La durabilité en 2024 : du Net Zero à une approche plus holistique

Publié le 6 mars 2024 à 15h59

Virginie Derue    Temps de lecture 7 minutes

La finance durable, les enjeux ESG, les politiques climatiques et biodiversité seront à l’agenda en 2024. Néanmoins, la priorité doit aller au financement de la transition. Alors que l'investissement responsable continue d'élargir son champ d'action, il est nécessaire d'adopter une approche plus holistique de la transition.

Rétrospectivement, la performance exceptionnelle des valeurs énergétiques en 2022 pourrait être considérée comme un signe que la durabilité est incompatible avec la performance financière. Mais l'année 2023 a prouvé le contraire, le secteur énergétique ayant enregistré des performances inférieures à celles de l'indice MSCI Europe[1]. 

Alors que les mois à venir devraient être davantage favorables aux marchés et aux investisseurs, il est primordial de garder à l’esprit que durabilité et performance à long terme vont de pair.

En effet, une étude récente[2] de MSCI sur la période 2017-2022 révèle que les entreprises dont les scores en matière de gouvernance et de gestion des risques environnementaux et sociaux sont plus élevés que la moyenne de ceux de leur « peer group » présentent également des risques actions moins élevés. 

Il faut noter qu’un profil de risque réduit ne reflète pas seulement le type de risques ESG auxquels l'entreprise est exposée, tels que le changement climatique, la réglementation environnementale ou les questions relatives aux conditions de travail/gestion des employés. Il reflète également la manière dont l'entreprise elle-même gère ces risques.

Dans certaines zones géographiques, notamment aux États-Unis, la polarisation politique autour des enjeux ESG est extrême et pourrait perdurer, Donald Trump ayant explicitement déclaré qu'il viderait l’Inflation Reduction Act de sa dimension verte s'il était réélu en novembre prochain. 

Plus globalement, avec des élections prévues dans plus de soixante pays cette année, les campagnes et manœuvres politiques auront très probablement un impact significatif sur l’évolution de la finance durable et la mise en place des politiques climatiques.

Malgré tout, il est essentiel pour les investisseurs de continuer à mettre l’accent sur les efforts et actions à déployer en faveur de la transition, et d’adopter systématiquement une approche holistique en matière de durabilité.

La transition en ligne de mire

Faciliter la transition vers un monde plus sobre en carbone devrait être un point d’attention grandissant pour les investisseurs responsables et les régulateurs, faisant ainsi écho aux conclusions de la COP28.

Les investissements verts sont bien sûr importants, mais la priorité doit aller au financement de la transition vers une économie plus durable, notamment via des investissements visant à supporter les changements de business models, parfois profonds, des entreprises.

Par opposition aux obligations vertes, il n’existe cependant pas à aujourd’hui de consensus quant à ce qui pourrait être considéré comme des critères robustes encadrant la définition d’obligations de transition, tant au niveau de l'émetteur que des projets financés, qui permettraient aux entreprises des secteurs dits "bruns" de lever des capitaux pour s’orienter vers des activités plus soutenables. Dans ce contexte, nous pensons que les sustainability-linked bonds peuvent être une option pertinente, qui permettrait aux investisseurs de répondre à ces besoins de financement.

Mettre l’accent sur la transition ouvre ainsi de nombreuses opportunités d’investissements dans des secteurs tels que les transports, le logement, l'alimentation, la construction et l'industrie manufacturière. Le secteur des infrastructures pourrait également directement bénéficier d’un triplement des capacités en matière d’énergies renouvelables - un engagement clé de la COP28.

Cela conduira également à une vigilance accrue autour des engagements menés par les investisseurs, faisant ainsi écho à une demande plus large, de lutte contre l’« engagement washing », mais également de transparence accrue entourant les plans de transition des gestionnaires d’actifs eux-mêmes.

Lien entre le climat et la biodiversité

L'intégration des considérations relatives à la biodiversité et à l'environnement devrait continuer à gagner du terrain grâce au cadre de la Taskforce on Nature-related Financial Disclosures (TNFD), qui encourage les entreprises et les institutions financières à divulguer leurs risques, dépendances, impacts et opportunités les plus importants liés à la nature.

Les secteurs reconnus par la TNFD comme ayant le plus d'impact sur la biodiversité - notamment les secteurs de l'alimentation, du pétrole et du gaz, des produits chimiques, des biens de consommation, de la métallurgie et de l'exploitation minière – sont par là même les candidats les plus évidents à l’émission de sustainability-linked bonds et aux efforts d’engagements de la part des investisseurs.

En matière d'engagement, si la déforestation est déjà bien intégrée par les investisseurs, nous nous attendons à voir une accentuation des efforts mis sur le stress hydrique, le gaspillage et la pollution. Cela accompagnera l’évolution de la réglementation appelant les entreprises à réduire le gaspillage, les emballages plastiques et à continuer d’augmenter les capacités de recyclage. Au niveau mondial, 175 pays ont ainsi convenu d'élaborer un accord juridiquement contraignant sur la pollution plastique d'ici à fin 2024.

Pression environnementale

Les litiges environnementaux devraient continuer à faire partie du paysage de l'investissement responsable dans un avenir prévisible, posant des risques opérationnels et financiers aux entreprises concernées notamment par les substances per et polyfluoroalkylées (PFAS), également connues sous le nom de "forever chemicals".

La pression réglementaire et des consommateurs devrait également s’intensifier, exerçant une pression supplémentaire sur les producteurs. En parallèle, l'abaissement des limites et l'extension du champ d'application des PFAS dans la réglementation relative à la qualité de l'eau pourraient donner lieu à de nouveaux litiges et rendre la mise en conformité et l'élimination de ces substances plus coûteuses.

Droits de l’Homme et des travailleurs

Enfin, l'intégration de considérations sociales est appelée à continuer de se développer transversalement. La vigilance en matière de droits des travailleurs devrait s’étendre à tous les secteurs, en particulier à ceux les plus touchés par un changement profond des compétences requises, comme celui de l'automobile pour lequel la transition vers la production de véhicules électriques aura un fort impact. Cela a déjà déclenché des grèves coûteuses dans ce secteur, en particulier aux États-Unis, illustrant la nécessité d'impliquer également les autorités publiques dans les questions plus larges de requalification ou de formation.

Les salaires, les conditions de travail, la syndicalisation et le dialogue social sont des questions structurelles qui ont, dans une certaine mesure, longtemps été éclipsées par les préoccupations climatiques. Les investisseurs commencent cependant à les prendre davantage en considération, comme en témoigne le nombre croissant de résolutions d'actionnaires lors des assemblées générales annuelles des entreprises.

Si les résolutions n'abordent encore que marginalement le thème de transition juste, il ne fait peu de doute que nous en verrons de plus en plus dans un avenir proche.

Changer de paradigme

Dans cet environnement incertain, une chose est sûre : il est indispensable d'appréhender la transition dans toute ses dimensions, en passant d'une vision exclusivement climatique à une approche plus holistique incluant la biodiversité, la nature et l’humain.

A ce titre, certaines mesures, comme l'adoption par la Norvège d'un projet de loi sur l'exploitation minière en eaux profondes[3] - doivent faire l’objet d’une analyse approfondie et d’une étroite surveillance, des questions se posant à juste titre quant à l’émergence potentielle d'une nouvelle industrie susceptible d'avoir un impact considérable sur un écosystème que nous ne comprenons pas encore parfaitement.

[1] MSCI, au 29 décembre 2023.

[2] “How ESG Risk Management can impact Security Risk”, MSCI, avril 2023.

[3] https://edition.cnn.com/2024/01/09/climate/norway-deep-sea-mining-climate-intl/index.html

Virginie Derue Responsable de la recherche ESG ,  AXA IM

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