Table ronde

Gestion active versus gestion passive : ce débat fait-il encore sens ?

Publié le 5 mai 2017 à 16h10    Mis à jour le 27 juillet 2021 à 10h53

Propos recueillis par Catherine Rekik

Durant plusieurs décennies, gestion active et gestion passive se sont opposées sur le plan académique. Si plusieurs études ont démontré que la gestion passive était plus performante, du fait notamment de frais de gestion moins élevés, la gestion active n’a pourtant pas dit son dernier mot. Aujourd’hui, l’affrontement entre gérants actifs et gérants passifs semble pourtant dépassé. Les deux approches se sont enrichies mutuellement et sont de plus en plus souvent combinées pour proposer aux investisseurs des solutions d’investissements capables d’offrir à la fois du rendement et une meilleure maîtrise des risques. Ainsi, pour exprimer leurs convictions, de nombreux gérants actifs peuvent avoir recours à des fonds passifs tandis que les gérants passifs intègrent en amont de nouvelles contraintes et proposent des produits de plus en plus sophistiqués.

Evolution des gestions passive et active

Quel regard portez-vous sur l’évolution de la gestion active et de la gestion passive ces dernières années ? Et sur leur éventuelle opposition ?

Cédric Baron, responsable des stratégies multi-assets, Generali Investments : En tant que gérant multi-asset, une fois une allocation cible déterminée, la question du support d’investissement se pose naturellement. A ce stade, le choix gestion active/gestion passive fait partie des critères de sélection. Faut-il investir en titres vifs et tenter de générer de l’alpha via une sélection d’actions ou d’obligations, ou bien chercher uniquement à capter le bêta d’un marché via des ETF, des fonds indiciels ou des futures ? Ces questions se posent pour chacune des classes d’actifs dans lesquelles nous souhaitons investir dans une logique espérance de rendement/coûts. Le développement de l’offre ETF en gestion passive permet l’accès à un très large spectre de marchés et de classes d’actifs, rendant le choix gestion active/gestion passive d’autant plus présent.

Marlène Hassine, responsable de la recherche ETF, Lyxor Asset Management : Ces vingt dernières années, la gestion passive et les ETF sont venus révolutionner la gestion traditionnelle. La gestion passive a apporté du nouveau en termes d’offre, de gammes et en termes de coûts mais aussi de performance. Elle a mis en lumière les performances moyennes de certaines gestions actives par rapport à leurs indices de référence. Aujourd’hui, les ETF sont aussi un outil à la disposition de la gestion active.

Katia Coudray, CEO, SYZ Asset Management : Nous gérons à la fois des solutions pures en actions et en obligations et des fonds multi-actifs. Nous sommes des utilisateurs de solutions passives pour nos fonds d’allocation d’actifs quand les gérants cherchent du bêta. Les deux types de gestions ne s’opposent pas : elles sont complémentaires. Ces solutions passives permettent d’élargir l’univers d’investissement et permettent une exposition à moindre coût à certains secteurs, certains marchés ou facteurs.

Aujourd’hui, la gestion active suscite des doutes sur sa capacité à générer de l’alpha. Ce sont souvent les moyennes des univers d’investissement des gérants actifs qui sont prises en compte. Or, ces moyennes comportent plusieurs limites notamment parce qu’elles incluent aussi des gestions passives. Par ailleurs, il faudrait faire une analyse plus approfondie de ce qu’est l’alpha. L’autorité européenne, l’ESMA, a ouvert le débat il y a un an. La gestion active est définie par un «active share» d’au moins 60 %. Si ces moyennes étaient retraitées chez tous les gérants actifs qui affichent un «active share», c’est-à-dire, le pourcentage du portefeuille d’un gérant actif différent de son benchmark, inférieur à 60 %, les résultats seraient différents. La question est donc de savoir ce qu’est vraiment une gestion active.

Franck Nicolas, directeur investissement et solutions clients, Natixis Asset Management : En tant que responsable d’une plateforme de gestion multi-asset, le recours à des gestions passives que nous combinons avec des gestions actives est fréquent. L’organisation de notre groupe en multi-boutiques nous donne accès à des gestions actives dans pratiquement tous les domaines. Nous les mixons dans des portefeuilles cross-assets, de façon à conserver les gestions actives sur des horizons de moyen terme, afin de permettre aux gérants de délivrer leur alpha. Inversement, les gestions passives sont utilisées pour donner des impulsions tactiques très précises sur des secteurs, des pays, des facteurs ou des thématiques.

Aujourd’hui, la gestion passive rejoint également la gestion active dans la construction de portefeuilles plus élaborés. Il ne s’agit pas d’une gestion fondée sur les choix discrétionnaires des gérants, mais ce n’est pas non plus une gestion basée sur les «market caps». C’est un algorithme qui comporte une certaine forme d’intelligence et qui permet de construire des portefeuilles autrement, sur des techniques smart beta.

Marlène Hassine : Le développement d’une offre smart beta permet une certaine convergence entre la gestion active et la gestion passive. Cela a modifié de façon concrète le paysage. Aujourd’hui, grâce à la révolution technologique et aux avancées de la théorie financière, nous avons accès à une nouvelle offre de gestion. Les outils et les analyses statistiques développés ont permis d’intégrer des indices plus sophistiqués. Il peut y avoir du smart beta complètement passif mais aussi du smart beta actif, avec une intervention plus discrétionnaire dans le modèle. Tout dépend également des clients et des gestions sur lesquelles ils se sentent le plus à l’aise.

En dehors des évolutions technologiques, peut-on considérer que l’évolution des marchés depuis 2008 a également contribué à la montée en puissance de la gestion passive ? Les différentes crises ayant mis à mal les performances de certaines gestions actives, les gérants n’ont-ils pas été contraints de s’intéresser plus à ces outils passifs ?

Cédric Baron : La crise de 2008 a été en premier lieu une crise de liquidité. Depuis, la liquidité est devenue un critère de sélection prépondérant pour les investisseurs. L’exposition à un bêta via des outils passifs permet de s’assurer d’une certaine liquidité et d’un niveau élevé de transparence. A ce titre, la gestion passive a su répondre aux exigences des investisseurs. En détenant un ETF, un gérant a une connaissance précise des composants de l’indice répliqué et évite donc toute mauvaise surprise de ce point de vue. Par ailleurs, la forte liquidité qu’offrent ces produits rend leur utilisation idéale pour l’implémentation d’allocations flexibles et réactives.

L'impact du développement des ETF

Le développement des ETF a cependant suscité des inquiétudes sur la liquidité…

Marlène Hassine : La croissance exponentielle du marché des ETF, estimé à 3,5 trillions de dollars, a en effet suscité un débat sur le potentiel impact sur le risque systémique global des marchés financiers. Beaucoup de chiffres ont remis les choses à leur place. Quand on regarde en moyenne ce que représentent les ETF en pourcentage de détention des sous-jacents, les chiffres sont plutôt faibles, de l’ordre de 2 % à 3 % des sous-jacents en fonction des classes d’actifs.

La question peut donc se poser mais elle est à relativiser. Pour y répondre de façon académique, Lyxor a lancé une initiative de recherche sur les ETF. L’an dernier, un chercheur s’est penché sur le marché des obligations corporate pour déterminer le pourcentage de détention des obligations corporate par les ETF : le résultat est de 1 % aux Etats-Unis et de 1,5 % en Europe !

Franck Nicolas : La détention de véhicules notamment sur les actions américaines passe de plus en plus souvent par les ETF.

Marlène Hassine : Certes, mais compte tenu de la liquidité des marchés actions américains, le pourcentage de détention reste à un niveau plutôt faible.

Katia Coudray : La question va se poser à l’avenir avec la croissance des ETF obligataires. Pour l’instant, ils ne sont pas aussi développés que les ETF actions mais une croissance trop importante peut poser problème à moyen terme.

Marlène Hassine : Il faut donc se poser les bonnes questions y compris au niveau réglementaire pour savoir si, sur certains marchés, il n’y aurait pas, par exemple, de taille maximale à respecter.

Katia Coudray : Pour revenir à la question de l’intérêt pour les ETF influencé par l’environnement des marchés depuis la crise de 2008, je pense que la réponse est oui. Il suffit d’observer les performances des marchés depuis le rebond en mars 2009. La performance des marchés américains est de 15 % par an en moyenne avec une volatilité assez faible sur cette période, celle des marchés européens est proche de 10 %. Le bêta a généré la partie la plus importante des revenus durant ces dernières années. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles, pour des raisons tactiques, l’investisseur met l’essentiel de sa réflexion dans l’allocation stratégique d’une classe d’actifs et donne moins de priorité à l’alpha. La directionnalité des marchés a été un facteur très important dans l’accélération de l’utilisation des ETF.

Sur des marchés moins directionnels à l’avenir, les ETF seraient donc moins utilisés ?

Katia Coudray : Pour un gérant actif, cela suppose en tout cas d’avoir plusieurs styles et d’être capable d’apporter une dimension de timing et d’allocation pertinente. Quand je parle de gérant actif, je me réfère une nouvelle fois à la définition de l’ESMA, c’est-à-dire une «active share» supérieure à 60 %. Tous les gérants en dessous de ce seuil sont appelés les «closet indexers». Chez SYZ, nos portefeuilles actions ont une «active share» de 90 %, ce qui les rend très complémentaires par rapport aux ETF.

Pour un gérant vraiment actif, la progression des ETF est plutôt une bonne chose car elle amène beaucoup de flux sur les plus grosses capitalisations, ce qui lui donne la possibilité de dénicher des pépites parfois sous-évaluées. C’est de cette façon que les gestions passives et actives se nourrissent. De même, dans l’allocation d’actifs, pouvoir obtenir du bêta à faible coût permet au gérant actif d’avoir des solutions rapides pour gérer une allocation dynamique.

Franck Nicolas : Depuis 2008, nous avons assisté à l’essor des gestions passives et à la baisse continue des taux d’intérêt avec les Banques centrales à la manœuvre. Beaucoup d’études ont montré que la volatilité a disparu des grandes classes d’actifs directionnelles et se situe désormais en dessous, c’est-à-dire dans des sous-segments des classes d’actifs traditionnelles ou sur des horizons de temps différents. Nous le constatons au travers des rotations thématiques, parfois extrêmement violentes, alors qu’il ne s’est rien passé sur la volatilité de l’indice global. Nous l’avons vu en 2016 et depuis le début de l’année. Nous pouvons supposer que la gestion passive contribue à cela ou, en tout cas, que grâce à elle, certains investisseurs peuvent orchestrer des changements de cap très significatifs dans les allocations d’actifs. Dans le passé, les mouvements étaient plutôt liés aux décisions des stock-pickers qui ne faisaient pas tous la même chose au même moment. La gestion passive favorise en partie les mouvements moutonniers et les retournements de marché en permettant de passer rapidement d’un secteur à l’autre ou d’un pays à un autre. A un moment donné, une thématique s’impose et il est facile de la jouer rapidement. Cela n’est pas nouveau, mais par le passé, les arbitrages se faisaient plutôt par les stock-pickers. Aujourd’hui, nous observons également des gérants actifs qui donnent des inflexions sectorielles à leurs portefeuilles par le biais de gestions passives et non plus par les valeurs.

Katia Coudray : En travaillant avec un biais contrariant, nous pouvons aussi envisager ces rotations sectorielles comme une opportunité d’investissement. Parfois, certains segments de marché sont sanctionnés de façon irrationnelle et certaines sociétés offrent des niveaux de valorisation attractifs. C’est à la gestion active de se montrer réellement active ! Les gérants actifs ayant réellement souffert des rotations sectorielles sont ceux qui ont une tendance à être «momentum».

Avoir une gestion active, dénicher les pépites et les acheter à des niveaux attractifs permet de tirer parti des rotations sectorielles, induites ou non par les ETF. En effet, nous avons aussi observé depuis 2008 un mouvement des gérants actifs vers les biais de taille. Dans chaque classe d’actifs pure, les principaux fonds sont devenus très gros. Ce qui peut impliquer des mouvements de liquidités importants. Sur les cinq dernières années, les 10 plus gros fonds en actions européennes ont des tailles de 4 milliards d’euros en moyenne et leur alpha est de 1,5 % par an, ce qui est relativement faible. Les 30 meilleurs gérants en actions européennes ont, eux, été capables de générer un alpha de 9,5 % par an, soit deux fois la performance moyenne du marché, mais la taille de leurs fonds est d’environ 500 millions d’euros. La convergence vers des acteurs de plus grande taille, pour jouer la carte de la sécurité, se traduit par une convergence des gérants vers les indices, ce qui les rend de moins en moins actifs.

Cédric Baron : Des marchés volatils et décorrélés sont généralement plus propices à la génération d’alpha. Cela dit, les hedge funds qui focalisent leur processus de gestion sur l’alpha ont montré à quel point ils pouvaient être vulnérables aux rotations sectorielles et donc aux environnements moins directionnels. Ces gestions, qui sont aux antipodes de la gestion passive, ont finalement beaucoup déçu les investisseurs depuis 2008 du fait de performance atones et de frais de gestion très élevés. Finalement, l’univers des hedge funds s’est contracté en partie au profit de la gestion passive.

En termes d’allocation, un univers moins directionnel ne rend pas pour autant les ETF moins attractifs, bien au contraire. Des environnements de marchés plus volatils requièrent plus de réactivité de la part des allocations flexibles et rendent moins pertinents les positionnements «buy and hold». Pour implémenter ces allocations, il est donc nécessaire de pouvoir entrer et sortir rapidement de certains marchés ; les ETF réunissent dans ce cas tous les critères nécessaires à l’implémentation de ces stratégies.

Marlène Hassine : Ces mouvements ne sont-ils pas finalement dus à cet environnement conjoncturel qui a supprimé la volatilité économique : pas de taux d’intérêt, des valorisations de sociétés peu différenciées tandis que les liquidités abondantes découlant des politiques d’assouplissement monétaire ont laminé la différenciation entre les actifs ?

Tout cela a certainement favorisé l’émergence de la gestion passive qui s’est installée dans le paysage. Cependant, l’environnement global est en train de changer avec les taux qui remontent, la normalisation des politiques monétaires, la défiance à l’égard de la globalisation et les ruptures politiques à anticiper. Dans ce nouvel environnement dans lequel on espère retrouver cette volatilité et ce pricing fondamental des sociétés, la gestion active parviendra-t-elle à générer de la performance ? En tout état de cause, les incertitudes politiques demeurent fortes, notamment en Europe en 2017, ce qui ne devrait encore pas faciliter la tâche de la gestion active sur l’année en cours.

Chaque année débute sur l’idée qu’enfin il y aura une revanche de la gestion active. Et régulièrement, à fin décembre, les performances ne sont pas au rendez-vous comme cela a été le cas en 2016…

Katia Coudray : Il y a sans doute beaucoup de travail à faire chez les gérants actifs qui ont placé la croissance de leurs actifs avant la production de performance ! Revenons sur l’exemple des hedge funds : ceux qui ont réussi à satisfaire leurs clients sur le long terme sont ceux qui ont, à un moment donné, fermé leurs fonds à la souscription. Il y a un arbitrage à faire entre la croissance des encours et la génération de performance.

Les investisseurs ont désormais le choix entre des produits simples et peu coûteux comme les ETF et des fonds actifs qui ne le sont pas vraiment surtout si la taille des encours est importante. Choisir un fonds actif est donc devenu plus compliqué… d’autant que peu de gérants communiquent sur l’«active share» de leurs fonds.

Certes, après la prise de position de l’ESMA, plusieurs bureaux d’études ont publié les «active shares» des fonds qui communiquent leurs sous-jacents sur une dizaine d’années. Il y a eu des surprises mais cela amène à revisiter la sélection d’un gérant actif.

Marlène Hassine : Ces analyses statistiques montrent qu’en moyenne, les fonds ne battent pas leurs benchmarks et, quand c’est le cas, ce ne sont pas toujours les mêmes qui y réussissent. Cela signifie donc qu’il y a énormément de valeur dans le processus de sélection du gérant. Il est important d’être capable de bien sélectionner un gérant et de comprendre son processus de gestion. Cela permet de sélectionner les gérants capables de générer de l’alpha.

Katia Coudray : La taille d’un fonds ou son active share ne sont pas des paramètres très compliqués à prendre en considération dans la sélection. L’active share est probablement une donnée qu’il deviendra obligatoire de communiquer dans un futur proche. C’est d’ailleurs assez légitime car les frais de gestion ne sont pas les mêmes entre un fonds actif et un fonds passif.Franck Nicolas :

A l’été 2015, après les inquiétudes liées à la Chine et la baisse des actifs risqués, les gestions passives – y compris la gestion smart beta – notamment celles qui sont multi-classes d’actifs comme la risk parity, ont beaucoup été incriminées. Toutes les gestions de type trend following (CTA, assurances de portefeuille) ont été pointées du doigt comme ayant accéléré la baisse du marché. Nous ne sommes pas persuadés que cela ait été un catalyseur à la baisse. Il existe aussi une offre de gestion smart, dans lesquelles on ajoute ou non une partie discrétionnaire. Même si certaines de ces gestions, très algorithmées, peuvent accélérer une tendance de marché ou accentuer la volatilité, grâce à la gestion active le gérant peut également effectuer des choix contrariants.

Le smart beta

A propos de smart beta, parle-t-on de la même chose dans la gestion passive que dans la gestion active ? Comment les investisseurs abordent-ils cette nouvelle offre ?

Marlène Hassine : Sous ce terme de smart beta, on regroupe des stratégies fondées sur des modèles, qui peuvent être implémentées soit sous forme passive soit sous forme active. Ces stratégies permettent de réduire le risque, d’augmenter la diversification, de générer du revenu, de représenter l’empreinte économique d’un univers (au niveau d’une société ou d’un Etat) ou bien de capturer de manière systématique certaines sources d’alpha. La forme passive offre de la transparence et des coûts réduits. La version active permet une calibration plus personnalisée des modèles et des évolutions possibles de ces modèles. L’investisseur a ainsi accès une large palette de possibilités en fonction de ses besoins.

Katia Coudray : Sur le smart beta, les deux industries se rejoignent. Nous faisons aussi de la gestion factorielle en découpant le marché en termes de sensibilité à différents types de facteurs – value, growth, taille, momentum, etc. –, que nous combinons ensuite avec des technologies systématiques actives. La gestion active systématique et la gestion passive se rejoignent ainsi sur le même métier qui consiste à extraire des primes de risque du marché et à les combiner avec des modèles propriétaires basés sur le risque et non pas sur l’allocation de capital.

Cédric Baron : Le terme smart beta regroupe un grand nombre de stratégies distinctes. Les plus populaires sont probablement les indices pondérés en risque et les indices offrant une exposition à des facteurs de risques spécifiques. Ces techniques peuvent être implémentées à différents niveaux. Au sein d’une poche actions, il est possible de constituer son portefeuille de titres sur la base de ce type de sélections. Ces techniques peuvent également être utilisées au niveau de l’allocation d’actifs, en investissant différentes briques, par exemple en fonction de leur contribution en risque. Ensuite, le gérant sélectionne les instruments qui lui paraissent le plus pertinents selon les classes d’actifs. Sur certains marchés ou classes d’actifs, il est clairement plus compliqué de générer de l’alpha. Il y a par exemple certainement plus d’opportunité de créer de la valeur via une sélection de titres et une gestion active au sein de classes d’actifs telles que les convertibles, le high yield ou les small caps notamment du fait des compétences spécifiques que cela requiert et du moindre niveau d’information disponible. Par ailleurs, on constate qu’il est structurellement plus difficile de générer de la surperformance dans certains marchés ou certaines périodes de marché. C’est notamment le cas des marchés d’actions américains.

Marlène Hassine : Aujourd’hui, tout le cadre global de l’allocation d’actifs est modifié. Le gérant peut chercher de la liquidité avec de la gestion passive puis utiliser les outils de smart beta qui permettent de gérer le risque, de générer du rendement ou de capturer des primes de risque systématique et, enfin, recourir à la gestion active, plus «de niche», pour capturer de l’alpha en accédant à des primes de risque que les ETF ne capturent pas.

Quelles ont été les évolutions en matière de gestion des risques ?

Katia Coudray : Dans un environnement où les perspectives de rendement sont affaiblies et où le calendrier politique a dominé la performance des marchés, il convient de réfléchir à la façon dont on aborde la gestion active. L’a-t-on adaptée aux conditions cadres de marché ? A-t-on placé la gestion du risque avant toute autre décision dans son allocation d’actifs ? Quand les performances attendues sur les principales classes d’actifs sont importantes, il y a une moindre préoccupation de la gestion du risque.

Les solutions dans lesquelles le risque détermine le poids d’une classe d’actifs sont encore peu répandues. Le risque est une préoccupation.

Quant à savoir s’il a été adressé par la majorité des gérants d’actifs… Il reste probablement des réflexions à conduire sur le sujet. La gestion active doit intégrer les facteurs politiques qui peuvent avoir des répercussions sur la volatilité. Ces échéances sont des facteurs disruptifs sur la performance des marchés.

Franck Nicolas : Nous avons placé assez tôt la gestion des risques au cœur de nos processus d’investissement. Il y a eu plusieurs réformes successives tant au niveau de la conception des produits qu’au niveau des processus de gestion, y compris sur des gestions benchmarkées. Cependant, la plupart des investisseurs continuent de raisonner en allocations d’actifs et non en allocations de risques.

Par ailleurs, on raisonne en allocation d’actifs sur des classes d’actifs traditionnelles avec peu d’appétence pour le risque et une faible sensibilité aux écarts par rapport aux indices. Ce sont les investisseurs, notamment dans le monde institutionnel, qui obligent à ce resserrement. Les écarts de performance par rapport aux indices ne sont pas beaucoup tolérés, ou alors sur des horizons très courts. Paradoxalement, les actifs réels (non cotés, infrastructures, real estate, etc.) peu liquides ont largement fait leur entrée dans les portefeuilles des investisseurs institutionnels et là, il n’y a aucun repère et aucune gestion du risque. Sur ces classes d’actifs illiquides, il y a une vraie gestion active et une tolérance totale, ce qui n’est pas le cas pour les classes d’actifs très liquides.

Katia Coudray : Ces actifs illiquides représentent une part structurelle croissante dans les allocations des investisseurs institutionnels alors qu’il y a assez peu de visibilité et de contrôle. L’illiquidité gère le risque.

Marlène Hassine : Les investisseurs institutionnels se sont également positionnés sur les outils de gestion en risk parity ou equal risk contribution, minimum volatility ou minimum variance… Tous ces outils de smart beta permettent de gérer le risque. Une étude que la recherche Lyxor ETF publie tous les ans depuis quatre ans montre que la moyenne des gérants a des difficultés à battre, même en termes de performance ajustée du risque, les indices de smart beta comme des indices de minimum variance. Par exemple, en 2016, si 31 % des gérants suivant l’indice MSCI USA réussissent à battre leur benchmark, seulement 12 % d’ente eux réussissent à surperformer l’indice FTSE USA Minimum variance.

Katia Coudray : En Suisse, le marché des fonds de pension (800 milliards de dollars d’encours) commence effectivement à s’intéresser à l’offre de gestion en risk parity mais cela reste encore faible dans les allocations.

Franck Nicolas : Parfois, il y a de la communication sur des poches marginales d’actifs. Ce n’est pas toute l’allocation d’actifs d’un investisseur institutionnel qui bascule dans le smart beta.

Marlène Hassine : En France ou en Norvège, les caisses de retraite et les fonds de pension s’y intéressent depuis plusieurs années déjà. La nécessité de mieux gérer le risque est sans doute une des conséquences de la crise de 2008. Il y a de nombreux appels d’offre sur le smart beta de la part des institutionnels.

Katia Coudray : Et c’est plutôt une bonne chose ! Nous constatons aujourd’hui sur les marchés une absence totale de décorrélation des actifs traditionnels. D’où l’importance de construire des portefeuilles en contribution marginale au risque et non pas en poids défini afin de mieux maîtriser le risque.

Cédric Baron : Cela induit cependant d’autres biais. Ces allocations font la part belle à l’obligataire, ce qui ne pose pas de problème si l’on considère que le niveau de risque est correctement mesuré et effectivement équitablement réparti entre les actifs du portefeuille. Cependant dans des environnements tels que ceux que nous rencontrons actuellement où le profil rendement/risque des obligations semble asymétrique (risques de pertes bien supérieurs aux espérances de gains), l’hypothèse de rendements normaux pour appréhender le risque de cette classe d’actifs pourrait s’avérer trompeuse et induire des biais non souhaités au sein des portefeuilles.

Katia Coudray : D’autres générations de portefeuilles se sont développées et ne distribuent pas le risque de manière égale entre trois classes d’actifs. Chez SYZ, nous le faisons en distribuant activement nos risques selon notre vue de marché. Ces nouveaux outils permettent de gérer de façon très différente l’allocation d’actifs.

Cédric Baron : La gestion du risque au sein des processus de gestion est un élément très recherché par les investisseurs qui souhaitent se prémunir contre des événements tels que ceux rencontrés en 2008. A contrario, leurs attentes en termes de rendements restent élevées malgré l’environnement de taux extrêmement bas, les poussant parfois à reprocher aux gérants d’être trop précautionneux tant qu’il n’y a pas de matérialisation réelle d’un risque extrême. Le compromis entre une gestion des risques robuste et la capacité à offrir une espérance de rendement élevée est une équation complexe à laquelle la gestion d’actifs doit trouver une réponse.

Franck Nicolas : Dans toutes les approches de rendement absolu, la faiblesse des taux d’intérêt a obligé à revoir les techniques. Cela demande à être plus flexible en allocation d’actifs et à avoir un autre contrôle des risques, souvent construit autour de démarches en VaR. Dans les gestions à coussin ou à capital garanti avec des options, le niveau de protection a été abaissé.

Marlène Hassine : En termes de flux, nous constatons que les investisseurs vont vers ces outils qui permettent de gérer du risque de manière passive quand il y a des incertitudes dans les marchés. Au premier semestre 2016, il y a eu des flux très importants sur les stratégies minimum variance, de l’ordre de 3 milliards d’euros. Ensuite, il y a eu un vrai retournement des investisseurs qui se sont positionnés, de manière massive, sur la value avec des flux au second semestre de l’ordre de 2,5 milliards d’euros.

Peut-on aujourd’hui gérer un fonds flexible de façon active sans avoir recours à des outils passifs ?

Franck Nicolas : Ce n’est pas nécessaire. Chez Natixis Global Asset Management, nous avons des sociétés qui gèrent des fonds flexibles de façon active, y compris dans les choix de valeurs. Toutes les recettes en matière de gestion active sont possibles. Cependant, il ne faut pas confondre les sous-jacents utilisés et la philosophie de gestion. Une de nos filiales fait simultanément du stock picking comme moteur de gestion active et de l’allocation d’actifs en recourant à des dérivés, des trackers, etc.

Katia Coudray : Nous utilisons de plus en plus des outils passifs dans nos solutions d’investissements multi-actifs qui sont très dynamiques afin de pouvoir rapidement exploiter une inefficience de marché ou profiter d’une classe d’actifs ou d’un secteur sous-évalué. Les ETF sont un moyen rapide d’y parvenir pour implémenter la flexibilité dans les portefeuilles multi-actifs.

Cédric Baron : L’allocation tactique est devenue une part de plus en plus importante au sein des processus de gestion. Avec les politiques d’injections massives de liquidité des banques centrales, les primes de risques obligataires et actions se sont comprimées. Pour atteindre les performances attendues par les clients, il n’est plus possible de s’appuyer uniquement sur une allocation stratégique de long terme de façon passive. La création de valeur repose donc de plus en plus sur l’allocation tactique. D’où l’importance d’avoir accès à des instruments liquides, peu chers et performants pour s’exposer aux différents marchés.

Katia Coudray : La gestion active au sein de la gestion diversifiée a pris beaucoup d’ampleur depuis une dizaine d’années. Auparavant, il y avait essentiellement des petites surexpositions ou sous-expositions autour d’un benchmark composé à 60/40 entre obligations et actions. La transformation des pratiques a été très importante.

Franck Nicolas : En effet, la gestion devient plus active. Les investisseurs institutionnels ont même recours à des gérants d’overlay pour couvrir des risques extrêmes.

Marlène Hassine : Une des conséquences de la progression de la gestion passive est sans doute d’avoir poussé la gestion active à être plus active. Finalement, tout ce qui est benchmarké peut être fait à faibles coûts. L’étude annuelle de Lyxor comparant la performance des fonds actifs à leur benchmark montre qu’en 2016, 28 % des gérants en moyenne sur 15 univers actions et obligations (4 000 fonds domiciliés en Europe représentant 1 300 milliards d’euros d’encours sous gestion) réussissent à surperformer leur benchmark. Sur 10 ans, ce chiffre tombe à 19 %. Certains segments sont cependant plus propices à la génération d’alpha par les gérants actifs : il s’agit des segments small caps, des actions du Royaume-Uni, des pays émergents et des obligations d’entreprise. Sur ces segments, la moyenne des gérants qui réussissent à surperformer leur benchmark s’élève à 41 % sur un an et 31 % sur 10 ans. A l’intérieur de ces segments, on constate même une très forte dispersion des performances.

Katia Coudray : Une allocation statique autour d’un benchmark 50 % obligations/50 % actions ne protège pas le capital. Cela a été la dure leçon de la crise depuis 2008.

Cédric Baron :

Plus il y aura de décorrélation et plus la gestion active aura de la valeur. L’environnement est peut-être en train de changer.

En proposant de gérer activement des portefeuilles investis en trackers et fonds indiciels, les fintechs vont-elles révolutionner le débat ?

De nombreux CGP envisagent d’utiliser des robo-advisors en marque blanche. Est-ce un relais de croissance pour la gestion passive jusque-là surtout utilisée par les investisseurs institutionnels en Europe ? Un nouveau défi pour la gestion active ?

Cédric Baron : L’offre des robo-advisors s’adresse principalement à la clientèle retail puisqu’elle a notamment comme objectif d’associer une allocation type à un profil d’investisseur. Ils ont pour intérêt d’apporter des techniques de gestion plus sophistiquées dans la sphère du conseil en gestion de patrimoine. Cependant, les robo-advisors ne me semblent pas constituer une menace pour les gestions multi-assets au sein des sociétés de gestion d’actifs. Nous ne répondons pas exactement aux mêmes besoins.

Marlène Hassine : L’assurance vie est un bon exemple. Elle offre désormais la possibilité d’avoir accès à une allocation en ETF versus des fonds traditionnels diversifiés, actions ou autres. C’est une perspective de développement intéressante d’autant que la réglementation va obliger à plus de transparence sur les coûts. Cela va favoriser le mouvement vers la gestion passive et les allocations via des modèles. La distribution vers les particuliers est certainement le prochain relais de croissance de la gestion passive.

Katia Coudray : Vis-à-vis des clients finaux, je pense qu’il faut considérer ça comme une menace sérieuse. Cela participe au processus global de la digitalisation au même titre que l’e-commerce a capturé une part importante de sa croissance sur les magasins traditionnels. Cela tient à la transformation des mentalités et à une génération qui n’a pas l’habitude d’avoir des intermédiaires physiques dans le conseil. Deux issues sont envisageables : la régulation, qui peut évoluer sur ce segment-là, et les résultats. Que ce soit un conseil classique ou un robot, il faudra délivrer des résultats satisfaisants pour les clients.

Franck Nicolas : La logique de robot n’est peut-être pas à opposer à la gestion active. Il est possible de créer des robots qui profilent les investisseurs en fonction de certaines caractéristiques puis les orientent vers de la gestion active. Sauf que cette logique de robot s’adresse à une génération qui veut payer moins cher tout en bénéficiant d’une certaine souplesse. Il est donc logique que cela débouche sur une offre en ETF. Il y a de la place pour tous les acteurs, mais il est certain que le terrain de jeu va se rétrécir entre la gestion passive qui prend des parts de marché significatives et la gestion active, à condition qu’elle délivre de l’alpha. Entre les deux, plusieurs combinaisons existent pour personnaliser les solutions, par exemple pour le retail. Pour les investisseurs institutionnels, le besoin de sur-mesure demeure souvent la priorité, faisant que gestion active et gestion passive doivent être savamment combinées. Finalement, il y a de la place pour toutes les approches, même si la gestion active est tout de même aujourd’hui très challengée.

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