Le secteur de l’agroalimentaire tourne au vinaigre – Janvier 2025

Publié le 22 janvier 2025 à 12h25

Kevin Thozet    Temps de lecture 7 minutes

Les fêtes de fin d'année sont terminées et nombre d'entre nous ont décidé d’adopter un rythme de vie plus sain pour cette nouvelle année. Mais les performances de certaines entreprises américaines bien connues du secteur alimentaire suggèrent que l'accent mis sur la santé est loin de se limiter aux bonnes résolutions de janvier. 

L’environnement est difficile pour des entreprises dont le modèle d’affaires peut être résumé à : acheter des matières premières (dont les prix s’apprécient) et vendre une marque identifiable (dont le capital marque risque de se déprécier).

Coca-Cola a perdu -15% depuis ses plus hauts. Sur les 12 derniers mois Hershey est en baisse de -5%, Mondelez de -20%, Pepsi de -10% et Kraft Heinz -20%[1]. Leurs homologues européens s’en sortent un peu mieux, mais Unilever (dont l’action s‘est appréciée de +20% sur 1 an) est désormais plus un groupe d’hygiène et de soins personnels (25% des ventes, en forte hausse) qu’alimentaire et Nestlé est désormais plus impacté par ses activités café et alimentation pour animaux (qui représentent 20% des ventes en croissance annuelle de +10%).

Le risque d’indigestion de législation

La nourriture ultra-transformée représente 60% des apports caloriques journaliers d’un Américain moyen – ce taux est de 30% à 50% moindre en Europe, mais il tend à augmenter[2]. Et les aliments ultra-transformés[3] tendent à être associés à une hausse de l’obésité, des diabètes de type 2, des maladies cardiovasculaires et des risques de cancers.

La FDA (Food and Drug Administration – c’est-à-dire l’agence publique en charge de la surveillance des produits alimentaires) a commencé à durcir le ton vis-à-vis de l’étiquetage alimentaire et des projets de loi afférents (Truth in Labelling par exemple) avancent au bénéfice d’un support bipartisan au Congrès.

La nomination de Robert F. Kennedy Junior – qui souhaite transformer les habitudes alimentaires des Américains et n’hésite pas à comparer la nourriture transformée à du poison – comme ministre de la Santé de la nouvelle administration Trump pourrait également accélérer ce mouvement.

Quelle est la recette financière gagnante ?

Sur le long terme, les ventes du secteur de l’agroalimentaire dans sa globalité sont, en l’état actuelles, attendues en hausse de +2,5% par an en moyenne.

Si la proportion d’aliments ultra-transformés consommée par les ménages américains diminuait de 60% d’apports journaliers à celle que l’on retrouve dans des pays comme la France, l’Allemagne ou encore la Belgique (environ 40%), cela viendrait impacter négativement les perspectives de croissance des grands groupes agroalimentaires dont la croissance des ventes annuelles serait en moyenne de 1,3% inférieure au statu quo – soit une croissance des ventes de tout juste 1% par an.

Cela aura également un impact sur les coûts.

Les alternatives aux ingrédients transformés tendent à être 10% plus onéreuses. Et dans un monde où le consommateur reste extrêmement préoccupé par l’inflation (et cela même si les variations annuelles sont bien moins importantes) cela interroge sur les trajectoires de marges des producteurs alimentaires. Bien entendu, ces « coûts financiers » ne tiennent pas compte des coûts sociaux des externalités négatives liées à la malbouffe, qui sont estimés à 3% du PIB mondial.

Du sel sur une plaie ouverte

L'avènement des traitements médicaux coupe-faim de nouvelle génération (également connus sous le nom de GLP-1) ont déjà commencé à susciter des inquiétudes quant à l'évolution du comportement des consommateurs, qui se tournent vers des options plus saines. Certaines études font état d'une réduction de 30% des dépenses alimentaires des utilisateurs de GLP-1[4] et d'une baisse impressionnante de 70% des dépenses de restauration rapide, de confiseries et de sodas.

Certains producteurs alimentaires bien connus ont fait des efforts pour réduire la teneur en gras, en sel et en sucre de leurs produits et s'engagent auprès des investisseurs sur ces problématiques. Danone, Unilever et PepsiCo tendent ainsi à être mieux positionné en ce qui concerne la lutte contre la mauvaise alimentation sous toutes ses formes. Bien que positif, le plus grand défi des entreprises alimentaires est que l'essentiel des revenus provient d'une poignée de produits (pour une entreprise comme Nestlé, 80% de ses ventes sont générées par 11% de ses références, tandis que 33% de ses autres références génèrent seulement 1% des ventes).

Si l’évolution des consciences vis-à-vis des aliments ultra-transformés et le durcissement du cadre réglementaire devraient constituer des facteurs négatifs pour les entreprises du secteur, ils ne devraient pas pour autant modifier la structure de la demande à court terme.

Aussi, la polarisation des dépenses de consommation se retrouve également dans l’agroalimentaire.

D’autant plus qu’il y a malheureusement un lien direct entre qualité de l’alimentation et niveaux de revenus.

Les consommateurs sont de plus en plus au fait des méfaits des aliments ultra-transformés, mais tous n’ont pas les moyens d’acheter des alternatives plus saines.

Les enseignes premium comme Costco, Amazon ou Sprout Farmers tendent à être valorisées sur des multiples de valorisations élevés –leurs ratios Cours/Bénéfices évoluent entre 30x et 50 – du fait de la faible sensibilité aux prix de leurs clients qui bénéficient généralement de revenus moyens élevés.

Et à l’autre bout du spectre, les enseignes qui s’adressent à des clients qui n’ont pas les moyens de débourser des sommes faramineuses – tels que Dollar General ou Dollar Tree qui, à l’inverse, s’échangent sur des multiples de valorisation bien plus faibles.

Conséquence dans la gestion de portefeuilles actions : la qualité devient un argument de poids

Cet environnement a contribué à la sous-performance du secteur de la consommation de base vis-à-vis de celui de la consommation discrétionnaire au cours des trois derniers mois. Une tendance renforcée par l’éloignement des craintes de ralentissement économique. Et comme on pouvait le craindre, les grandes entreprises de l’agroalimentaire les plus exposées au risque de teneur en sucre, gras ou sel élevés.

Dans un environnement de croissance organique défavorable, pour obtenir une croissance des résultats via des stratégies de réduction des coûts, les opérations de croissance externe et les synergies de fusion afférentes deviennent inévitables. Mondelez et Hershey dans la confiserie, Post Holdings et Lamb Weston dans les pommes frites, le nombre grandissant d’opérations de fusions-acquisitions dans le secteur en atteste. Et 2025 devrait être une année active sur le front des opérations de fusions-acquisitions-scissions dans le secteur de l’agroalimentaire.

Alors que les distributeurs les plus en vue s’échangent à des prix records et des valorisations sans précédent – et cela en dépit de marges relativement faibles – et que les entreprises historiques de la boisson et de l’alimentation font face à de nombreux vents contraires, nous préférons rester à l’écart des valeurs de l’alimentation[5] et de la distribution au profit des entreprises exposées aux produits d’entretien et d’hygiène.

Quand la malbouffe et les marchés financiers se rencontrent, notre santé et notre portefeuille risquent d’en payer le prix fort. La prudence reste de mise sur le secteur.

[1] Au 14/01/2025 en devises locales

[2] BMJ Group, 2023

[3] Les aliments ultra transformés sont généralement constitués de 5 ingrédients ou plus, que l’on ne trouve généralement pas dans sa cuisine, et réalisés selon un processus de fabrication industrielle.

[4] KPMG, 2024

[5] y compris celles des ingrédients alimentaires qui sont directement utilisés dans les aliments ultra transformés.

Kevin Thozet Membre du comité d’investissement ,  Carmignac

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