L’Asie, fer de lance de la transition énergétique

Publié le 5 octobre 2022 à 17h03

Mathieu Nègre    Temps de lecture 5 minutes

La récente décision de la Chine de suspendre sa coopération avec les Etats-Unis dans la lutte contre le changement climatique tombe très mal, l’Asie ayant un rôle toujours plus important à jouer dans ce domaine.

La prise de conscience de la nécessité d’une transition énergétique est intervenue plus tard en Asie qu’en Europe, ceci se justifiant notamment par le fait que l’Asie représente une plus faible part des émissions historiques. Lors du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992, elle était responsable de seulement 16,5% des émissions historiques. Mais ces trente années d’urbanisation et de succès industriel ont transformé le paysage et, selon les dernières données, le chiffre est désormais de 31% pour l’Asie, tandis que celui des vieilles nations industrielles (Europe, Etats-Unis) a reculé à 46% (contre 61% en 1992). La part des émissions provenant de l’Asie devrait d’ailleurs continuer à croître.

Ce qui est vrai des émissions l’est aussi de plus en plus des solutions à apporter. L’énergie solaire, par exemple, est une proposition plus solide aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a dix ans. Dans de nombreux pays, elle est à présent compétitive sans subventions, en raison principalement des baisses de coûts réalisées parallèlement au développement des sociétés solaires chinoises, dont la part de marché dépasse désormais les 80% dans la plupart des secteurs de la chaîne d’approvisionnement[1].

De même, les dix plus grands constructeurs de batteries pour véhicules électriques sont situés en Asie, et ils ont largement contribué au fort rebond actuel des ventes sur ce segment. Les entreprises asiatiques jouent aussi un rôle majeur, voire crucial, dans le développement de l’énergie éolienne, des trains à grande vitesse, des vélos, et également de nombreux semi-conducteurs renforçant l’efficience énergétique à travers le monde. Et la liste est loin d’être exhaustive.

Les start-ups asiatiques se distinguent aussi de plus en plus. Bloomberg NEF[2] a récemment publié une étude sur les «climate unicorns»[3], selon laquelle 13 entreprises asiatiques ont déjà acquis ce statut, ce qui fait de l’Asie la région la plus représentée après l’Amérique du Nord, mais devant l’Europe.

Rien d’étonnant donc à ce que, par le passé, les diplomates se soient efforcés, même en cas de désaccords politiques, de faire valoir une exception pour ce qui relève des questions climatiques. Nous l’avons d’ailleurs constaté lors de la COP26 à Glasgow, où, malgré une situation géopolitique tendue, les Etats-Unis et la Chine ont publié une déclaration commune rappelant au monde entier leur intention de remédier au changement climatique «au travers d’une coopération dans les processus multilatéraux»[4]. Nous l’avons vu aussi en juin dernier, lorsque la Maison-Blanche a annoncé une pause de deux ans pour les droits tarifaires à l’importation de panneaux solaires.

Preuve de l’interdépendance entre les entreprises, le fabricant de batteries chinois BYD a indiqué en juin qu’il fournirait prochainement Tesla. Les autres fournisseurs de batteries (connus) de la société américaine sont, bien sûr, des entreprises asiatiques également. Tesla continue aussi de miser sur la Chine, avec une potentielle nouvelle usine près de sa ‘Shanghai Gigafactory’.

Il est donc logique qu’un nombre croissant d’acteurs de la région s’engagent en faveur d’une réelle transition énergétique. La situation a commencé à évoluer à l’échelle des pays. En septembre 2020, la Chine a ainsi surpris en montrant sa volonté de contribuer à la neutralité carbone, puis tout s’est accéléré dans les quinze mois qui ont suivi avec l’engagement du Japon, de la Corée du Sud et de l’Inde envers le ‘net zero’.

Ce mouvement tend également à se confirmer au niveau des entreprises, toujours plus nombreuses à rejoindre des ‘initiatives climat’. Selon le dernier rapport de la SBTi (Science-Based Target Initiative), 449 sociétés asiatiques disposaient d’objectifs fondés sur des données scientifiques («science-based targets») approuvés fin 2021, soit 20% du total, l’Asie détrônant ainsi l’Amérique du Nord[5]. Notons aussi que le niveau d’accélération parmi les «sociétés à fort impact» est similaire à celui en Europe, et ceci est de bon augure vu le chemin à parcourir car la majorité d’entre elles n’a toujours pris aucun engagement en ce sens.

Considérer l’Amérique du Nord et l’Europe comme pouvant seules montrer la voie dans la transition énergétique n’est plus possible. La suspension de la coopération de la Chine avec les Etats-Unis est donc préoccupante étant donné les craintes sur les conséquences du dérèglement climatique. Impossible de savoir quand elle reviendra sur sa décision, mais le plus tôt sera le mieux vu l’urgence des actions à mener. Pour les décideurs clés de la région, c’est là l’opportunité de continuer à faire preuve de leadership et aller de l’avant car le succès de la transition énergétique mondiale ne peut s’envisager sans l’Asie.

[1] ‘Solar PV Global Supply Chains: An IEA Special Report’, Juillet 2022

[2] ‘More Climate Unicorns Are Set to Join the Herd in 2022’, Bloomberg NEF, 28 juin 2022.

[3] Il s’agit des start-up ‘licornes’ évaluées à USD 1 milliard ou plus, et contribuant à résoudre une problématique directement en lien avec le changement climatique.

[4] www.carbonbrief.org/china-briefing-11-november-2021-us-china-glasgow-declaration-calls-for-concrete-actions-xis-absence-at-cop26/

[5] L’Amérique du Nord fait référence, dans ce rapport, aux Etats-Unis et au Canada.

Mathieu Nègre gérant de portefeuille, Actions Impact Marchés émergents ,  UBP

Mathieu Nègre est gérant de portefeuille, Actions Impact Marchés émergents à l’UBP

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