Les obligations vertes : opportunité pour l’investisseur ou mirage éco-responsable ?

Publié le 15 octobre 2025 à 16h29

Alexandre Taieb    Temps de lecture 6 minutes

Dans un monde où les sirènes du changement climatique hurlent de plus en plus fort, les marchés financiers se réinventent à la vitesse de l'éclair. Imaginez : des obligations qui ne paient pas seulement des intérêts, mais qui plantent des arbres et financent des éoliennes. Bienvenue dans l'univers des green bonds, ces titres de dette dédiée à des projets environnementaux, qui ont connu une ascension fulgurante ces dernières années. En 2024, le marché mondial des obligations durables – incluant les green bonds – a frôlé les 1 000 milliards de dollars d'émissions[1], un record stable par rapport à 2023, malgré les turbulences géopolitiques. Et pour 2025 ? Les experts parient sur une poursuite de cette croissance, avec des émissions de green bonds projetées à 620 milliards de dollars, portées par l'Europe et l'Asie. Mais derrière cette vague verte, se cache-t-il une aubaine pour l'investisseur averti, ou un mirage éco-responsable ?

Une ascension météorique : de la niche au géant

Rappelons les origines : les green bonds naissent en 2007 avec la Banque européenne d'investissement, pionnière dans le financement de projets dits "verts". Mais c'est l'Accord de Paris en 2015 qui allume véritablement la mèche. Depuis, le marché explose. En 2024, les émissions de green bonds pures ont atteint 447 milliards de dollars, en hausse de 17 % par rapport à 2023 pour l'ensemble des obligations GSS (Green, Social, Sustainability). Le cumul mondial des obligations durables alignées sur des standards scientifiques dépasse désormais les 6 000 milliards de dollars, multiplié par trois en cinq ans seulement. L'Europe domine, avec 26 % du marché en 2025, dopée par le Green Deal de l'UE qui injecte 250 milliards d'euros via NextGen EU d'ici 2026. L'Amérique du Nord suit, malgré un recul de 30 % des volumes depuis 2021, freiné par un backlash anti-ESG sous l'ère Trump 2.0.

L'Asie émerge comme le nouveau dragon vert : la Chine et l'Inde mènent la danse, avec des émissions cumulées en Inde passant de 21,4 à 55,9 milliards de dollars entre 2021 et 2024, soit +186 %. Les marchés émergents, via l'IFC (international finance corporation), ont vu leurs green bonds bondir de 34 % en 2023, pour atteindre 135 milliards. Pourquoi cette fièvre ? Les régulateurs y voient un levier pour canaliser les flux vers la transition énergétique. Les banques centrales, comme la Fed ou la BCE, intègrent l'ESG dans leurs politiques, tandis que les investisseurs institutionnels – fonds de pension, assureurs – exigent de plus en plus de "vert" pour respecter leurs engagements net-zéro. Résultat : un CAGR (taux de croissance annuel composé) de 10,3 % prévu jusqu'en 2032, portant le marché à 1 046 milliards de dollars. Les secteurs phares ? L'énergie renouvelable (28,6 % des émissions en 2024), les transports propres et l'efficacité énergétique, boostés par la demande en data centers "verts" et l'essor du nucléaire « low-carbon ».

Les atouts irréfutables : rendements et impact main dans la main

Pour l'investisseur, les green bonds sont loin d’être un geste philanthropique. En 2024, ils ont surperformé le marché obligataire classique de près de 2 %, pour la sixième fois en huit ans. Pourquoi ? Une liquidité croissante et des rendements attractifs : des coupons autour de 4-5 % pour des maturités de 3 à 10 ans, souvent assortis d'incitations fiscales (rendement en moyenne à travers le monde, les obligations durables européennes ayant un taux davantage compris entre 2.5 et 3.5%). Prenez l'exemple de la Californie : ses green bonds municipaux financent la décarbonation du réseau électrique, offrant des flux stables et un impact mesurable. Diversification garantie : ces actifs corrèlent faiblement avec les actions, protégeant le portefeuille des chocs boursiers.

L'impact environnemental ? Concret. Une étude de la BIS (Banque des règlements internationaux) montre que les entreprises émettrices réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre de manière significative, surtout les gros pollueurs. Les investisseurs accèdent à des projets tangibles : parcs solaires en Inde, trains à hydrogène en Europe. Et avec la maturité des premiers bonds de 2015 qui arrive en 2025-2026, un mur de refinancement de centaines de milliards stimulera l'offre, potentiellement à des taux de rendement plus élevés.

Les ombres au tableau : risques et controverses

Les green bonds ne sont pas sans écueils. D'abord, le "greenwashing" : Moody's alerte sur une surveillance accrue en 2025, avec des sanctions potentielles sous le règlement UE GBS (european union green bonds). Ensuite, la liquidité, même si elle est croissante, reste un talon d'Achille : marché jeune, les sorties de positions peuvent être coûteuses, surtout pour les petits investisseurs. Les rendements ? Modérés, souvent inférieurs aux obligations high-yield, car la demande excède l'offre.

Géopolitiquement, les vents contraires soufflent fort. Aux États-Unis, le retour en arrière climatique sous Trump freine les émissions fédérales, limitant la part nord-américaine à 12 % en 2024. En Europe, la complexité réglementaire – EU GBS volontaire mais contraignant – pourrait ralentir les émissions initiales. Globalement, les volumes labellisés ont chuté de 25 % au deuxième trimestre 2025 à 440 milliards, plombés par la volatilité des marchés émergents. Risque physique, aussi : les projets verts sont vulnérables aux catastrophes climatiques, impactant les flux de trésorerie.

Alors, opportunité ou mirage ? Pour l'investisseur averti, les green bonds offrent un équilibre rare : rendements stables (4-5 %), diversification et contribution à la transition net-zéro. Mais prudence : optez pour des émetteurs solides (souverains, supranationaux) et vérifiez l'alignement CBI ou ICMA pour éviter le greenwashing.

En somme, les green bonds ne sauvent pas la planète seuls, mais ils canalisent des milliards vers sa préservation. Dans un monde où l'argent vert coule à flots – 1 000 milliards annuels d'ici 2030 –, ignorer cette vague serait une erreur.

Source des chiffres : Bloomberg ; Sycomore AM. Données au 25 septembre 2025.

[1] Selon le rapport de S&P Global Ratings intitulé «Sustainability bond issuance to hold steady at 1tn$ in 2025».

Alexandre Taieb gérant ,  Sycomore AM

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