Qui a raison sur l’inflation ?

Publié le 23 avril 2025 à 15h54

Frédéric Leroux    Temps de lecture 5 minutes

Depuis quatre ans, d’importantes tendances structurelles qui orientent les prix à long terme se sont retournées de façon simultanée. Elles constituent désormais pour l’inflation, depuis 2021, un vent dans le dos pour les dix ou quinze années qui viennent après lui avoir opposé pendant 40 ans un puissant vent contraire. L’analyse plus répandue et plus consensuelle fondée sur l’étude du cycle des affaires conclut au contraire à envisager un retour durable de l’inflation vers la cible des 2% dans les grandes zones économiquement avancées, même si la politique tarifaire de Trump fragilise momentanément cette lecture pour les Etats-Unis au-moins.

Le business cycle pour anticiper la dynamique à long terme des prix fournit-il la bonne perspective ? Jerome Powell nous indiquait en 2021 que l’inflation - qu’il n’avait pas vu venir - ne serait que transitoire. La rupture des chaînes de production causée par le Covid et ses confinements, aggravée ensuite par les ruptures d’approvisionnement énergétique liées à la guerre en Ukraine allaient se résorber et permettre à l’économie de retrouver ses sacro-saints 2% d’inflation. Le président de la FED s’est un peu trompé sur l’ampleur de la hausse des prix qui a tangenté les 10% et sur la durée de la poussée inflationniste. L’été dernier, alors que l’inflation américaine revenait vers sa cible, le président de la Fed réitérait son analyse de 2021-2022 sans y ajouter la moindre référence à l’impact de forces plus structurelles. Quatre décennies de désinflation ont créé une conviction forte sur l’aptitude permanente de l’économie et des banquiers centraux à produire une croissance convenable, sans inflation. Le choc Trump, au-delà de ses effets inflationnistes qui devraient se concentrer à court terme sur les Etats-Unis, aura surtout des effets récessifs, donc désinflationnistes à terme. Ceux qui se fondent sur le cycle court terme des affaires pour prévoir l’inflation future en sont d’autant plus convaincus que les productions qui ne trouveront plus leur débouché habituel aux Etats-Unis devront s’écouler à vil prix partout ailleurs. Ils ajoutent généralement à cette lecture les effets déflationnistes de l’Intelligence Artificielle qui, via des licenciements massifs, ne vont plus tarder à se manifester et concluent que l’inflation n’est plus un sujet.

Cette approche a bien sûr ses mérites et ne saurait être balayée d’un revers de main. Mais ce type d’analyse, exclusivement fondé sur le court terme est rarement opérant pour anticiper le régime futur d’inflation. On en a eu un aperçu potentiel avec la vision erronée des banquiers centraux en 2021, 2022. On en a eu un autre, effectif, sous l’ère d’Alan Greenspan, père du central banking moderne, qui évoquait un « conundrum » - un mystère - pour faire part de son incompréhension d’une inflation et de taux d’intérêt très bas dans la deuxième partie des années 90. Dans ces deux cas emblématiques de mauvais jugement ou d’incompréhension, l’erreur fut probablement de se focaliser sur le court terme et de négliger les grandes forces structurelles « au-dessus » du cycle économique.

Dans les années 90, comme c’était le cas depuis 1980 qui marqua le sommet de l’inflation américaine et européenne après 15 ans d’ascension cyclique des prix, cinq grandes forces au moins se liguaient pour limiter l’inflation. Il s’agissait pour la première d’une tendance démographique lourde qui, en augmentant chaque année le poids des épargnants dans l’économie des principaux pays, faisait croître le capital disponible pour l’investissement et les gains de productivité.

La deuxième force était celle d’une géopolitique pacifique très favorable aux affaires, qui amplifia le développement de la mondialisation entamée à la fin de la deuxième guerre mondiale et permit la désinflation ricardienne. La troisième était une croissance forte et continue de la production d’énergie, très favorable à la croissance économique après deux chocs pétroliers aux effets stagflationnistes. La quatrième force était une sociologie très favorable à l’efficacité économique après l’écœurement provoqué par quinze années d’inflation et la cinquième, une pyramide des âges chinoise qui inondait le monde de produits bon marché fabriqués par une main d’œuvre jeune et pléthorique.

Ces grandes tendances ont annihilé l’inflation, jusqu’à ce que la réouverture économique post Covid fournisse l’étincelle inflationniste que nourriront vraisemblablement pour de nombreuses années le retournement simultané de ces cinq forces. Reprenons-les dans l’ordre : une démographie qui réduit désormais la part des épargnants dans la population, une géopolitique qui se tend de toutes parts et s’avère de moins en moins propice à la désinflation par les échanges commerciaux, une énergie qui se renchérit sous l’effet de la transition énergétique et des tensions géopolitiques, une sociologie de plus en plus étrangère à la valeur travail et, enfin, une absence d’un substitut organisé à la Chine pour peser sur les salaires mondiaux.

Ces facteurs de long terme ne seraient-ils pas plus naturellement aptes qu’une analyse du cycle économique de court terme à anticiper l’inflation à moyen terme ? L’inflation dont nous parlons a connu un premier pic fin 2022 en Europe et aux Etats-Unis. La deuxième vague a probablement déjà commencé aux Etats-Unis et il est dangereux de croire qu’elle s’y cantonnera ou qu’elle ne sera pas suivie d’autres vagues. Les tendances structurelles, longues, s’imposent en effet à l’ensemble des économies avancées et au-delà, comme les tarifs douaniers de Trump, qui sont une conséquence et une accélération du retournement de la tendance géopolitique (et commerciale) structurelle vers une démondialisation inflationniste.

Cette approche presque déterministe de l’inflation n’est ni classique, ni consensuelle mais sa rationalité propre semble suffisamment prégnante pour que nous l’intégrions, au-moins un peu, dans notre stratégie d’investissement. Le retour structurel de l’inflation aurait de tels effets sur la valorisation de tous les actifs qu’une telle approche ne peut pas non plus être balayée d’un revers de la main.

Frédéric Leroux gérant global ,  Carmignac

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