Les marchés privés peuvent-ils s’ouvrir à un public plus large ?

Publié le 23 octobre 2024 à 16h04

Kelly Hébert    Temps de lecture 4 minutes

Indéniablement, les marchés privés ont connu une forte croissance ces dernières années avec un rythme de près de 20 % par an au cours des cinq dernières années (McKinsey, juin 2023), atteignant aujourd'hui 13 000 milliards de dollars d’encours.

Cette vaste classe d’actifs, couvrant aussi bien le crédit privé, structuré, private equity ou encore les actifs réels comme l'infrastructure et l'immobilier, est pourtant longtemps resté le privilège des investisseurs institutionnels. L’intérêt pour les investisseurs à long terme tels que les fonds de pension et les compagnies d'assurance est évident car ces marchés génèrent des flux de revenus attractifs, stables à long terme et souvent protégés contre l'inflation.

Pour autant, et cette question est légitime, pourquoi les investisseurs particuliers ne bénéficieraient-ils pas des avantages que cette classe d'actifs peut offrir en matière de rendement, de diversification, de moindre volatilité mais également d’accès à des secteurs-clés de croissance ?

Les marchés privés permettent de s’exposer à une gamme plus diversifiée d'entreprises et de secteurs. C’est le cas du private equity qui investit sur les entreprises en phase de démarrage n’ayant pas atteint une taille suffisante pour être cotées en bourse ou encore du crédit privé venu combler le retrait croissant des banques - contraintes par des restrictions réglementaires - de certains domaines de prêt. Pourtant le crédit privé peut offrir aux investisseurs privés un accès à des portefeuilles de prêts avec des profils/risques/notations/expositions sectorielles/durée différents de ceux disponibles via la dette publique, offrant, là encore, une meilleure diversification de son portefeuille.

Par ailleurs, l’accès des investisseurs particuliers aux marchés privés est aussi un catalyseur de changements environnementaux et sociétaux positifs, rendant disponible davantage de capitaux pour le financement d’infrastructures essentielles et de l'innovation à long terme, en particulier dans le domaine de la transition énergétique. C’est le cas du private equity, souvent l'incubateur et le facilitateur de croissance de certaines des entreprises les plus prometteuses et les plus innovantes.

Plusieurs raisons expliquent pourtant la raison pour laquelle jusqu’à présent l'accès aux marchés privés ne s'est pas davantage élargi. La plus évidente est la caractéristique fondamentalement « privée » de ces investissements. Par définition, les investissements sur les marchés privés sont privés, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas négociés publiquement. Les fonds ouverts n'existaient pas pour le Private Equity par exemple, car la liquidité n'était pas suffisante pour permettre aux investisseurs de vendre facilement leurs investissements. Par ailleurs, la réglementation liées à ces investissements suscitait encore des inquiétudes.

Mais il est encourageant de constater que l'Union européenne, et récemment la France avec l’entrée en vigueur de la loi industrie verte, reconnaissant désormais la nécessité de stimuler l'investissement dans l'économie réelle et de promouvoir une croissance durable et inclusive, a réagi et introduit en 2015 le règlement ELTIF (Fonds européen d'investissement à long terme) visant à encourager l’accès à ces marchés aux investisseurs individuels. L'ELTIF initial a constitué un point de départ positif avec l’introduction d’un certain degré de liquidité dans ces fonds du marché privé et la prise en compte des questions réglementaires.

Malgré tout, cet accès aux marchés privés est resté restreint du fait des craintes persistantes des investisseurs sur le risque de liquidité et le manque de souplesse sur l’achat et la vente des titres. C'est pourquoi l'Union européenne a mis à jour le règlement ELTIF en janvier 2024 avec ELTIF 2.0. La grande différence concerne l'élargissement du champ des actifs éligibles pouvant être détenus dans ces fonds et le montant minimum de l'investissement. Plus précisément, ELTIF 2.0 a complètement supprimé l'investissement minimum requis de 10 000 euros, mais a surtout relevé le seuil de capitalisation boursière des actifs éligibles en portefeuille de 500 millions d'euros à 1,5 milliard d'euros. Le fait que ces fonds détiennent des entreprises plus importantes augmente la liquidité disponible pour les investisseurs.

Si ces mesures vont dans la bonne direction avec une réelle volonté politique et commerciale de promouvoir l'ouverture des marchés privés à un public plus large, celle-ci se heurte encore à un manque évident de compréhension. Pour de nombreux investisseurs (et conseillers), les marchés privés restent méconnus et suscitent, à juste titre, des réserves, voire de fausses idées. Et c'est avant tout le rôle et la responsabilité du gérant d’actifs de fournir les outils et la formation nécessaires susceptibles de rassurer les craintes des investisseurs pour les accompagner plus loin sur les marchés privés.

Kelly Hébert directrice générale France, Belgique et Luxembourg ,  M&G Investments

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