ISR : attention au piège de la pensée unique !
En matière d’ISR, l’environnement réglementaire affiche en quelque sorte les défauts de ses qualités ! Par ses aspects normatifs et quantitatifs stricts, il contribue à une forme de pensée unique. Les méthodes best in class et best in universe sont devenues incontournables et exclusives − comme la seule voie à suivre pour les gestionnaires d’actifs.
L’essor et la « démocratisation » de l’investissement responsable depuis près de deux décennies doivent naturellement beaucoup aux dispositions réglementaires. L’instauration de repères communs s’imposant à l’industrie de la gestion d’actifs a permis d’établir un cadre méthodologique, de faciliter la transparence des informations aux investisseurs et de flécher l’investissement vers des produits aisément identifiables, via leur certification sous l’impulsion du Ministère de l’Economie et des Finances. Ainsi, plus de 700 fonds (OPCVM, SCPI et OPCI pour l’essentiel) ont reçu le Label ISR depuis sa création en 2016, représentant près de 600 milliards d’euros d’actifs. En somme, un véritable référentiel de produits d’investissement responsable est né.
Pour autant, qu’il s’agisse du Label ISR, de la Doctrine AMF (2020-03) ou de la directive européenne SFDR*, l’environnement réglementaire affiche aussi, en quelque sorte, les défauts de ses qualités.
Par ses aspects normatifs et quantitatifs stricts, il contribue à une forme de pensée unique quant à l’analyse extra-financière. Car derrière les dispositions du régulateur, c’est une standardisation à grande échelle que nous observons, le souci d’unicité ayant gommé la réalité multiple des approches ISR et ESG : les méthodes best in class et best in universe sont devenues incontournables et exclusives − comme la seule voie à suivre pour les gestionnaires d’actifs.
« L’extra-financier est proche des sciences humaines, la donnée qualitative a du sens »
Or, cela peut générer des biais de pondération et de concentration au sein des portefeuilles, puisque la classification et la sélectivité quantitatives qui guident ces approches favorisent un spectre réduit de titres éligibles. Nous constatons une convergence significative d’un gérant d’actifs à l’autre, vers l’exploitation des mêmes bases de données extra-financières et vers la sélection des mêmes valeurs de la cote, identifiées comme étant best in. Cet aspect entraîne des distorsions par les « flux », but affiché de la finance responsable dans une certaine mesure, mais qui finit par altérer la qualité de la diversification des portefeuilles ISR, donc leur profil de risque. Le segment des petites et moyennes capitalisations, par exemple, est mécaniquement sous-exploré par l’investissement socialement responsable en raison de données ESG insuffisantes, faute de moyens. L’analyse de ces sociétés demanderait une approche « sur mesure » rendue difficile par la nécessité de noter l’univers d’investissement.
Dans bien des domaines, l’intégration des critères extra-financiers repose nécessairement sur des critères qualitatifs appelant à la sensibilité et à la subjectivité humaines. Dès lors, la normalisation par des classifications quantitatives, remède au green washing, paraît parfois décalée alors qu’en matière financière le régulateur n’a jamais imposé de « taux de sélectivité » reposant sur tel ou tel critère de valorisation.
Gageons qu’après une phase nécessaire de structuration régulatoire, les autorités de place accorderont une plus grande marge de manœuvre aux analystes et gérants de portefeuille. Il est tout à fait possible de voir germer une diversité de fonds ISR sur le terreau commun d’exigence réglementaire forte et de méthodologies claires. L’investissement responsable est aujourd’hui un champ d’action pluriel. Le label ISR en France joue un rôle essentiel en crédibilisant la démarche des sociétés de gestion, mais il n’est qu’une brique dans la construction d’une finance responsable.
Le plébiscite des fonds thématiques et fonds à impact, qui investissent dans les sociétés apportant des solutions au développement durable, s’explique par la simplicité de cette démarche comparativement à l’approche ESG capturant l’empreinte des sociétés. Les fonds climat, construits à partir des trajectoires carbone des sociétés, semblent également adresser une demande forte. Enfin, la démarche d’engagement est stratégique et créatrice de valeur, essentielle pour accompagner les plus petites sociétés sur la voie d’une progression extra-financière. Pourquoi pas, demain, un plus grand choix de labels en ligne avec ces approches ?
Gageons qu’après une phase nécessaire de structuration régulatoire, les autorités de place accorderont une plus grande marge de manœuvre aux analystes et gérants de portefeuille. Il est tout à fait possible de voir germer une diversité de fonds ISR sur le terreau commun d’exigence réglementaire forte et de méthodologies claires. L’investissement responsable est aujourd’hui un champ d’action pluriel. Le label ISR en France joue un rôle essentiel en crédibilisant la démarche des sociétés de gestion, mais il n’est qu’une brique dans la construction d’une finance responsable.
Le plébiscite des fonds thématiques et fonds à impact, qui investissent dans les sociétés apportant des solutions au développement durable, s’explique par la simplicité de cette démarche comparativement à l’approche ESG capturant l’empreinte des sociétés. Les fonds climat, construits à partir des trajectoires carbone des sociétés, semblent également adresser une demande forte. Enfin, la démarche d’engagement est stratégique et créatrice de valeur, essentielle pour accompagner les plus petites sociétés sur la voie d’une progression extra-financière. Pourquoi pas, demain, un plus grand choix de labels en ligne avec ces approches ?
*SFDR : règlement européen (UE) 2019/2088, dit « Sustainable Finance Disclosure Regulation » (SFDR), entré en application le 10 mars 2021
Hortense Lacroix est responsable ISR et gérante du fonds Pluvalca Sustainable Opportunities chez Financière Arbevel