La défiance Américaine

Publié le 11 juin 2025 à 17h16

Lucas Meric    Temps de lecture 5 minutes

La combinaison de craintes de ralentissement de la croissance américaine et d’une défiance naissante des investisseurs à l’égard des actifs américains, tous deux une conséquence de la politique tarifaire agressive et imprévisible de Trump, a fortement pesé sur le dollar pour qui les possibles freins subsistent voire pourraient s’accentuer. Nous avons ainsi décidé de passer de positif à négatif sur le billet vert, notre principale conviction demeurant désormais sur l’or.

USD : Le grand perdant de la politique tarifaire

L’année 2025 a été marquée par une forte sous-performance du dollar qui est revenu à ses plus bas niveaux depuis septembre 2024, un moment où les craintes de récession aux États-Unis avaient surgi en raison d’inquiétudes sur l’emploi. Ce déclin du billet vert, notamment depuis l’investiture de Donald Trump courant janvier, résulte d’une combinaison de facteurs défavorables, à la fois cycliques mais aussi plus structurels.

Dans un premier temps, les annonces de plans de dépenses allemands et européens ont fortement soutenu l’EUR/USD qui, alors que les investisseurs envisageaient un retour de la paire à la parité courant janvier, s’établit désormais autour des 1,14, un plus haut depuis début 2022, avant l’invasion de la Russie en Ukraine. Dans un second temps, l’approche agressive, mais surtout extrêmement imprévisible de Donald Trump dans le cadre de la politique tarifaire, les annonces de hausses de droits de douane étant selon les jours démenties, confirmées, implémentées ou annulées, pèse évidemment sur les perspectives de croissance mondiale. Cette stratégie crée une incertitude considérable, particulièrement pour l’économie américaine, affectant les consommateurs et perturbant les décisions d’investissement et d’embauche des entreprises.

Enfin, le contexte géopolitique qui voit les États-Unis s’opposer au reste du monde, menaçant chaque pays de droits douane souvent exorbitants et aux niveaux difficilement justifiables, amène également les investisseurs à questionner la confiance faite dans les institutions et la gouvernance américaine, réduisant leur attrait pour les actifs américains. Un tel développement qui se retrouve notamment dans les mouvements des marchés de la mi-avril qui ont mis en lumière une sorte de fuite des investisseurs étrangers des marchés américains avec une baisse simultanée du S&P 500, des bons du trésor américain et du dollar : des dynamiques généralement plutôt observées sur les marchés émergents.

En effet, historiquement, une hausse des taux américains constitue un facteur positif pour le dollar, en raison du rendement supérieur qu’un tel mouvement implique et de la confiance des investisseurs dans le dollar, notamment en raison de son statut de monnaie de réserve mondiale. Par ailleurs, les investisseurs gardent également en ligne de mire l’idée d’un fameux accord de « Mar-a-Lago », selon laquelle Donald Trump cherchera un moment ou un autre à négocier une dévaluation du dollar avec les principaux partenaires commerciaux afin de soutenir la compétitivité des entreprises domestiques américaines. Un sujet qui devrait cependant davantage constituer un développement de moyen terme, un dollar fort étant aussi vu par certains membres de l’administration comme un moyen à court terme de compenser l’effet inflationniste de la hausse des tarifs douaniers.

Prudence sur le dollar

Dans un contexte où les freins sur le dollar se multiplient, nous avons décidé de passer de positif à négatif sur la devise. En effet, nous considérions le dollar comme un actif de décorrélation pertinent dans nos portefeuilles, notamment dans l’optique de l’émergence de la politique tarifaire de Donald Trump que nous voyions en début d’année comme un facteur de support significatif pour le billet vert, l’imposition de taxes douanières constituant un frein aux importations et une rareté plus prononcée du dollar dans l’économie mondiale.

Cependant, l’émergence de craintes de récession, américaine principalement, et la défiance naissante sur les actifs en dollars ont pris le dessus sur ce canal dans l’esprit des investisseurs, et la hausse de l’aversion au risque a soutenu les valeurs refuge telles que le yen et le franc suisse, mais également l’euro. À court-terme, nous pensons que ce type de dynamiques pourraient poursuivre, tant que Donald Trump continue dans sa ligne politique de confrontation et d’annonces imprévisibles et rétractables, pouvant créer davantage d’inquiétudes sur une possible érosion de l’activité économique américaine et de l’attrait des investisseurs pour les actifs américains. Nous restons très attentifs aux évolutions du dollar et notamment au risque d’une dégradation plus prononcée du billet vert, cependant nous pensons également que, comme avancé dans notre Global Outlook 2025, les discussions de dédollarisation apparaissent exagérées tant les alternatives comme actif de réserve, l’euro ou le renminbi semblent pour l’heure peu compétitives face au billet vert, ne serait-ce qu’en termes de proportion actuelle dans les réserves des banques centrales (58% pour le dollar), de profondeur des marchés financiers mais également de potentiel de croissance et de productivité.

Dans le même temps, si l’économie américaine venait à rentrer en récession, il est probable que les répercussions se fassent sentir dans l’économie mondiale, et que la hausse de l’aversion au risque en découlant verrait le dollar retrouver un certain attrait en tant que valeur refuge globale. Dans cet environnement en forte évolution sur les devises et où les risques économiques mais également géopolitiques demeurent nombreux, notre seule réelle conviction demeure ainsi l’or qui apparaît comme un bénéficiaire évident, tant des craintes de ralentissement économique que de la défiance à l’égard des marchés financiers américains.

Lucas Meric Investment Strategist ,  Indosuez Wealth Management

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