L'analyse de Mirela Agache Durand
La crise actuelle est une opportunité unique : permettre aux épargnants de redonner « de la réalité » à leurs investissements
Le choc du coronavirus a rendu encore plus urgente, la nécessité de réorienter une part de l’épargne vers l’investissement productif, c’est-à-dire un investissement engagé à long terme, en soutien du tissu économique, loin des pratiques court-termistes qui ont trop souvent caractérisé le capitalisme financier ces quarante dernières années. L’utilité de ces capitaux est flagrante à l’heure d’un plan de relance économique en Europe : participer à la sauvegarde du tissu économique, de l’emploi créé par les entreprises et accompagner durablement celles-ci dans leur transformation.
Singulière par sa puissance et dans ses proportions, la crise sanitaire et économique que nous traversons est l’opportunité, tout aussi singulière, d’interroger le sens que nous, professionnels de la gestion d’actifs, investisseurs institutionnels et épargnants, souhaitons redonner à l’investissement. D’une crise à l’autre, des subprimes en 2008 au coronavirus en 2020, l’équation s’est complexifiée en une décennie : taux d’intérêt durablement bas synonymes d’érosion inexorable des rendements, enjeu du financement des retraites à l’aune du vieillissement de la population, défi de la cartographie des risques pouvant altérer l’allocation d’actifs. A ce propos, la nature des risques a évolué et s’est diversifiée entre recrudescence des pics de volatilité, séquences de raréfaction de la liquidité de marché ou encore, menaces relatives aux chocs exogènes comme pourraient l’être de plus en plus fréquemment catastrophes environnementales et sanitaires.
La responsabilité de l’industrie de la gestion d’actifs est sans doute de remobiliser certains des fondamentaux constitutifs de notre métier : d’une part identifier, mesurer et assumer les prises de risque adéquates pour les convertir en rendements. D’autre part, fédérer les investisseurs et faire preuve d’engagement commun pour participer au financement de l’économie « réelle ». Autrement dit, investir dans les entreprises pour les accompagner dans leurs cycles de vie, face à leurs challenges et dans leur transformation. Le choc du coronavirus a naturellement rendu encore plus urgente la nécessité de réorienter une part de l’épargne vers l’investissement productif, qu’il s’agisse de prises de participation cotées en bourse ou non. L’utilité de ces capitaux semble flagrante à l’heure d’un grand plan de relance économique imaginé en Europe et dont le « Green Deal » (Pacte vert européen) serait la pierre angulaire !
Un rôle partenarial, pour un investissement utile
Un tel soutien de la part des investisseurs, qu’il faut voir comme partenarial, participerait à la sauvegarde du tissu économique et de l’emploi créé par les entreprises. Il permettrait aussi à ces dernières de se projeter plus facilement vers ce que pourrait être le paysage socioéconomique « post covid-19 ». Ce dernier sera assurément marqué par l’accélération de la triple transition déjà en cours, entre révolutions numérique, énergétique et démographique. Mais aussi, probablement, par une reterritorialisation à l’échelle régionale de certaines activités pour une moindre dépendance vis-à-vis des importations, par une redéfinition de la mobilité quotidienne de la main d’œuvre, du télétravail et des espaces de travail et, enfin, par l’évolution de secteurs entiers, à l’instar de la santé, sous l’égide d’intérêts de souveraineté nationale.
Ce « contrat » entre investisseurs et entreprises implique de privilégier des rendements durables et responsables plutôt qu’immédiats, permettant un partage plus juste des richesses. La démarche s’impose d’autant plus qu’elle adresse précisément la question de l’épargne longue. L’évolution démographique favorable à une espérance de vie plus grande et au vieillissement de la population, dont découle la question structurelle du financement des retraites, interroge forcément la structure de l’épargne des particuliers et la nature des actifs en portefeuille : est-il encore raisonnable pour les investisseurs privés de dé-risquer l’intégralité de leur allocation d’actifs ? De détenir autant d’épargne en sommeil, sclérosée par des taux d’intérêt au plancher ? Quand, désormais, l’espérance de vie avoisine 20 à 25 ans après la cessation d’activité professionnelle et qu’il faut financer sa retraite ? Oser investir comporte une part de risque, mais c’est sans nul doute l’option la plus crédible pour se constituer et valoriser durablement un capital.
Enfin, d’un point de vue pratique, le « fléchage » des capitaux vers l’investissement utile peut tout à fait s’appuyer sur l’amélioration de dispositifs et véhicules existants qui ont déjà fait leurs preuves. Dans le cadre de la Loi Pacte, le « nouveau PER » ou l’éligibilité élargie des fonds non cotés au sein des assurances-vie en unités de compte en sont des illustrations. Citons également les plans d’épargne d’entreprise qui intègrent de plus en plus systématiquement les fonds ISR parmi leur offre d’investissement ou les FCPI, permettant d’investir dans les PME innovantes. Soyons audacieux, redonnons ses lettres de noblesse à l’investissement !