Les assureurs face à la menace de rachats massifs sur les fonds en euros ?
Révolu le temps où les assureurs restreignaient l’accès au fonds en euro par le biais de quotas sur les unités de compte. La donne a effectivement changé. De plus en plus d’assureurs proposent des bonifications sur les nouveaux versements avec un taux minimum garanti (TMG) pouvant aller jusqu’à 3% (Carac, Swiss Life, Allianz, etc.) afin de stopper le risque d’hémorragie qui guette le fonds en euros, dans un contexte de forte baisse du marché obligataire synonyme d’importantes moins-values latentes.
Décollecte continue sur le fonds en euro
Même si les unités de compte tirent leur épingle du jeu avec près de 28,3 milliards d’euros de collecte nette depuis janvier, la situation du fonds en euros est loin d’être reluisante mois après mois avec une sortie nette de près de 25,4 milliards d’euros en cumulé depuis le début d’année selon les données de France Assureurs.
Dans son dernier rapport sur l’évaluation des risques du secteur financier, la banque de France demande aux assureurs d’être plus vigilants face à la hausse des rachats sur l’ensemble des supports avec un plus haut de dix ans à 5.7% au T1 2023. La dynamique de rachats semble continue si l’on tient compte des retraits depuis le mois de janvier.
Concurrence des livrets réglementés
Le contexte économique en 2023 est radicalement différent des dernières années d’environnement de taux bas. Afin de juguler la forte inflation post Covid accentuée par la guerre en Ukraine, la BCE a procédé à une dizaine de hausses successives de son principal taux directeur entre fin juillet 2022 et septembre 2023. Une situation inédite depuis plus de dix ans.
Avec une exposition prédominante en obligations d'État et d'entreprises anciennement émises, le fonds en euros se heurte à une forte inertie, rendant son adaptation à la hausse des taux particulièrement difficile.
Par ailleurs, offrant un taux nominal gelé à 3% jusqu’au début de l’année 2025, les livrets réglementés (livret A & LDDS) ont bénéficié d’une dynamique de collecte importante à hauteur de 41,4 milliards sur les neuf premiers mois de l’année selon la Caisse des dépôts. Cette dynamique s’est néanmoins inversée au mois d’octobre, traditionnellement peu favorable aux livrets réglementés, avec une décollecte de près de 4,4 milliards d’euros. Avec un tel rendement net de frais et de fiscalité, difficile pour les assureurs de retenir certains profils d’épargnants retail ou mass market, alors qu’en 2022, le taux de marché moyen servi sur le fonds euros se situait à 1.90%.
La tâche s’annonce encore plus ardue pour les assureurs avec le retour des fonds à échéance. Longtemps pénalisés par la période de taux bas, ces fonds procurent des rendements allant de 4% à 6% à condition pour l’épargnant de renoncer temporairement à la liquidité avec un couple rendement-risque contenu et surtout une transparence sur le rendement final. L’investissement dans des obligations et dans les actifs non cotés (private equity) semble attirer également de plus en plus une clientèle haut de gamme.
Ce nouvel environnement ne laisse pas le choix aux assureurs qui devront servir un taux compétitif au titre de l’année 2023 pour dynamiser leur collecte future.
Faut-il craindre la faillite d’un maillon faible du secteur ?
Comme l’illustre le sauvetage de l’assureur italien Eurovita, le secteur de l’assurance-vie n’est pas à l’abri d’un phénomène de type Cygne noir. A l’instar du livret A en France, les épargnants italiens se sont rués massivement vers les BTP, les Obligations émises par le Trésor italien, poussant le gouvernement italien à vouloir se doter d’un fonds de sauvetage des assureurs-vie.
D’autres acteurs pourraient être fragilisés davantage par de nouvelles hausses de taux qui ne sont pas à exclure en cas de résurgence de l’inflation ou crise géopolitique. De surcroit, un phénomène de rachats massifs pourrait être encore accéléré et amplifié par les réseaux sociaux comme ce qui s’est passé outre-Atlantique avec la faillite de la banque de la Silicon Valley (SVB) à l’hiver dernier.
Solidité financière des assureurs-vie
Néanmoins, plusieurs leviers d’atténuation sont à disposition des assureurs-vie en France pour faire face à cette situation. D’abord, la réserve de capitalisation permet d’absorber les moins-values obligataires constatées lors de cessions. Ensuite, l’assureur peut réaliser des plus-values latentes sur ses actifs de diversification et utiliser la provision pour participation aux bénéfices (PPB) pour servir des taux de PB plus compétitifs. L’étude réalisée par le prescripteur de contrats d’assurance Good Value For Money montre que les assureurs-vie disposaient à fin 2022 d’un rendement total en réserve de 11,7% par rapport à l’encours global en euros avec une part importante de PPB.
Selon les données de l’ACPR, après une dizaine d’années de hausse, le taux de PPB est resté stable entre 2021 et 2022 à 5.4% de l’encours avec une certaine disparité entre les bancassureurs (6.4%) et les assureurs traditionnels (3.9%). Les poids lourds du secteur avec une PPB plus importante pourront servir des taux plus compétitifs, espérer engendrer une collecte plus importante en 2024 et investir sur des obligations avec des taux de coupon plus élevés. L’ACPR a incité récemment les assureurs-vie à distribuer progressivement la réserve de PPB à l’ensemble des épargnants.
Au-delà de ces réserves, les assureurs disposent de stratégies de couverture de leurs portefeuilles action ou obligataire. Au T4 2022, le taux de plus-values sur les actions tournait autour de 30% d’après l’étude[1] réalisée par l’ACPR. Le niveau des indices actions (CAC 40 ou Eurostoxx 50) étant actuellement élevé, [2]un retournement du marché actions dans les prochains mois n’est pas à exclure face à la détermination des banques centrales d’atteindre l’objectif d’une inflation à 2% (même si les effets des différentes hausses de taux commencent à se faire ressentir). Les stratégies de couverture de type put spread peuvent être utilisées pour limiter l’impact d’un scénario baissier sur les marchés actions.Concernant la couverture du portefeuille obligataire, les assureurs ont généralement recours à des instruments de type swaptions, caps ou floors. Le principal enjeu étant l’anticipation du contexte économique pour une couverture optimale à prix raisonnable.
En dernier recours, en cas de retraits massifs, l’article 49 de la loi Sapin 2 permet de limiter temporairement les rachats totaux ou partiels pour éviter des défauts en cascade des compagnies d’assurance.
Beaucoup d’incertitudes sur la fin d’année 2023
Même si, après une décennie de taux bas, la hausse des taux est une bonne nouvelle pour les assureurs et les épargnants, il faut rappeler aux épargnants l’importance de l’horizon d’investissement, la diversification et la flexibilité dans toute stratégie patrimoniale. L’investissement s’apprécie sur le temps long et pas uniquement sur le court terme.
Comme en témoigne la dernière étude de l’Institut de l’Epargne Immobilière et Foncière (IEIF), sur des horizons de 5, 15 ou 40 ans, le taux de rendement interne des livrets réglementés fait pâle figure face aux rendements des indices actions ou immobilier en France.
En cette fin d’année, la collecte sur le fonds euros sera suivi de prêt, pour réaliser les arbitrages sur le taux servi, face à la concurrence des livrets réglementés et des comptes à terme.
Si la fin du resserrement monétaire est quasiment actée l’an prochain, il reste encore beaucoup d’incertitudes autour de l’ampleur et du rythme des baisses de taux d’intérêt.
[1] publications.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/ers_s12023_final_fr.pdf