Les taux d’intérêt négatifs ont-ils un sens ?
Les marchés obligataires sont entrés dans une ère de taux d’intérêt négatifs, bouleversant l’idée reçue selon laquelle zéro constitue l’ultime plancher pour les rendements. Comment réagir ?
Début mars, près de 17 % (3,85 billions de dollars) du marché mondial des obligations d’Etat de pays développés se négociaient à des taux négatifs, tandis que plusieurs billions d’autres – japonaises pour la plupart – se négociaient à un taux dépassant à peine le zéro. En Allemagne, les investisseurs doivent opter pour une échéance de plus de sept années pour obtenir un rendement positif. En Suisse, ils doivent acheter une obligation à douze ans avant de pouvoir échapper à des rendements inférieurs à zéro.
Aujourd’hui, aucun investisseur ne devrait considérer les dettes souveraines à long terme comme des «actifs sûrs». Les investisseurs sont habitués à la possibilité de perdre de l’argent : c’est un risque que l’on prend quand on recherche des rendements positifs. Mais être certain de perdre de l’argent, c’est une autre histoire. Or, acheter des obligations à taux négatifs, c’est l’assurance de perdre de l’argent en valeur nominale. Voilà un étrange meilleur des mondes !
Les taux sont plus bas que prévu à ce stade du cycle à cause de la confluence d’une croissance mondiale atone, de la désinflation et d’une politique monétaire accommodante. Les banques centrales faussent gravement les marchés de taux locaux parce que c’est précisément leur but. Elles doivent maintenir des taux réels bas pour aider leurs économies à renouer avec une croissance auto-entretenue. La politique non conventionnelle actuelle au Japon et en Europe a toutes les chances de fonctionner. Elle devrait donner lieu à des surprises économiques haussières dans ces deux régions.
Il est quasi certain que la croissance des prêts et du crédit va augmenter, et cette impulsion créera un point de retournement cyclique. Si un taux de - 0,20 % ne suffit pas pour remettre sur pied la zone euro, la prochaine étape pourrait être un taux de - 0,50 %, voire de - 0,75 %. Le Danemark, la Suède et la Suisse ont déjà appliqué cette méthode agressive. Cependant, nous pensons que la plupart des banques centrales s’abstiendront de cette politique draconienne, car ses conséquences non désirées sont tout simplement trop difficiles à prévoir. Une politique de taux fortement négatifs nuit à la rentabilité des banques, ce qui conduit soit à une augmentation perverse du désendettement, soit, inversement, à une vague de prêts spéculatifs pour éviter les charges sur les réserves excédentaires. Elle équivaut à une taxe significative sur l’épargne et elle est une aubaine pour les emprunteurs, deux facteurs qui ont d’importantes implications à long terme pour des économies qui sont déjà trop endettées et dont les populations vieillissent rapidement.
La recherche de rendement est un thème central depuis plusieurs années. Les taux de dépôt négatifs et les rendements obligataires extrêmement faibles garantiront la persistance de ce marché. De nombreux investisseurs recherchent «du rendement avec de la sécurité», tandis que d’autres veulent «du rendement avec un potentiel de profit élevé» mais, dans une certaine mesure, presque tous les investisseurs privés ont besoin de rendement, et cela va continuer. L’environnement actuel devrait favoriser d’autres actifs de haute qualité, productifs de revenus ; les valeurs investment grade et à rendement élevé comptent évidemment parmi les bénéficiaires des rendements négatifs, de même que les actions à haut rendement et l’immobilier commercial. Les investisseurs en obligations seront poussés davantage le long de la courbe des taux et vers le bas du spectre du crédit, exacerbant potentiellement les problèmes si les taux d’intérêt finissent par monter.
Dans cet environnement, les opportunités d’investissement seront multiples. Les investisseurs en obligations doivent exploiter ces opportunités, tout en étant conscients que les marchés sont étroitement corrélés.