Pour l’instant, heureusement, ailleurs, tout va bien…

Publié le 25 novembre 2016 à 16h31    Mis à jour le 26 février 2019 à 11h43

Sébastien Barbe

L’économie américaine est en fin de cycle, mais résiste bien. La croissance chinoise en 2017 ne sera pas celle de 2016, mais inquiète moins. L’eurozone va mieux, mais dépend largement du reste du monde. C’est à l’intérieur que c’est inquiétant. Tout choc externe significatif provoquera l’«eurocrise 2.0».

Les membres de la BCE expliquent que la croissance et l’inflation sont mieux orientées grâce à leur action. On est tentés de les croire car, objectivement, l’eurozone va mieux : la croissance de la zone en 2016 (+ 1,6 %) sera similaire à celle des USA, l’inflation se redresse lentement, mais sûrement. La question du moment est de savoir quand et comment la BCE annoncera sa sortie du QE.

Ce qui est inquiétant, c’est que cela diverge à l’intérieur.

Depuis dix ans, les résultats de la zone euro sont mitigés : sur le critère croissance par habitant, quand l’Américain se situe en moyenne à + 3 % de son niveau précrise, l’Eurolandais est à - 1 %. Mais ce qui est frappant, c’est la disparité : si l’Allemand est à + 6 %, le Grec est à - 25 %, l’Italien à - 12 %, le Finlandais à - 8 %, l’Espagnol à - 6 % et le Français à - 1 %.

L’euro a été conçu pour faire converger les économies. On constate en réalité qu’elles divergent : pour faire très simple, dans un pays «sûr», les capitaux en euros affluent, le chômage est plus faible, l’investissement public est moins contraint et permet d’anticiper les besoins futurs (éducation, infrastructures, technologies), le niveau de vie s’améliore, la main-d’œuvre qualifiée y immigre. Dans un pays moins «sûr» les capitaux en euros s’en vont, les finances publiques sont épuisées (le pays investit peu pour l’avenir et doit de surcroît relever les impôts), les banques et les PME vont mal, le chômage est très élevé, la main-d’œuvre qualifiée émigre. De plus, en l’absence de risque de change dans la zone, quand une multinationale choisit d’y investir, une seule implantation peut suffire. La décision de choisir un pays moins «sûr» dépend donc de la décote du coût du travail ou des subventions dont la multinationale profiterait. Ces divergences ne sont donc pas conjoncturelles, mais structurelles.

Pour les pays moins «sûrs», on impose plus de réformes, de libéralisation, d’ouverture pour harmoniser. Or, quand la règle devient commune, le plus fort devient plus fort, le plus faible plus faible encore. Régime de change fixe oblige, la seule dévaluation possible est interne. Le cas de l’Espagne est très parlant : on estime que, pour que l’économie ait pu repartir, et que l’on s’en félicite, les salaires des fonctionnaires ont baissé de 20 % et ceux du privé de 40 %, incitant des centaines de milliers d’Espagnols à aller tenter leur chance ailleurs. Le déficit commercial vis-à-vis de la France est devenu un excédent, ce qui décale le besoin de réformes sur son voisin. Les remèdes utilisés ont donc un caractère déflationniste profond.

Si, à l’image des USA, la zone euro dispensait ses membres des questions de sécurité, de chômage ou d’assurance-maladie, cela apporterait des éléments de compensation à cette mécanique déflationniste et divergente. Mais ce n’est pas le cas. Le budget européen est déjà infime et en baisse. Le QE de la BCE, lui, est gigantesque. Il se heurte à une pénurie d’actifs à acheter et nécessite une modification des règles pour continuer. Parmi les options, il y a l’idée de ne plus respecter la clé de répartition : la BCE achète aujourd’hui au prorata des rapports de PIB et de populations. Cela conduit d’un côté à des taux aberrants sur les pays «sûrs» (ruinant ainsi le système financier et les fonds de pension) et de l’autre à un impact trop faible sur les taux des pays moins «sûrs». Le fait même que cette idée rencontre un véritable obstacle politique est très inquiétant quant aux vraies motivations ou capacités à faire fonctionner l’euro.

Si rien n’évolue d’ici le prochain choc externe, la divergence à venir sera encore plus grave. Avec les mêmes remèdes, qui expliquera aux peuples qui ont déjà fait des efforts considérables qu’ils sont condamnés à en faire davantage ? Quant à convaincre les Français et les Italiens de s’y mettre…

C’est donc avec cette épée de Damoclès qu’il faut gérer ses portefeuilles, en espérant que le reste du monde continuera à danser afin que nos problèmes internes restent invisibles. 

Sébastien Barbe

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