Publier les émissions de Scope 3 : une nécessité impérieuse pour les entreprises
La mesure des émissions indirectes d’une entreprise dans leur intégralité (Scope 3) reste aujourd’hui encore insuffisante. En effet, le CDP (ex Carbon Disclosure Project) nous apprend que 53% des émissions les plus polluantes, souvent associées au Scope 3, ne sont pas encore calculées. C’est pourtant une notion cruciale pour mieux cerner le chemin à parcourir en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et rester ainsi dans la trajectoire de l’Accord de Paris. Face à ce constat, les gestionnaires d’actifs doivent jouer un rôle.
Le Scope 3 : une notion encore mal connue…
Le Scope 3 s’inscrit en complément des Scopes 1 et 2, qui évaluent respectivement les émissions de gaz à effet de serre directes et les émissions indirectes liées à la consommation d’énergie. Ainsi, il mesure les émissions indirectes de l’entreprise dans leur intégralité, pour chaque étape de la chaîne de valeur. L’extraction de matières premières par l’entreprise, par exemple, ou le transport des salariés et des clients, occasionnent des émissions qui relèvent de ce Scope. On distingue alors les émissions en amont (upstream) de la production, qui incluent notamment le rôle des fournisseurs, et les émissions en aval (downstream), qui impliquent l’usage des produits et services jusqu’à la fin de leur cycle de vie. Il n’est donc pas étonnant que ce Scope représente la part la plus conséquente des émissions d’une entreprise. Selon une étude du Réseau Action Climat publiée en 2016, le Scope 3 peut aisément représenter 3 à 4 fois le montant cumulé des scopes 1 et 2 !
Cette mesure est d’autant plus nécessaire que pour certains secteurs (chimie, construction, automobile, etc.), le scope 3 est particulièrement important rendant de facto la simple publication des scopes 1 et 2 insuffisante, voire trompeuse. A titre d’exemple, le rapport RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises) de Daimler paru en 2021 souligne que 98% des émissions totales du groupe sont de type Scope 3.
Un indicateur complexe et difficile à mettre en œuvre…
En pratique, la mesure du Scope 3 s’avère complexe. En effet, la production d’une entreprise implique beaucoup de transactions avec les fournisseurs en amont, ce qui entraîne de larges volumes d’opérations à étudier, avec des risques d’oublis ou de prise en compte multiple des émissions. Sans compter que de nombreux fournisseurs ne sont pas transparents sur leurs propres émissions ou n’ont pas les ressources nécessaires pour les mesurer rigoureusement. Car ce calcul exige des moyens techniques et humains conséquents, à savoir des investissements technologiques et le recrutement de collaborateurs très qualifiés. Il soulève la question de qui de l’entreprise ou du gestionnaire d’actifs doit se charger de ces mesures.
La difficulté majeure du Scope 3 réside donc dans la collecte des données nécessaires à son calcul, que les gestionnaires d’actifs peinent parfois à assurer tant les parties prenantes sont nombreuses et les processus de reporting différents de l’une à l’autre. A cela s’ajoutent des débats autour de la méthodologie à adopter, surtout pour ce qui concerne le cycle de vie des produits et les émissions causées en aval.
…mais nécessaire, et présentant de nombreux aspects vertueux
Pour un gestionnaire d’actif, investir dans la mesure du Scope 3 permet une prévention et une meilleure gestion des risques de ses fonds. En effet, que ce soit pour estimer la dépendance d’une activité à certaines matières premières, sa solidité sur le long-terme ou son exposition à de potentielles sanctions règlementaires, il permet d’identifier des fragilités dans son modèle. Le suivi nécessaire à l’évaluation du Scope 3 permet également de renforcer les relations des entreprises partenaires avec les différentes parties prenantes, et notamment les investisseurs, sur une base d’échange et de transparence lors de la communication des différentes données, avec la mise en place de processus dédiés.
Enfin, plus globalement, il est capital de s’inscrire dans une trajectoire climatique afin de répondre aux exigences des clients et des législateurs. Ainsi, Daimler a utilisé les conclusions du rapport RSE précédemment mentionné pour définir une trajectoire stratégique de réduction de son bilan CO2 conformément aux normes SBTI et aux Accords de Paris[i], via l’électrification.
Il est urgent de mobiliser les ressources nécessaires pour aller de l’avant
Plusieurs documents sont disponibles pour accompagner les entreprises et gestionnaires dans l’analyse de leur bilan carbone, produits notamment par l’ADEME, le GHG Protocol, et autres bureaux d’études spécialisés dans la question. En outre, des cabinets de conseil ont émergé au long des dernières années pour s’emparer de la question et assister leurs clients, avec notamment Carbone 4, qui préconise l’introduction du Scope 4, à savoir les émissions évitées. Ce nouvel instrument vient alimenter la réflexion stratégique en prenant en compte le parcours total des entreprises et de leurs produits, y compris leurs effets positifs en aval de la production. Ainsi, d’après Carbon4 Finance, le Scope 4 de Saint-Gobain révèle que l’entreprise a permis d’éviter des émissions 2,7 fois[1] plus importantes que celles émises dans le cadre de son Scope 3. On constate par conséquent une forme d’équilibre carbone dans l’activité du groupe, lié à la nature de sa production.
Un exemple dont il faut s’inspirer, et qui laisse penser que les entreprises doivent aujourd’hui publier leurs émissions de Scope 3 sous l’impulsion de leurs investisseurs. Transparence et proactivité devront être les maîtres-mots pour assurer leur transition énergétique, la satisfaction de leurs clients et la confiance des actionnaires.
[1] Source : ©Carbon4 Finance, 2022ss
[1] Source : sustainabilityreport.daimler.com/2020/reporting/climate-protection-and-air-quality/climate-protection.html
Anaïs Cassagnes et Stéphane Cuau sont membres de l’équipe ESG chez Amplegest
Anaïs Cassagnes et Stéphane Cuau