la vente des plus petites valeurs par les investisseurs voulant exposer, notamment, leurs portefeuilles aux perspectives de croissance très soutenue de l’Intelligence Artificielle (IA).

Il ne se trouve en effet plus une entreprise, une université, une organisation plus ou moins étatique qui ne valide désormais le lancement de projets de recherche ou de développement d’envergure sans y avoir intégré une composante assise sur l’IA. Or, il faut pour cela accéder, par exemple, aux produits de Nvidia… si ce dernier daigne vous les fournir sous des délais raisonnables et à des prix décents. Chacun aura compris que jamais perspectives de développement d’une industrie n’avaient paru plus limpides, et cette fois sans les hypothèses audacieuses que les marchés avaient prises au début des années 2000 pour modéliser le cours des valeurs dites internet.

Conclusion ? Aucun investisseur actions n’ose se passer d’actions Nvidia. Et comme nous nous trouvons dans une période où la création monétaire tous azimuts paraît révolue, il faut bien trouver de quoi financer le renforcement sur Nvidia ou toute autre entreprise à peu près équivalente à forte capitalisation (large caps). Dans ce contexte, alléger les smalls & mid caps constitue une option d’autant plus rationnelle que la hausse des taux pénalise ces valeurs souvent perçues comme offrant le moyen de miser sur la croissance ou sur la consolidation. Par ailleurs, rappelons que les années 1970 avaient montré que la capacité d’une entreprise à préserver voire accroître ses marges en période inflationniste dépendait très largement de sa taille : les plus gros acteurs surperformaient leurs pairs plus petits, avec quelques exceptions. Enfin dans certains secteurs, les niveaux d’endettement relatifs ne jouent pas en faveur des petites sociétés, plus endettées en moyenne que les plus grandes de leurs concurrentes. La divergence induite par ce comportement – vente de small & mid caps pour financer l’achat de large caps – ne surprendra donc pas. Elle s’auto-alimente.

La question porte alors sur ce qui pourrait la freiner. Pas besoin de recourir à des prévisions sophistiquées : c’est l’évolution des taux, non les niveaux qu’ils ont atteints, qui procure la clef de voûte évidente de l’éventuel retour en grâce des small & mid caps. Toutefois, il convient de distinguer deux situations : l’une en Europe, l’autre en Amérique du Nord. 

Bien que partageant de nombreuses caractéristiques, les petites et moyennes capitalisations ont des dynamiques de valorisation qui ne se fondent pas sur les mêmes sous-jacents selon que nous parlons d’Europe ou d’Amérique du Nord. 

Small & mid caps européennes : jouer la baisse des taux

Pendant longtemps, les small & mid caps européennes avaient permis de jouer des tendances somme toute très domestiques, mais la mondialisation y avait mis fin : peu à peu, ce segment du marché a endossé la fonction de vecteur d’exposition à la croissance mondiale, tout en ajoutant une composante d’innovation qui faisait défaut aux larges caps.

C’est donc sans surprise que la hausse des taux a pénalisé ces valeurs, jusqu’à ce que leurs multiples de valorisation indiquent des décotes record, et que nous ne comprenons tout simplement plus.

Le MSCI Europe small caps a un P/E21 actuellement de 11,6x22 sous sa médiane sur vingt ans, de 14,6x22, quand celui du MSCI Europe, à 12,3x22, se situe légèrement en dessous de cette médiane, à 12,9x22.

Small & mid caps US : jouer la croissance US

Vu des États-Unis, le monde développé se limite parfois… aux États-Unis. Cela en tous cas, se retrouve un peu dans les small & mid caps locales, qui pour l’essentiel, représentent des valeurs domestiques dans d’importantes proportions. Autre différence avec les small & mid caps européennes, celles d’Amérique du Nord ne reposent pas sur l’innovation voire la disruption. Elles permettent plutôt de s’exposer à des croissances assez stables, fondées sur l’expansion d’un modèle opérationnel de qualité que le management déploie peu à peu sur l’ensemble des états américains.

Le MSCI US small Cap a un P/E actuellement de 16,2x23 sous sa médiane sur vingt ans, de 19,1x23, quand celui du MSCI US, à 19x23, se situe très au-dessus de sa propre médiane, à 15,4x23. 

Tous les chemins mènent aux small & mid caps

Si les taux ont bel et bien atteint un plateau, alors les small & mid caps européennes ressemblent à une opportunité. Si la croissance nord-américaine se comporte comme nous l’attendons depuis plus d’un an, c’est-à-dire bien mieux que le marché ne le croit, alors les small & mid caps nord-américaines ressemblent aussi à une opportunité. Et si, comme nous croyons le percevoir, les taux baissent un peu et que la croissance US tient bon, alors, ce sont toutes les small & mid caps qu’il faudra reconsidérer. En un sens, il faut même voir au-delà du contexte macroéconomique pour parvenir – une fois de plus – à la même conclusion sur ce segment du marché, notamment sa partie européenne : la quête d’exposition à des valeurs à même de bénéficier de ruptures technologiques comporte trop de risques si elle ne se matérialise qu’à travers le portage de quelques large caps seulement. Cela comporterait trop de risques à la moindre déception sur Nvidia par exemple, tandis que le potentiel d’appréciation le plus élevé se situe forcément chez de plus petites entreprises.

Autre écueil à éviter : opposer systématiquement les larges caps aux small & mid caps. Les secondes permettent de compléter les premières, pour accroître la probabilité qu’un portefeuille donné profite des perspectives de croissance qu’offre la révolution de l’IA et de ce qu’elle induit pour de nombreuses industries. Au vu des niveaux de valorisation désormais atteints, le moment nous paraît particulièrement propice pour revenir sur ces valeurs. Les marchés les ont délaissées pour des raisons rationnelles, mais dépendantes de circonstances qui s’atténuent voire disparaissent.

L’histoire des marchés a plusieurs fois cruellement rappelé que les changements apparents de paradigme ne laissent, quelques années après leur invalidation, que le souvenir de simples anomalies. La valorisation actuelle des small & mid caps semble relever de cette catégorie.

Isabelle de Gavoty Directrice des gestions thématiques ,  Mirova

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