Non coté : comment l’aborder de manière pérenne ?

Publié le 3 juillet 2024 à 12h11

Estelle Dolla    Temps de lecture 4 minutes

Avec l’ouverture de cette classe d’actifs à un plus large public, la question du bon timing d’investissement et du poids idéal au sein d’une allocation se pose désormais de plus en plus fréquemment.

C’est d’autant plus vrai qu’après l’effervescence de 2021 et 2022, l’année 2023 a été marquée par de nombreux signaux d’alerte. Un indicateur clé pour les fonds de capital transmission (fonds de buyout) est la valeur qu’ils parviennent à dégager lors de la cession de participations. Au niveau mondial, cette exit value a représenté 345 Md$ pour le secteur en 2023, selon Dealogic. Une chute de 44 % par rapport à 2022 et le niveau le plus faible enregistré depuis 2013. Depuis 2 ans, le niveau des sorties par introduction en bourse tourne au ralenti : de quoi inquiéter sur la création de valeur actuelle du private equity.

Mais les investisseurs habitués aux actifs cotés doivent réfléchir différemment lorsqu’il s’agit du private equity, dont le fonctionnement est assez différent. La notion de market timing est, certes, cruciale lorsqu’on parle de la bourse. Quand on achète des actions cotées, l’argent est immédiatement et totalement sujet aux risques. Il en va différemment du private equity, où les fonds demandent aux investisseurs un engagement sur un certain montant à apporter, mais vont lever l’argent progressivement, au cours de la période d’investissement, qui peut s’étaler sur 4 ou 5 ans. En quelque sorte, le private equity intègre nativement la technique d’investissement programmé souvent conseillée aux investisseurs en bourse pour lisser les points d’entrée.

Un autre élément important est le degré de maturité de chaque investisseur face à la classe d’actifs. Les fonds de private equity sont souvent très concentrés, il est judicieux de diversifier rapidement les risques entre plusieurs gérants, voire plusieurs segments de l’univers non coté. La bonne nouvelle, c’est qu’en progressant fortement depuis une décennie, le marché s’est considérablement diversifié. Les fonds nord-américains pèsent encore 54 % des quelque 13 000 Md$ d’actifs privés dénombrés par Preqin, le solde se répartissant équitablement entre Europe et Asie. Surtout, les fonds de buyout ne représentent que 30 % du total des actifs non cotés où l’on trouve d’autres segments proposant une palette très variée de profils de risque : des fonds de capital-risque (venture) investissant dans de jeunes pousses aux investissements dans l’immobilier, les infrastructures ou encore la dette privée. Un univers de possibles qui permet une vraie allocation des risques, comme on peut le faire dans l’univers coté.

Reste la question de savoir quelle part d’un patrimoine financier allouer au non coté. Le fonds de pension californien CalPERS, très habitué à la classe d’actifs puisqu’il a déjà investi dans plus de 350 véhicules non cotés, pousse les feux sur le non coté : il a annoncé en mars son intention d’augmenter l’allocation aux actifs privés de 33 à 40 % de son portefeuille. Mais tout dépend de l’investisseur et du niveau de liquidité dont il a besoin. L’exemple des family offices est intéressant : selon les chiffres de Preqin, ils avaient en moyenne 16 % de leurs actifs en non coté à fin 2023, ce qui constitue un retour à un niveau normatif après une poussée jusqu’à 20 % en 2020 et 2021. La crainte de l’illiquidité peut aussi influencer la typologie des actifs utilisés : la dette privée ou les investissements en secondaire permettent de réduire la durée d’investissement.

Le timing n’est donc pas forcément le critère principal en private equity. Il est plus important encore de savoir si on investit chez les bons gérants. Lors du pic d’activité de 2021, où les deals en private equity ont allègrement dépassé les 1 000 Md$, tous n’ont pas eu le même comportement : certains ont profité de l’euphorie pour vendre des participations et rendre l’argent à leurs investisseurs, tandis que d’autres ont pu se laisser emporter et investir avec précipitation l’argent levé. Plus encore que la connaissance des grands noms du private equity, comme 3i Group, KKR ou Blackstone – chacune de ces marques cachant désormais de multiples stratégies –, c’est la connaissance fine des équipes et de leur historique qui est source de valeur, dans un secteur où les écarts de performance entre les meilleurs et les moins bons sont considérables. 

Estelle Dolla présidente et cofondatrice ,  Private Corner

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