Table ronde

Sociétés de gestion : quelles évolutions en matière d’organisation ?

Publié le 6 mai 2016 à 12h15    Mis à jour le 27 juillet 2021 à 10h56

Propos recueillis par Catherine Rekik et Audrey Spy

Quels ont été les grands bouleversements pour l’industrie de la gestion d’actifs depuis la crise de 2008 ?

Pascal Koenig, associé, Deloitte : La crise de 2008 a eu plusieurs impacts sur les sociétés de gestion. Elle a d’abord affecté les encours partout dans le monde puis, en réaction, a donné lieu à de nouvelles contraintes réglementaires. En première ligne, face à tout un flot de réglementations financières et avec des encours stables voire moindre à gérer, les sociétés de gestion ont donc dû adapter complètement leurs dispositifs opérationnels.

Ce bouleversement a été d’autant plus grand qu’elles ont vécu dans un relatif confort pendant plusieurs décennies durant lesquelles elles ont été confrontées à des crises cycliques purement financières. Jamais par le passé elles n’avaient été confrontées à des difficultés structurelles sur longue période !

Avec un fonctionnement reposant sur des coûts fixes importants, les sociétés de gestion ont alors été contraintes de se restructurer. Elles ont commencé par figer leur masse salariale puis par réfléchir au meilleur moyen de rationaliser l’ensemble de leur circuit de production et transformer leurs coûts fixes en variables. Leurs capacités n’étaient en effet pas forcément adaptées à des cycles longs sans croissance de la collecte. Elles ont donc dû l’optimiser en rénovant les gammes de fonds. Une fois cette étape franchie, elles se sont dotées des moyens nécessaires pour accroître leurs revenus, soit en vendant leurs produits à l’international, soit en offrant certains services.

Thomas Van Cauwelaert, directeur des ventes, SimCorp France  : Une des leçons tirées de la crise de 2008 autant par les opérateurs que par les régulateurs est la nécessité de disposer d’une vue en temps réel de ses engagements. Cela peut sembler trivial mais la capacité à connaître précisément ses actifs devient complexe pour des sociétés de gestion qui investissent directement ou indirectement dans une multitude de véhicules, et cela de manière internationale.

Raphaël Remond, directeur général, State Street Banque SA : La société de gestion peut être considérée comme un maillon d’une chaîne fortement perturbée par la crise. Une des conséquences principales a été de provoquer des changements divers et multiples dans l’organisation même des sociétés de gestion. A partir de 2009, conscients que la crise pouvait perdurer, certains acteurs ont eu des réactions extrêmes, allant jusqu’à mettre en vente leurs activités de gestion d’actifs.

On peut également mettre en avant une autre conséquence importante de la crise qui concerne, cette fois-ci, les investisseurs eux-mêmes. En prenant en compte le tandem risque/rendement dans leur choix de société de gestion, ils n’ont pas hésité à allouer une part plus importante à la gestion passive, notamment aux ETF. Ces produits indiciels cotés, qui existaient déjà, ont changé de taille après la crise. Enfin, des regroupements ont eu lieu, même si l’Europe accuse un certain retard en la matière par rapport au monde anglo-saxon.

Existe-t-il une réelle disparité d’adaptation entre les sociétés de gestion françaises et leurs concurrentes étrangères ?

Pascal Koenig : Le coefficient d’exploitation des sociétés de gestion françaises n’est pas pire que celui des Anglo-Saxons. Dans l’idéal, le niveau d’excellence se situe aux alentours des 50 %, mais de nombreuses sociétés ont encore un coefficient beaucoup plus élevé. Au Royaume-Uni, 45 % des sociétés de gestion étaient en surcapacité de production en 2012, leur coefficient d’exploitation évoluant en effet entre 55 % et 70 %. En comparaison, notre champion français Amundi se situe en deçà de 50 %. Il a donc énormément travaillé sur son organisation et la rationalisation de ses activités. D’autres sociétés n’ont pas atteint ce niveau de productivité, cela montre bien que ce problème est universel à l’ensemble de l’industrie de la gestion d’actifs.

La sous-traitance, qui est un aspect pour transformer des coûts fixes en coûts variables, reste par ailleurs marginale puisqu’elle ne concerne qu’entre 10 et 15 % des activités d’une société de gestion. Certaines sociétés, comme Tobam, ont mis en place cependant un modèle reposant sur l’externalisation d’activités non cœur. Ainsi, le suivi permanent du dispositif opérationnel permet de mesurer et d’anticiper l’adéquation des capacités de production embarquées à l’estimation de la collecte. Un des éléments essentiels au sein des sociétés de gestion est la montée en puissance des directions financières qui ont déployé post-crise des outils pilotage permettant une réactivité accrue aux évolutions de collecte.

Francis Doligez, associé-gérant et fondateur, 2AM : Peu de sociétés de gestion ont amorcé une véritable réflexion sur leur rationalisation et leur productivité. Certains gros acteurs sont sans doute en avance sur ces aspects, mais le marché français est très éclaté. L’industrie de la gestion d’actifs rassemble une multitude de sociétés de gestion de portefeuille, environ 630, qui sont soit filiales de grands groupes bancaires ou de compagnies d’assurances soit entrepreneuriales et indépendantes. De plus, elles investissent souvent dans des marchés très différents. Les réflexions qu’elles ont pu mener sur leur organisation au regard de l’internalisation ou de l’externalisation de leurs activités n’ont, selon moi, pas été enclenchées massivement. De plus, tout n’est pas externalisable puisqu’il y a des aspects réglementaires contraignants. Il y a en effet des problèmes d’agrément et de conformité qui font que certaines tâches ne peuvent pas être externalisées.

Certaines sociétés de gestion ont externalisé le reporting dans le cadre d’AIFM car cela implique des traitements de données de masse, préférant ainsi confier cette tâche à leur dépositaire. Les sociétés de gestion indépendantes ou entrepreneuriales ont tendance à conserver en interne le middle-office, mais in fine cette fonction ne nécessite pas une personne à temps plein : elle se transforme en un poste polyvalent, un peu fourre-tout. En revanche, les grands asset managers ou ceux de taille moyenne ont plutôt tendance à confier leur middle-office stricto sensu à des prestataires spécialisés. Mais dans des structures de moins de 40 voire 50 personnes, il est rare que cette fonction soit externalisée.

Il est vrai que c’est un levier pour rationaliser et gagner en productivité car le cœur de métier d’une société de gestion est avant tout de gérer. C’est là que se trouve sa véritable valeur ajoutée. Même pour la commercialisation ou la distribution, certaines structures externalisent ces tâches. Cela concerne surtout les petites sociétés pour lesquelles la collecte dépend des relations d’affaires qu’elles peuvent nouer avec des distributeurs, des plateformes… L’industrie de la gestion d’actifs n’est pas homogène, chaque société de gestion a une organisation différente : il est donc difficile d’en dessiner une tendance claire.

La concentration des sociétés de gestion, attendue après la crise, n’a finalement pas eu lieu…

Pascal Koenig : L’industrie de la gestion d’actifs n’a effectivement pas connu de réelle consolidation. Au contraire, il y a eu, ces dernières années, beaucoup de créations de structures qui ont réduit l’effet concentration du marché depuis la crise. Aujourd’hui, le ratio de concentration des marchés (utilisé par le ministère de la Justice américaine Herfindahl-Hirschman Index) dans le secteur met en évidence l’exceptionnel éclatement de cette industrie. Si trois ou quatre leaders concentrent une grande partie des encours, le reste est dispersé en une multitude d’intervenants. Si l’indicateur se situait au niveau de celui existant pour le wealth management, ce sont deux asset managers sur trois qui disparaîtraient.

Raphaël Remond : On peut voir la consolidation de deux façons : par une réduction du nombre d’acteurs ou par une domination beaucoup plus forte des sociétés de gestion les plus importantes. En France, il n’y a certes pas eu de concentration au niveau du nombre d’acteurs notamment parce que certaines typologies de produits qui existaient avant la crise ont pris davantage d’importance, comme le private equity, l’immobilier, les loans… Les professionnels ont donc eu l’opportunité de créer des sociétés de gestion spécialisées sur des niches de marché. En revanche, il a eu une véritable concentration des encours sur un certain nombre d’acteurs. Globalement, les actifs sous gestion du top 20 mondial des gestionnaires sont en forte augmentation. Ils concentrent aujourd’hui plus de 41 % des actifs alors qu’ils n’en concentraient que 37 % en 2004, ceci au détriment des petits asset managers.

Les sociétés de gestion qui réussissent le mieux ont-elles des caractéristiques communes en matière d’organisation ?

Raphaël Remond : La plupart des gestionnaires d’actifs qui dominent le marché ont désormais une part significativement plus importante de leurs encours dans la gestion passive que par le passé. Ils ont profité de l’essor de cette gestion pour amortir des investissements financiers importants. En effet, la rentabilité de la gestion indicielle est fortement corrélée au volume.

Pascal Koenig : Chaque grand groupe a sa propre originalité. JP Morgan AM est un acteur historique de la gestion d’actifs dont l’organisation n’a pas évolué fondamentalement avec la crise. Ce qui a profondément changé, c’est le glissement progressif d’une industrie mono activité (production de gestion) à l’émergence d’un nouveau pôle de compétence de distribution. Chaque société a ainsi mis en place sa propre stratégie. Certaines ont pris une avance conséquente et ont réussi à augmenter significativement leur collecte en peu de temps en prenant le virage du régional. Cependant, il n’y a pas de situation ni de modèle type d’organisation. Comme dans toute industrie, quelle que soit la stratégie, le produit (et le service associé) reste la clé du succès.

Une des difficultés de l’industrie de la gestion réside dans le fait qu’elle ne maîtrise pas sa distribution. Certains acteurs anglo-saxons ont travaillé en amont sur ce sujet avec succès, mais ce n’est pas encore le cas de la plupart des Français. Ces derniers étaient historiquement positionnés auprès d’une clientèle institutionnelle à qui ils pouvaient proposer assez aisément leurs produits. Ce n’est plus le cas aujourd’hui compte tenu de la forte atonie des encours, en lien avec les difficultés des régimes de retraite et chômage. C’est un effet secondaire de la crise qui a réduit le leadership de la France en Europe. En effet, avec une collecte en berne sur le marché domestique, l’industrie française de la gestion d’actifs a été obligée de se réorganiser et de se lancer à l’international.

La prochaine révolution consistera à mieux se positionner sur le retail. Les sociétés de gestion y travaillent déjà car la collecte sur le marché français est fragile. En 2015, elle a surtout été portée par le monétaire.

Didier Gaulard, président, Choriandre : La réussite des sociétés de gestion tient sur la possibilité de proposer à leurs clients des produits de niches avec à la fois une rentabilité meilleure que les offres des réseaux et une prise de risque limitée pour l’investisseur. La notion de service est la clé de la montée des encours, de la transparence, de l’information du client, et, bien entendu, des résultats positifs face à leur benchmark.

Thomas Van Cauwelaert : Nous retrouvons un trait commun chez l’ensemble de nos clients à savoir une farouche volonté d’indépendance afin de garantir une politique active d’innovation couplée avec la mise en place d’un système et des processus industriels permettant de déployer très rapidement ces innovations sur le marché. La refonte de l’architecture et des processus de gestion permettent également d’automatiser des tâches manuelles, de supprimer des erreurs dues à la difficulté de réconciliation et à la non-intégration d’une multitude d’applications et d’outils maison. Une fois ces frictions opérationnelles résolues, les équipes peuvent se concentrer sur la mise en place d’une stratégie de croissance volontariste.

Raphaël Remond : Nos clients ayant externalisé leurs opérations partagent la conviction profonde que leur croissance n’aurait pas pu être aussi rapide et diversifiée (tant en termes de produits que de zones géographiques) sans le recours à l’externalisation qui leur a permis de s’affranchir des frontières, d’avoir accès à des technologies toujours à la pointe ainsi qu’à des talents formés sur les produits les plus complexes.

L’industrie de la gestion d’actifs a vécu ces dernières années un «tsunami» réglementaire. Quelles ont été les principales conséquences pour les sociétés de gestion?

Francis Doligez : L’aspect réglementaire a affecté les sociétés de gestion différemment en fonction de la typologie de leur clientèle, de leur positionnement stratégique ou des produits. Les impacts n’ont pas été les mêmes selon le segment de clientèle, institutionnelle ou retail.

Raphaël Remond : Les pressions réglementaires devraient encore dominer notre quotidien jusqu’en 2018-2020. Nous constatons cependant un début d’essoufflement de certaines mesures ou encore l’apparition d’incohérences entre elles. Il faut comprendre que depuis 2008 nous avons assisté à la mise en place d’une succession de couches réglementaires affectant directement les sociétés de gestion ou leurs clients. La somme de tout cela a conduit à un imbroglio d’obligations en termes de données, de reporting et de façon de gérer.

Depuis fin 2014, sous les pressions réglementaires, les sociétés de gestion font face à des modifications de structure et d’organisation, s’appuyant sur des solutions externes qui leur permettent de variabiliser leurs coûts, maîtriser le risque opérationnel et mettre l’accent sur les contrôles de second niveau.

Pascal Koenig : J’ai employé le terme de «tsunami» il y a quelques années car les sociétés de gestion étaient au cœur de nouvelles réglementations touchant à la fois leur métier (Ucits, AIFM, etc.), les dispositifs de transparence fiscale (FATCA, CRS, etc.) et comptable (IFRS), ainsi que celles propres à leurs clientèles (assurances-banques notamment).

Francis Doligez : Fatca n’affecte pas que les sociétés de gestion mais également les acteurs connexes comme les teneurs de comptes ou les dépositaires.

Didier Gaulard : Il est évident que, depuis 2008, la réglementation s’est considérablement durcie, obligeant les sociétés de gestion à mettre en place, en interne pour beaucoup, des contrôles à la fois des positions clients, de la bonne fin des opérations face aux intermédiaires de marché et du respect des profils de gestion. Mais également un process pour répondre aux demandes des autorités de marché. Il est probable que dans le futur les contraintes seront plus pesantes et chronophages pour les équipes de back et middle-office.

Pascal Koenig : Cependant, même si les réglementations ont pesé sur les acteurs de la gestion d’actifs, certaines ont été structurantes et source d’innovations. Solvabilité 2 a, par exemple, permis aux sociétés de gestion d’optimiser les flux des stocks et la qualité des données afin d’apporter des informations fiables en transparisation sur les portefeuilles de leurs clients. Or, cette transparence est l’élément-clé de demain. Certaines réglementations à venir seront elles aussi déterminantes, notamment Priips. Celle-ci ne concerne pas directement la société de gestion mais va modifier en profondeur le métier notamment de la distribution d’assurance vie. Priips aura un impact sur la typologie des contrats proposés car elle nécessite l’identification d’un risque global par contrat en adéquation avec le besoin exprimé par le client. Le problème est que personne ne semble à ce jour prendre le sujet ardemment alors que son application est prévue pour le 1er janvier 2017. Toute l’attention est concentrée sur MIF 2 et sur son impact sur la distribution.

Raphaël Remond : Chaque volet réglementaire implique une modification de la façon de fonctionner des sociétés de gestion. A chaque nouvelle évolution réglementaire il y a une poussée d’externalisation. Dans les années 1980, la réflexion concernait le back-office. Puis, dans les années 2000, dans le monde anglo-saxon principalement, il y a une deuxième vague d’externalisation concernant cette fois-ci le middle-office, en réaction aux secousses sur les marchés financiers.

Aujourd’hui, la situation est différente : on remonte dans la chaîne de valeur de ce qui est externalisable. La société de gestion se concentre sur la gestion, la distribution, l’innovation produit ainsi que sur les réponses réglementaires et confie les autres fonctions à des acteurs qui ont démontré leurs compétences, leur résilience et leur capacité à comprendre ces métiers. L’externalisation est sans doute plus poussée dans le monde anglo-saxon mais la réflexion est bien là, en Europe continentale et en France en particulier. L’enjeu pour les sociétés de gestion est de déterminer ce qu’elles peuvent faire en interne et ce qu’elles peuvent externaliser.

Thomas Van Cauwelaert : Cette vague réglementaire va dans le sens de plus de transparence, plus de données, et plus de reporting. La capacité à produire rapidement des éléments d’information qui se fondent sur une tenue de positions unique, centralisée et réconciliée est la meilleure garantie de répondre à ces réglementations. SimCorp investit 50 millions d’euros par an en recherche et développement afin de garantir une solution toujours adaptée à l’arrivée de nouvelles réglementations. Nous proposons à nos clients un centre d’excellence, permettant de mutualiser la veille et la production de rapports réglementaires.

Jusqu’où peut-on aller en matière d’externalisation ?

Raphaël Remond : Très loin ! Nous constatons que la frontière entre le middle et le front-office est désormais ténue. Une société de gestion peut choisir de ne se concentrer que sur la gestion et la distribution. Au cours des deux dernières années la demande d’externalisation a non seulement fortement augmenté mais en plus elle s’est élargie. Au début des années 2000 les demandes d’externalisations concernaient essentiellement le «transaction management» et la tenue de position. Aujourd’hui les cas les plus fréquents englobent les activités de «transaction management», de gestion de données, de gestion des OTC et du collatéral sans oublier le «compliance monitoring», la performance et la production des reportings clients. En définitive, il y a un recentrage sur les activités cœur. Tout le risque opérationnel est aujourd’hui potentiellement externalisable.

Pascal Koenig : La société de gestion doit procéder en permanence à une revue de ce qui est cœur ou pas, ce qui externalisable ou mutualisable. Des sociétés de gestion de taille moyenne réfléchissent actuellement à cette possibilité de mutualiser certaines fonctions : les tables de négociations, la recherche ou des parties du middle-office. Certaines sociétés de gestion sont devenues des prestataires pour d’autres sociétés de gestion, comme BlackRock avec la mise en place de l’outil de risques Aladdin. Ces prestations concernent aussi les circuits de réception transmission d’ordre, base produits, outils de risk… ou les capacités de distribution à l’international. Si l’investissement de départ est lourd, la société a tout intérêt à le mutualiser ou le proposer ensuite aux autres acteurs.

Par ailleurs, l’externalisation se déplace. Elle ne concerne plus uniquement les fonctions à faible valeur ajoutée mais aussi des activités plus essentielles comme les reportings de gestion. Des clients nous confient désormais des missions de veille sur les reporting de gestion pour s’assurer qu’ils sont bien conformes aux exigences réglementaires des marchés locaux sur lesquels les produits sont distribués.

Francis Doligez : Les reportings ou les contenus des documents à caractère promotionnel pour les clients retail ou institutionnels constituent un enjeu majeur. En France, beaucoup de sites Internet comportent des mentions inexactes ou qui ne sont pas légales au regard de la MIF. Même chose pour les documents commerciaux, les supports ou les plaquettes. Il y a un risque majeur à les faire en interne ou à les externaliser sauf à bien choisir des acteurs qui ont la capacité à importer les données et à réaliser ces documents en conformité avec les textes en vigueur. La recommandation AMF n° 2007-21 sur la gestion privée, mise à jour en juillet 2015, affecte par exemple les formats et les contenus des comptes rendus de gestion, les documents promotionnels ainsi que les documents précontractuels de mandat de gestion. Des sociétés de gestion externalisent l’implémentation des comptes rendus de gestion mais, en fonction du volume de mandats gérés, cela peut générer des risques. Environ 70 % des sociétés de gestion ont actuellement des formats commerciaux ou des comptes rendus de gestion qui ne sont pas conformes aux dispositions récentes.

Thomas Van Cauwelaert : En matière d’externalisation, il n’y a pas de «bonne» recette quant au périmètre à couvrir. Tout dépend de la stratégie de l’entreprise. Néanmoins la tendance que nous observons est plutôt à la réinternalisation des fonctions stratégiques comme la tenue de positions (IBOR). Plusieurs de nos clients en France et à l’étranger, après une expérience d’outsourcing, sont revenus vers la conviction que la tenue de positions devait être gérée en interne. Sur les sujets back-office, deux grandes tendances se dessinent : outsourcing et insourcing. Le marché français ne proposait jusqu’à présent que peu de solutions de comptabilité assurantielle pour compte de tiers.

Didier Gaulard : Hormis la gestion active pour comptes de clients privés ou de gestion institutionnelle, la plupart des tâches peuvent être externalisées. Elles peuvent concerner les contrôles, l’éditique, la facturation ou l’archivage.

Les contrôles et leurs calculs associés sont complexes et nécessitent la maîtrise d’une base valeur personnalisable. Le contrôle des risques, les calculs d’indicateurs (ratios réglementaires & statuaires, performances, volatilité, VaR, SRRI) ainsi que les comparatifs aux benchmarks sont des activités naturellement sous-traitables pour les petites et moyennes structures.

La facturation client ou les calculs de rétrocessions font appel à des algorithmes sophistiqués. Externaliser cette activité tout en gardant le contrôle du processus et des chiffres est un gain de temps pour les équipes middle.

Les éditions peuvent également être externalisées. Les relevés titres ainsi que les comptes rendus de gestion périodiques doivent être éditables à l’unité ou en masse et respecter la charte graphique de la société de gestion. Elles seront archivées dans la GED (gestion électronique de document). En sous-traitant leurs GED, les sociétés de gestion allègent leurs charges d’infrastructure tout en répondant aux plans de continuité.

Chaque société de gestion doit donc se poser la question de savoir quelles sont les activités cœur et celles qu’elle peut déléguer…

Francis Doligez : Les sociétés qui ne gèrent pas de clientèle privée ne sont pas affectées par la recommandation AMF n° 2007-21. Tout dépend du type de clientèle à laquelle on s’adresse.

Pascal Koenig : Aujourd’hui, les sociétés de gestion doivent effectivement définir ce qui est cœur de métier, s’interroger sur la meilleure façon de piloter leur activité et trouver de nouvelles sources de revenus. Mais ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera peut-être pas demain. La transformation digitale pourrait complètement rebattre les cartes. De nouveaux outils permettent dès aujourd’hui d’optimiser les missions des fonctions et supports (dématérialisation des contrats par exemple) mais aussi de repenser les tâches originelles de la gestion (recherche analyse tracking, etc.). Un des enjeux des sociétés de gestion portera sur la distribution, le marketing et la communication. En Europe, 55 000 produits sont commercialisés. Demain, par transparence, il sera facile d’identifier ce que font les concurrents et comment se différencier par rapport à ceux-ci. Demain, il sera possible de surveiller l’innovation technique dans les portefeuilles et de la reproduire très rapidement. Des outils permettent déjà de formaliser la conception du portefeuille (niveau de risque, rendement, corrélation avec le benchmark, etc.) en lien direct avec les besoins des clients. L’objectif est de prendre connaissance des produits existants pour mieux se différencier soit par le prix, soit par la marque ou la force de commercialisation.

Didier Gaulard : Le cœur de métier des sociétés de gestion étant de gérer, il me semble important de se focaliser sur la mise en place de produits innovants ; demain, la différence se fera sur la qualité des produits proposés, sur la proximité de la société de gestion avec ses clients. La performance est un élément fondamental de la collecte de fonds, mais le rapport entre le gérant et ses clients est une des clés d’une collaboration sur le long terme.

C’est la différence entre une gestion de proximité et la gestion de masse des grands acteurs de la place.

Raphaël Remond : Alors que jusqu’à récemment le client choisissait entre de multiples produits pensés par les sociétés de gestion, aujourd’hui, c’est le client qui définit ce qu’il souhaite. La société de gestion répond à une demande quitte à fournir une solution sur mesure, tout cela avec des délais de plus en plus court. Il n’y a pas d’autre choix que d’être agile dans sa façon de fonctionner. L’industrie de la gestion d’actifs doit s’assurer de ne pas prendre de retard par rapport à d’autres secteurs. Prenons l’exemple d’Alibaba qui, au cours du début de l’année 2015 a réussi à collecter plus de 30 milliards de dollars sur le premier fonds lancé en un temps record. Cette prouesse est le fruit de la connaissance approfondie des besoins et habitudes de ses clients acquise au travers de sa plateforme. Pour l’industrie de la gestion d’actifs, il y a des leçons à tirer de ce succès et notamment la réduction de la distance avec le client final.

Pascal Koenig : Les données concernant le passif prennent de l’importance. Or, ces données ne sont pas encore maîtrisées par les producteurs. Certaines barrières sont en train de tomber et il n’est pas exclu que le client final puisse acheter des fonds directement auprès du producteur. A l’avenir, la technologie BlockChain devrait faciliter les processus et permettre aux producteurs de reprendre la main sur la distribution. Cependant, en France, la vente de produits directs «n’existe pas». Elle est intermédiée et se fait dans le cadre de «package» de type PEA ou contrat d’assurance vie. Mais la situation pourrait sensiblement évoluer vers une distribution plus directe et moins onéreuse.

Francis Doligez : Je suis d’accord avec l’idée qu’il faut être au plus près du client et comprendre ses besoins. Mais si la distribution est intermédiée ou externalisée par la société de gestion, comment cette dernière peut-elle être proche du client et proposer des produits adaptés à ses besoins ? Il reste encore trop de sociétés qui ont besoin d’avoir une réflexion sur le sujet.

Pascal Koenig : Ce modèle existe déjà. Prenons l’exemple de Natixis Global AM qui distribue les produits de ses affiliés. La crise financière puis la réglementation ont constitué de puissants leviers pour le secteur. Reste le levier technologique qui va avoir des impacts considérables sur l’industrie et peut-être permettre à certains acteurs de combler leur retard ou de prendre un avantage comparatif. Plusieurs outils développés par les Fintechs peuvent contribuer à une révolution globale.

Par ailleurs, je reviens sur la marque qui est un élément déterminant. En Europe, on compte 3 200 assets managers parmi lesquels les Anglo-saxons dominent le marché. Jusqu’à présent, le marketing n’était pas la priorité des sociétés de gestion. En externalisant les fonctions à faible valeur ajoutée, elles vont pouvoir désormais affecter des moyens au raccourcissement du cycle client-produit et optimiser leur marketing et communication. L’optimisation passera par des solutions digitales. Dans l’analyse, les gérants étaient bloqués sur un univers d’investissement restreint (un analyste : un marché). Les plateformes collaboratrices et le data analytics vont ouvrir le champ des possibles. Les changements sont lents mais ils sont de nature à transformer en profondeur la façon de travailler des sociétés de gestion !

Didier Gaulard : Vous avez raison, les changements sont longs, mais il me semble que les sociétés de gestion sont en train de préparer le paysage de la gestion d’actifs pour les prochaines années.

Face aux grosses structures, aux plateformes diverses et variées, la créativité des gérants, la qualité des reporting, la sécurité des établissements dépositaires des fonds, et la possibilité d’élargir les activités au-delà des valeurs mobilières, c’est la rencontre entre les CGP, les CIF et les sociétés de gestion.

Thomas Van Cauwelaert : La digitalisation est à l’agenda de tous les asset managers français et suit deux axes principaux. Le premier axe consiste à proposer des services personnalisés à forte valeur ajoutée en termes de reporting. Le second consiste à trouver des modes industriels de gestion de ces données comme la mise en place d’un entrepôt de données (data warehouse) sans détériorer son revenu.

Vous avez évoqué plusieurs fois la nécessaire adaptation des sociétés de gestion aux besoins du client. Comment va s’exprimer ce besoin ?

Pascal Koenig : Pour l’instant, seul le client institutionnel existe. Les particuliers n’achètent pas directement un produit de gestion. Ils achètent sur les recommandations d’un intermédiaire un bouquet de portefeuilles. Ce n’est pas le cas aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne où la culture financière des investisseurs est déjà plus développée. Les robo advisors vont avoir un rôle important à jouer en matière de pédagogie sur le marché français.

Raphaël Remond : Il semble peu probable que l’on arrive à un modèle de désintermédiation complète en France. Mais, quel que ce soit le modèle, avec ou sans intermédiaire, le résultat est le même. La problématique ne concerne plus le modèle en lui-même ou le nombre d’intermédiaires mais la collecte d’informations qui permet d’apporter la bonne réponse. L’enjeu est de réduire la distance qui sépare le gestionnaire du client final. Il faut cesser de penser par rapport à un processus ou à une structure mais en fonction d’un objectif.

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