La crise récente des fonds de pension britanniques

Publié le 23 novembre 2022 à 15h54

Raphaël Konan    Temps de lecture 4 minutes

Le contexte macroéconomique des taux bas a considérablement réduit le rendement des produits d’épargne retraite au cours de la dernière décennie. Cette situation délicate pour les assureurs, en particulier pour les fonds de pension à prestations définies, a incité les fonds de pension britanniques à investir massivement dans des produits financiers de type LDI (Liability-Driven Investments).

 Les LDI regroupent des stratégies telles que les swaps de taux et les repo (sale and repurchase agreements) indexées aux obligations souveraines. Récemment, ces produits ont été au cœur d’une crise qui a ébranlé le système financier britannique. En effet, le 23 septembre dernier, M. Kwasi Kwarteng alors ministre des Finances, a annoncé une série de mesures économiques au titre desquelles d’importantes baisses d’impôts. Face à la perspective d’un déficit budgétaire (estimé à 45 Mds de livres sterling) et en l’absence de mesures tangibles pour le financer, les investisseurs ont craint un dérapage de la dette souveraine : d’où, une hausse subite des rendements des gilts (obligations souveraines britanniques). Le rendement des gilts à 30 ans s’est par exemple envolé à plus de 5%, battant ainsi un record vieux de 20 ans ! Cette hausse soudaine des taux a dégradé du jour au lendemain la valeur des portefeuilles de LDI détenus par les fonds de pension. En effet, lorsqu’ils souscrivent des swaps de taux dans le cadre des LDI, les fonds de pension sécurisent la réception d’un taux fixe qu’ils utilisent ensuite pour honorer des engagements pris vis-à-vis des assurés (taux servis, rentes,...). En échange, ils versent aux asset managers un taux variable soumis aux aléas du marché. Si les taux baissent, alors les fonds reçoivent plus de revenus qu’ils n’en paient. Dans le cas contraire, ces LDI leur deviennent défavorables.

De même, les fonds en quête de liquidités et souscrivant des repo cèdent une partie de leurs titres aux asset managers tout en s’engageant à les racheter à un prix et un terme définis à l’avance. Ces fonds perdent alors tout droit de propriété sur les titres cédés, jusqu’au terme du repo. Au cours de la vie des LDI (swaps, repo, etc), lorsque les taux montent et que la valeur des LDI se détériore, les asset managers exigent des fonds qu’ils leur versent un collatéral en cash ou en gilts (dans des délais très courts) afin de garantir leur solvabilité. Ainsi, le caractère soudain de la hausse des taux au Royaume-Uni a déclenché des appels de marge en cascade, à satisfaire d’urgence, et menant rapidement à une crise de liquidité exacerbée par les repo.

Quels risques pour les fonds de retraite français ?

Contrairement à leurs homologues britanniques, les fonds de retraite français occupent une place marginale dans une économie nationale dominée par un régime obligatoire de retraite par répartition. A fin 2019, les fonds de retraite supplémentaire ne concentraient que 4,2 % de l’ensemble des cotisations acquittées au titre de la retraite (source ACPR). Cette proportion devrait cependant s’accroître dans les années à venir avec l’entrée en vigueur des FRPS et l’avènement de la loi PACTE qui élargit leur champ d’application aux anciens régimes par capitalisation (PER, PERP, contrats Madelin, IFC, …).

Par rapport à la France, les fonds britanniques se démarquent par leur profil de risque. Selon l’OCDE, sur la période allant de 2005 à 2020, le ratio entre le total des actifs détenus par les fonds de pension et le PIB était structurellement à l’avantage des fonds britanniques. En 2020, ce ratio s’élevait à 127% (soit 3 593 Mds $) au Royaume-Uni, contre seulement 3% (soit 72 Mds $) en France. Autrement dit, les fonds de pension pèsent beaucoup moins dans l’économie française que dans l’économie britannique. A cela, les données de la Banque de France au second trimestre 2022 rajoutent que les assureurs français ne détenaient que 6 Mds € de produits dérivés, soit 0,3% des actifs totaux.

Par ailleurs, les fonds de pension britanniques ont des volumes de LDI bien plus élevés que ceux des fonds français. En 2020, ces fonds possédaient 1 600 Mds de $ de LDI en portefeuille, selon Investment Association, contre seulement 72 Mds $ d’actifs totaux pour les fonds français (source OCDE). Enfin, en 2021, les capitaux mobilisés par les repo au Royaume-Uni valaient environ 0,82 fois le montant des capitaux mobilisés relativement aux repo à l’échelle de l’UE.

Du fait de ces différences de profil de risque, la reproductibilité de la crise britannique semble limitée en France. Et encore plus, quand on sait que le plus gros fonds de retraite français (l’ERAFP) n’est en réalité qu’un fonds de retraite par répartition à cotisations définies, ayant donc moins de contraintes que les fonds britanniques par capitalisation et à prestations définies. Une attention particulière devra cependant être portée sur les choix d’investissement des FRPS à compter de 2023.

Raphaël Konan Senior Manager Actuariat ,  Nexialog Consulting

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