La souveraineté, un catalyseur de croissance pour l’Europe ?
Avec la recomposition géopolitique et la fragmentation géoéconomique qui redessinent le continent, le thème de la souveraineté européenne s’impose désormais comme une priorité. La convergence des acteurs politiques, des régulateurs, de l’industrie et de la finance marque un possible tournant dans la manière dont l’Europe envisage sa croissance et son financement à l’avenir.
Il convient toutefois de rappeler que la souveraineté européenne n’est pas née du jour au lendemain : elle résulte d’une évolution amorcée il y a plus de 10 ans. Le terme autonomie stratégique est apparu au début des années 2010, désignant la capacité à agir de manière autonome dans des domaines politiques jugés stratégiques. D’abord associée à la défense, cette notion a vu son périmètre s’élargir sous l’effet de la pandémie, de la guerre en Ukraine et des signes croissants de fragmentation géoéconomique.
Les cinq dernières années ont mis en lumière la vulnérabilité de certaines dépendances clés pour l’Europe, qui pourraient être encore accentuées par les tendances climatiques. Alors que l’économie mondiale passe d’un modèle bon marché et juste à temps à un modèle plus coûteux mais résilient, la manière dont les nations peuvent assurer une croissance économique durable et une cohésion sociale s’en trouve profondément transformée.
Si cette situation peut sembler préoccupante, elle ouvre aussi la voie à des opportunités majeures et multidimensionnelles. L’Europe peut redevenir un pôle d’efficacité, d’innovation et de croissance, tout en renforçant la valeur et la pertinence de l’union des 27 pays de l’UE et des 44 pays du continent.
Des synergies importantes existent, avec un potentiel d’effet multiplicateur. Par exemple, le Boston Consulting Group (BCG) estime à 500 Md€ les opportunités pour les entreprises européennes non liées à la défense dans les quatre prochaines années, à mesure que le Bloc renforce ses capacités de sécurité. Cette nouvelle demande pourrait être particulièrement forte dans les secteurs des logiciels, de l’électronique, des télécommunications et de la logistique.
L’Europe maîtrise déjà les mécanismes politiques nécessaires pour garantir une prospérité durable à long terme. Des cadres comme le Pacte vert pour l’Europe, le Chips Act européen ou Food 2030 offrent des structures d’action cohérentes et coordonnées, tout en limitant les risques d’effets indésirables.
Enfin, l’Europe dispose de la capacité financière pour renforcer sa souveraineté. La population européenne a besoin de souveraineté, et la souveraineté européenne a besoin de ses citoyens – et en particulier de leur épargne. La Commission européenne a souligné que les ménages de l’UE détiennent 10 000 Md€ sur des comptes bancaires, et qu’il est urgent de mieux orienter cette épargne vers la croissance européenne. Dans un contexte de finances publiques sous tension, la finance privée est essentielle pour réussir la transition, l’adaptation et la résilience du Bloc.
Les épargnants européens ont besoin de souveraineté. L’UE reconnaît déjà les conséquences du vieillissement démographique et les lacunes attendues dans les systèmes de retraite. Investir dans la souveraineté européenne peut non seulement améliorer les revenus de retraite et les rendements de l’épargne, mais aussi atténuer les hausses futures du coût de la vie. L’initiative visant à renforcer la culture financière et les opportunités d’investissement offre également une base pour des solutions de financement innovantes et partagées.
Le chemin vers l’investissement dans la souveraineté européenne ne fait que commencer, mais il s’accélérera et s’étendra sur les décennies à venir.
Christophe Hautin et Mark Wade