Valeurs technologiques : pourquoi la crise de 2022 n’est pas comparable avec celle de 2000

Publié le 8 février 2023 à 14h55

Philippe Vialle et Isabelle Dutertre    Temps de lecture 4 minutes

La chute des valeurs technologiques en 2022 n’est pas inédite. Elle renvoie à la violente correction boursière du début du siècle engendrée par l’explosion de la « bulle internet ». Pourtant, le secteur technologique a largement gagné, au cours des deux dernières décennies, en profitabilité et en maturité.

Les investisseurs positionnés sur les valeurs technologiques, en particulier américaines, se souviendront longtemps du millésime 2022. Entre son sommet de fin 2021 et son point bas, l’indice Nasdaq-100 a chuté de 36% et un tiers de sa valeur en 2022. Cette déroute des « valeurs techs » interroge. Elle renvoie à l’éclatement de la « bulle internet » au début des années 2000. Entre le sommet de la bulle et le point bas, le Nasdaq avait alors dévissé de 78% ! Mais peut-on comparer ces deux crises de croissance des valeurs technologiques ?

Un petit retour en arrière s’impose. En 1999-2000, le passage au nouveau millénaire a coïncidé avec le développement de l’accès à internet auprès du grand public et l’arrivée du haut débit dans le monde professionnel (entreprises, universités etc.). Beaucoup d’investissements avaient été réalisés à cette époque par les opérateurs, dépenses qui ont profité aux équipementiers du secteur (Cisco, Alcatel etc.), aux fabricants d’ordinateurs PC (HP, Dell...) ou aux spécialistes des micro-processeurs (Intel, AMD, etc.) en passant par les FAI (fournisseurs d’accès à internet) et autres agences web. Cette frénésie d’investissement a poussé les valorisations de ces acteurs à des niveaux très élevés alors même que beaucoup de sociétés présentaient des business model très peu viables sur longue période. Les investisseurs ont manqué de discernement. La vague d’introductions en bourse a contribué à alimenter ce phénomène. De nombreuses entreprises sont ainsi parvenues à réaliser des levées de fonds décorrélées de toute rationalité économique.

Cet emballement du début du millénaire n’est pas comparable avec la frénésie observée sur les valeurs technologiques en 2020/2021 jusqu’à la correction de 2022. La digitalisation de la société se trouve à un stade bien plus avancé et les entreprises en question présentent des situations financières beaucoup plus profitables. En outre, l’arrivée de la pandémie de la Covid-19 en mars 2020 et l’irruption du premier confinement ont accéléré un phénomène déjà à l’œuvre, celui de la transition numérique, profitant aux fabricants de PC et de smartphones. L’émergence du télétravail a entraîné un boom de la demande pour les outils de visioconférence, pour les infrastructures cloud, les logiciels de cybersécurité ou les logiciels en SaaS (Software as a Service). Certes, les grands acteurs du cloud comme Microsoft ou AWS (Amazon) sont actuellement confrontés à un ralentissement de leur croissance qui justifie la baisse de leur valorisation, sans pour autant remettre en question leur activité à plus long terme.

Un contexte difficile en 2023 mais des perspectives favorables à moyen-long terme

Depuis l’an dernier, le contexte macroéconomique n’est pas favorable aux valeurs « techs ». La hausse des taux pénalise les valeurs de croissance, notamment cellesqui ont recours à l’endettement et qui doivent s’habituer à cette nouvelle donne. Par ailleurs, les entreprises technologiques sont confrontées à certaines difficultés apparues lors de la crise sanitaire, notamment dans le secteur clé des semi-conducteurs. Une dépendance qui se transforme en risque majeur quand les chaînes d’approvisionnement ne fonctionnent plus.  C’est tout l’enjeu du EU Chips Act qui doit permettre à l’UE de devenir un leader mondial des semi-conducteurs. Dans cette activité stratégique, les acteurs européens peuvent même parvenir à tirer leur épingle du jeu, à l’instar du néerlandais ASML qui maîtrise la technologie de lithographie par UV extrême permettant de réaliser des finesses de gravure inédites.

Le rebond observé sur les valeurs technologiques depuis le début de l’année montre déjà un changement de l’état d’esprit des investisseurs après la correction de l’an dernier. Les investisseurs anticipent une récession plus faible qu’attendu même si la perspective du « pivot » de la Fed reste encore incertaine à nos yeux. Mais au-delà de la conjoncture de ce premier trimestre 2023, les investisseurs doivent réfléchir aux tendances de moyen-long terme qui dessineront l’économie et la société de demain. A ce titre, les investissements dans le cloud, la cybersécurité et l’IA seront amenés à augmenter au cours des prochaines années. Il convient donc de rester optimiste et de replacer la correction de 2022 comme une crise de croissance dans un processus séculaire de digitalisation.

Philippe Vialle et Isabelle Dutertre Gérant actions et analyste TMT ,  Groupama AM

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