Méfions-nous d’un possible défaut des États-Unis
Le pays le plus puissant du monde se trouve à deux doigts d’un défaut de paiement auto-infligé. Heureusement, un expédient a été décrété jusqu’au 3 décembre, mais qui ne nous protège pas d’un scénario catastrophe. La secrétaire d’État américaine au Trésor, Janet Yellen, prévient qu’un défaut déclencherait une récession et un effondrement du marché actions, tandis que l’agence de notation Moody’s affirme quant à elle que les Américains auraient à « payer pour ce défaut pendant des générations ».
L’origine du problème provient de la polarisation de la politique américaine et de la toxicité des années Trump qui ont conduit près de 70 % des électeurs républicains à considérer comme illégitime la présidence de Joe Biden. En son temps, Barack Obama avait déjà dû faire face à une crise similaire, lorsque le Parti républicain avait également refusé de relever le plafond de la dette en 2011.
Si historiquement, le plafond de la dette est destiné à empêcher un Président d’augmenter les dépenses pour mener des guerres étrangères, il est aujourd’hui devenu un outil politique utilisé pour tenter de ruiner les plans de relance budgétaire de Joe Biden. L’objectif étant de permettre au Parti républicain de reprendre le contrôle du Congrès lors des élections de mi-mandat l’année prochaine et ainsi priver Joe Biden de tout pouvoir pendant le reste de son mandat.
La précédente crise du plafond de la dette de 2011, qui avait conduit à la dégradation de la note des États-Unis par S&P avait fait grand bruit à l’époque. S&P avait alors indiqué s’attendre à ce que la situation budgétaire des États-Unis se détériore au cours des années suivantes, ce qui s’est produit bien au-delà des prévisions, avec un déficit public passant de 80,7 % du PIB en 2015 à 103 % en 2021. Les dépenses liées à la pandémie sont certes en partie responsables de cette récente augmentation, mais ce chiffre reste néanmoins bien supérieur à ce qui est traditionnellement considéré comme prudent, à savoir 60 % maximum pour une économie notée AAA. À l’époque, S&P s’inquiétait également de l’absence de consensus bipartisan sur la politique budgétaire - des craintes encore plus fondées aujourd’hui.
Il faut donc s’attendre à de nouvelles dégradations de la note des États-Unis. Les emprunts d’État américains sont les piliers de l’économie mondiale auxquels toutes les obligations souveraines sont comparées. Leurs rendements servent de référence au taux sans risque pour l’économie mondiale à partir duquel sont valorisés les actions, l’immobilier et bien plus encore. On peut donc s’attendre à ce qu’un paiement de coupon non honoré provoque le chaos sur les marchés financiers internationaux.
Toutefois, il est peu probable que les investisseurs (y compris la Chine et le Japon, qui détiennent chacun plus de mille milliards de dollars d’emprunts d’État américains) acceptent une décote sur cette dette. Pourquoi une nation souveraine, à même d’imprimer sa propre monnaie, aurait-elle besoin de restructurer sa dette ?
Et c’est justement là que se trouve le nœud du problème avec les agences de notation. Le vrai risque aujourd’hui pour les investisseurs se situe davantage du côté de l’inflation. Un gouvernement pourrait provoquer de l’inflation dans le seul but de dévaluer sa dette (une inflation de 10 % réduit de moitié la charge « réelle » de la dette en 7 ans). Une note de crédit AA+ indique seulement que les investisseurs pourront récupérer la totalité de leur investissement à échéance mais ne prend pas en compte qu’une même obligation permettra d’acheter moitié moins de Big Mac en 2029. Et c’est précisément là où la méthodologie présente une défaillance.
En attendant, soyons prudents, car si la réputation des États-Unis en matière de budget et de pilotage des politiques est mise à mal, les répercussions sur les marchés et les économies risquent d’être importantes.
Jim Leaviss est directeur des investissements du pôle Public Fixed Income chez M&G Investments