Non, les « Fallen Angels » ne déclenchent pas les chutes du marché High Yield !

Publié le 23 janvier 2019 à 11h20

Gilles Frisch

En deux décennies, le marché des obligations d’entreprise a connu plusieurs vagues de dé-gradations qui ont déclassé bon nombre d’émetteurs Investment Grade en « Fallen Angels », fameuse dénomination désignant les titres déchus en catégorie High Yield. L’analyse rétrospective de ces épisodes est riche d’enseignements, d’autant que ses conclusions sont contre-intuitives.

L’histoire de ces obligations correspond généralement à un parcours et des caractéristiques spécifiques différents de ceux des autres titres classés en catégorie spéculative : le plus souvent, les « anges déchus » sont des entreprises cotées avec une capitalisation boursière significative avec des souches d’émission bien plus importantes que la moyenne des émetteurs High Yield. Problèmes sectoriels, accidents individuels, retours à l’actionnaire par endettement supplémentaire sont à l’origine de la dégradation de leur note en catégorie High Yield et des flux significatifs de réallocation de portefeuille chez les investisseurs.

Les deux premières vagues de Fallen Angels (2002 et 2005) n’ont pas entraîné de repricing du marché High Yield

La première séquence de dégradations massives des années 2000 est celle des émetteurs IT. Cette vague s’étend sur une année, de mi-2002 à mi- 2003, soit à la fin de la crise des valeurs TMT. A l’issue de cette vague, les Fallen Angels représentaient 50% du marché High Yield européen et 32% du segment américain. Elle est intervenue dans un contexte où des titres Investment Grade traitaient à des niveaux décotés, des séries de défaut affectaient les opérateurs télécoms alternatifs et les câblo-opérateurs allemands et où la multiplication des scandales comptables justifiait une prime de risque « comptable » dans les spreads des titres.

Au moment des dégradations, les titres déchus traitaient à un spread supérieur à celui du reste du segment High Yield, témoignant d’une prime de risque spécifique aux Fallen Angels – prime qui a disparu au bout d’un an – tandis qu’aucun repricing de l’ensemble du marché High Yield n’a été observé pendant cette vague.

En 2005, les dégradations des géants automobiles General Motors et Ford ont provoqué des flux de plusieurs dizaines de milliards d’euros du marché investment grade vers le marché High Yield. A leur arrivée au sein du High Yield Euro (via leurs filiales financières captives, un secteur alors nouveau pour le marché), General Motors et Ford représentaient à eux seuls respectivement 22% et 10% du segment. Les spreads affichés lors de leur dégradation étaient plus de deux fois supérieurs aux spreads moyens du marché High Yield. Ces Fallen Angels ont créé de la volatilité, sans toutefois déstabiliser le marché. Pour preuve, en 2005, le segment High Yield connaissait sa troisième année consécutive de hausse.

2009, naissance de la thématique des financières High Yield

Une troisième vague de Fallen Angels a touché les émetteurs du secteur financier en 2009, un phénomène inédit puisqu’auparavant les obligations des banques et assureurs n’avaient quasiment jamais fait partie du segment High Yield. Ces dégradations intervenaient quelques mois après la faillite de Lehman Brothers et les spreads des titres concernés étaient supérieurs de plus de 1000 points de base à ceux du marché High Yield, reflet d’un risque de défaut accru au début de l’année 2009.

Les dégradations ont été entretenues par la réticence des intervenants de marché à investir dans les banques et assureurs, dont l’analyse crédit est très différente de celle des émetteurs industriels. Après la crise, cette séquence a eu des effets très positifs sur le marché, ayant permis l’émergence d’une thématique d’investissement High Yield financières qui permet aux investisseurs de diversifier leurs portefeuille au-delà du High Yield industriel.

2015, crise des secteurs pétrolier et minier

La baisse de plus de 50% du pétrole et des autres minéraux en 2015 a provoqué une quatrième vague de Fallen Angels, cette fois-ci cantonnée aux deux secteurs affectés. Ainsi un total de 60 milliards d’obligations a rejoint le High Yield américain de début 2015 à début 2016. Pendant cette période, ces deux secteurs ont connu pour 50 milliards de défauts cumulés, aussi cette vague de Fallen Angels a permis de remplacer les crédits ayant fait défaut par des leaders sectoriels de meilleures qualité de crédit avec des souches plus liquides. Cette vague n’a pas entraîné de repricing du marché High Yield mais les Fallen Angels en question ont représenté de très belles opportunités d’investissement.

Ces vagues sectorielles successives ont ainsi toutes démontré que les Fallen Angels ne déclenchent pas la chute de l’ensemble du segment. En effet lors d’une crise, les agences de notation commencent par dégrader les sociétés les plus fragiles (certaines font faillite par la suite) sans toucher aux leaders sectoriels qui sont protégés par leurs plus grandes parts de marché ainsi que leurs fondamentaux plus solides. Ces leaders sont dégradés à leur tour lorsque les agences constatent que la crise est systémique, ce qui arrive généralement en fin de crise. Les vagues de Fallen Angels arrivent ainsi en fin de crise au moment où les spreads du High Yield sont déjà très élevés et reflètent déjà les inquiétudes des investisseurs. Aussi ces Fallen Angels ne font pas décaler le marché High Yield.

A plus long terme, une fois l’effet flux passé, les séquences de dégradations ont toujours été positives pour le marché High Yield, avec une augmentation en taille, en liquidité et en profondeur du segment. Surtout, la plupart des Fallen Angels retrouvent après quelques années la catégorie Investment-Grade, générant un impact positif sur la performance. En somme, les épisodes de dégradations massives sont donc propices à l’accroissement des rendements, les émissions primaires des Fallen Angels se révélant souvent très lucratives!

Gilles Frisch

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