Le cru 2016 pourrait marquer un tournant dans l’histoire des contrats d’assurance-vie, non parce que leur utilité serait remise en cause mais au contraire en raison d’une ouverture plus large de la palette d’actifs mis à la disposition des intermédiaires et de leurs clients.

Trente-cinq années de baisse des taux d’intérêt ancrent solidement les automatismes des investisseurs en faveur des contrats d’assurance-vie adossés à l’actif général des compagnies. Cependant, en 2016, les épargnants français ont globalement réduit de 0,6 % leurs versements sur les contrats vie, qu’il s’agisse du support en euro ou des unités de compte. A fin 2016, les 135 milliards d’euros recueillis sur les contrats vie se sont dirigés pour 80 % des flux vers le fonds en euro, contre 20 % pour les unités de compte, à l’identique de 2015. En fin d’année dernière, après prise en compte des rachats et de l’effet performance, pas moins de 1 632 milliards d’euros se trouvaient placés dans les encours de l’assurance-vie, soit un gain de 3 % par rapport à 2015.
Le tassement des versements n’est pas réellement inquiétant si l’on prend en compte la baisse du rendement du fonds en euro car les investisseurs peuvent reporter une partie de leurs avoirs vers des supports plus rémunérateurs, tel l’immobilier. Cependant, le fait marquant de 2016 vient de ce que les assureurs vie ont fait face à une vague de rachats sur les contrats les plus anciens, ceux en euro. Ils ont ainsi reversé 117,9 milliards d’euros à leurs clients, soit une hausse de 5 % d’une année sur l’autre. Face à ces chiffres, Bernard Spitz, président de la Fédération Française de l’Assurance, temporise : «Un certain nombre de facteurs peuvent expliquer les rachats et ils ne sont pas du tout des éléments négatifs. Tous ceux qui suivent le marché du logement savent que les gens ont fait des anticipations en termes d’achat immobilier car ils ont le sentiment que les taux d’intérêt allaient remonter. Ceux qui étaient sur le point d’acheter de l’immobilier ont voulu accélérer leur projet, ce qui explique en partie les rachats sur les contrats d’assurance-vie. C’est l’un des objectifs de cette épargne.»
Certes, l’anticipation d’une hausse des taux d’intérêt sur les prêts a pu précipiter des projets d’achat immobilier, d’autant que cette classe d’actifs permet de bénéficier d’une indexation du rendement si l’inflation vient à réapparaître. Mais en fait, l’assurance-vie semble traverser une phase de transition particulièrement importante pour son avenir car elle a vu ses avantages spécifiques s’éroder au fil des décennies avec notamment la perte de la déductibilité des primes, l’instauration de prélèvements sociaux et le développement d’une taxation alambiquée... Dernièrement, la loi Sapin 2 a introduit un risque de liquidité sur le contrat en euro, ce qui a incité les détenteurs des contrats les plus richement dotés à réagir.
Des investisseurs plus enclins aux changements
Elément important, les investisseurs maintiennent toute leur confiance dans leurs conseillers qui peuvent ainsi ajuster une stratégie adaptée au profil de risque de chacun. «Beaucoup d’épargnants reviennent sur le compte titres parce qu’ils ne veulent plus rester dans le contrat d’assurance-vie et y être piégé par une illiquidité temporaire», déclare Antoine Dadvisard, président du directoire de Matignon Finances. Si le détenteur d’un contrat de 25 000 euros ne s’inquiète pas réellement du risque de voir son capital bloqué pendant six à douze mois s’il souhaite effectuer un rachat, il n’en va pas de même pour celui qui a accumulé plus de 500 000 euros sur son contrat. D’autant plus que l’année dernière, le vote britannique en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne a fait prendre conscience de l’accumulation des risques politiques en Europe. Face à la montée de ces deux risques, les investisseurs les plus fortunés réagissent. «Avec un encours de 500 000 euros, ils peuvent envisager de fermer leur contrat d’assurance-vie français et en ouvrir un autre au Luxembourg. Nous les accompagnons bien volontiers via notre implantation dans le Grand-Duché», convient Antoine Dadvisard.
Malgré l’érosion des avantages du fonds euro, les investisseurs préfèrent le plus souvent ne rien modifier. Pour Stéphane van Huffel, cofondateur du site Netinvestissement.fr, «la psychologie de l’investisseur français est dominée par la double garantie du fonds en euro, l’une étant apportée par la compagnie d’assurance, l’autre par l’Etat français. Il s’agit d’une spécificité française qui explique en grande partie l’incapacité d’un investisseur profane à différencier la notion de sécurité par rapport à celle de protection». Dans ces conditions, malgré la baisse du rendement brut moyen des supports euros estimée à 1,8 % en 2016 par la FFA, les investisseurs s’estiment satisfaits de la préservation du pouvoir d’achat de leur épargne. «Le principal frein à la diffusion des contrats en unités de compte vient de ce que les Français n’ont pas encore intégré que prendre un risque ne veut pas dire avoir un accident, alors qu’en fait l’important est de s’exposer à des risques maîtrisés», regrette-t-il.
Les unités de compte en SCPI, OPCI et SCI continuent de séduire

D’un autre côté, cette forme de complaisance des investisseurs facilite une transition progressive des contrats en euro, soit vers les fonds eurocroissance, soit vers les unités de compte classiques. L’éventualité d’un arbitrage massif des contrats en euro vers leurs concurrents en unités de compte ne devrait donc pas survenir, ce qui éloigne d’autant le risque de blocage des rachats réaffirmé par la loi Sapin 2. «Le profil de risque le plus répandu c’est 50 % en actifs sécurisés, c’est-à-dire en fonds euro mais aussi avec une diversification en actifs immobiliers tels les parts de SCPI. Ces actifs réels apportent une forme de sécurisation qui peut représenter 20 % de la poche. Ensuite, l’autre moitié de l’allocation est répartie sur différentes unités de compte représentées essentiellement par des fonds patrimoniaux comme Carmignac Patrimoine et des fonds actions classiques de grandes capitalisations, donc très lisibles, comme Centifolia ou encore des fonds thématiques comme le Pictet Water», explique Stéphane van Huffel.
Les unités de compte en SCPI, OPCI et SCI continuent de séduire car elles investissent dans des actifs réels et apportent une rémunération raisonnable sur le long terme. En outre, bien que cet avantage soit moins présent ces dernières années, l’immobilier bénéficie d’une forme d’indexation sur l’inflation. Le secteur s’est fortement segmenté, ce qui offre la possibilité de concevoir des portefeuilles dynamiques et diversifiés pouvant rehausser la performance d’un contrat multisupport.
Pour les investisseurs qui ne souhaitent pas s’impliquer dans le suivi de l’allocation d’actifs, les fonds eurocroissance construisent leur historique de performance afin de convaincre une part grandissante des investisseurs profilés prudents. Les flux devraient gagner en importance dans les années à venir. Ainsi, lancé en janvier 2015, le fonds G Croissance 2014 de Generali a gagné 4,15 % en 2016 et 9,89 % depuis son lancement. Flexible et diversifié, le fonds est disponible sur les contrats Himalia et Xaélidia distribués par les CGPI et les contrats Espace Invest 4 et Espace Invest 5 destinés aux banques privées et banques régionales. «Le support G Croissance 2014 commence à faire ses preuves avec des performances qui surperforment largement nos fonds en euros en 2016 et depuis sa création. Ce support a toute sa place dans le cadre d’un contrat d’assurance-vie aux côtés des fonds en euros et des supports en unités de compte. En 2017, nous poursuivrons le déploiement de G Croissance 2014 sur d’autres produits afin d’offrir de nouvelles opportunités à nos clients», annonce Sonia Fendler, membre du comité exécutif de Generali France, en charge de la clientèle patrimoniale.
L'essor des mandats de gestion
Autre piste explorée par les sociétés de gestion filiales des compagnies d’assurance : proposer des mandats de gestion. «Nous proposons de plus en plus des mandats de gestion d’allocation d’actifs car nous avons la réactivité nécessaire, contrairement aux investisseurs finaux. Notre métier est d’être réactif, d’utiliser les opportunités de marché», affirme Inès de Dinechin, présidente du directoire d’Aviva Investors France. Cette offre de délégation vise à apporter une expertise aux distributeurs qui peuvent ainsi plus aisément convaincre leurs clients de diversifier leurs avoirs à côté du fonds en euros. Depuis le début de l’année, Aviva IF note une accentuation de la demande en faveur des fonds diversifiés et de quelques fonds actions, notamment ceux à connotation immobilière. Les fonds thématiques ou orientés vers les grandes marques internationales, bien connues du public français séduisent car les investisseurs ne souhaitent pas passer sans transition de l’univers des fonds garantis à celui des actions de sociétés qu’ils découvrent pour la première fois. A cet égard, le fonds Afer Diversifié Durable (60 % obligations, 40 % actions) constitue également un axe de développement prometteur destiné aux particuliers qui souhaitant apporter un biais investissement durable à leur placement, tout en obtenant une performance de bon aloi.
Séduisant a priori, le mandat de gestion bute cependant sur la barrière de la facturation du service. «Les clients n’ont pas envie de payer pour une gestion sous-mandat pour 30 000 euros, cela ne vaut pas le coup. En revanche, ils veulent un service et c’est là qu’Internet intervient», analyse Stéphane van Huffel. «Nous pouvons ouvrir des contrats gérés dédiés à partir de 150 000 euros, confirme Antoine Dadvisard. Dans ce cas, nous proposons des stratégies faisant appel à des supports financiers qui nous semblent les plus appropriés, comme les actions françaises et étrangères, les OPCVM de toute maison. La palette n’est pas limitée parce qu’aujourd’hui, l’architecture ouverte nous permet de sélectionner des fonds externes en toute liberté.»