L’inflation a tué la décorrélation… et l’allocation traditionnelle par classe d’actifs !
De la crise du covid au climax du couple inflation-hausse des taux d’intérêt, les années 2020 sont synonymes d’une « nouvelle expérience » pour les marchés financiers.
Evidemment, ces deux dernières décennies, les marchés et l’ensemble des classes d’actifs ont été abondamment abreuvés – ou plutôt dopés – par l’afflux de liquidités sous l’impulsion d’une « administration centrale » des économies. Les stimuli monétaires et budgétaires des gouvernements se sont en grande partie opérés grâce au soutien « banque centrale » dont l’objectif ultime, selon un cahier des charges plutôt inédit, devait rester coûte que coûte la stabilité du système financier.
Depuis l’émergence de la crise du covid, les tensions inflationnistes ont clairement changé la donne. Et cette inflation s’avère durable, installée à moyen terme dans nos économies en raison de plusieurs « moteurs ». Initialement, la crise sanitaire a provoqué de l’immobilisme, en témoignent la mise au ralenti des activités et les ruptures dans les chaînes d’approvisionnement. Or l’immobilisme est généralement vecteur d’inflation.
Plus structurellement, un mouvement de déglobalisation-relocalisation des forces de production, au nom du néo-souverainisme des Etats, s’est affirmé en réponse à la crise sanitaire. Ce nouveau paradigme est un puissant soutien à la reconstitution des prix des produits manufacturés. Parallèlement, la crise énergétique que nous traversons accélère la transition climatique, un défi autant qu’un bouleversement pour l’économie mondiale à l’échelle des 30 ans à venir. Or, là aussi, la transition énergétique constitue un catalyseur profondément inflationniste.
Une vision thématique, plutôt que par classe d’actifs
Ces ruptures sont problématiques pour les allocataires d’actifs traditionnels. Car l’objectif d’un gérant de portefeuille « performance absolue » n’a fondamentalement pas changé : générer une performance positive décorrélée des benchmarks, tout en maîtrisant le risque et les drawdowns. En revanche, l’environnement inflationniste et de hausse significative des taux d’intérêt marque un point d’arrêt des mécanismes usuels de décorrélation entre les classes d’actifs. On l’a vu en 2022, celles-ci se sont recorrélées dans un mouvement baissier synchronisé. Cette absence de diversification pose désormais la question de l’efficience de la construction de portefeuille, historiquement fondée sur la diversité des classes d’actifs et l’existence d’actifs « anti fragiles ».
Par conséquent, à nouvel environnement de marché, nouveau paradigme de gestion : en l’absence des mécanismes traditionnels de diversification, il semble désormais indispensable de substituer à l’approche allocataire par classe d’actifs une approche thématique au sens propre du terme. Identifier les thèmes d’investissement porteurs de valeur relative, quelles que soient les classes d’actifs sous-jacentes, tout en s’affranchissant de toute dimension « affective » vis-à-vis de tel ou tel titre. Une telle construction de portefeuille convoque nécessairement une hauteur de vue à l’égard des standards académiques et de la lecture du couple rendement/risque, autant qu’une grille d’analyse ouverte à différentes options, stratégiques ou tactiques, pouvant inclure des positions « longues » ou « short ». Autrement dit, une conception comparable à certaines stratégies d’investissement alternatives.
A titre d’exemple, le thème de la transition énergétique recèle des sources de performance financière à l’échelle des années à venir. Des investissements dans les valeurs liées au nucléaire (aux Etats-Unis par exemple) et aux énergies nouvelles font du sens. De la même façon, des positions longues sur les matières premières et les métaux devraient tirer parti de cet environnement, sans oublier l’impact de la réouverture de la Chine. Qui dit inflation, dit taux d’intérêt élevés ainsi que leur corollaire, le coût du capital. Dans ce cadre, des positions « short » sur des valeurs technologiques américaines non profitables, ou liées à l’immobilier nord-américain par exemple, et des positions de duration négative sur les taux souverains américains ou européens restent génératrices de valeur, même en 2023. En effet, les cycles de hausse de taux, en Europe comme aux Etats-Unis, ne sont pas terminés. Après une phase de pause, il est vraisemblable, en effet, que l’inflation reparte à la hausse, contrariant l’embellie actuelle sur les marchés financiers. Un grand salto arrière est alors vraisemblable en fin d’année, et les taux courts américains pourraient atteindre les 6 %. L’attente de pivot est une incantation.
En somme, il est temps pour les gérants d’actifs de repenser leurs modèles. Et d’interroger, par là même, nos rapports aux biais cognitifs !