(AOF) - L'annonce mercredi dernier d'une inflation sous-jacente en zone euro de 5,1% à 5,5% met en péril la crédibilité de la BCE, estime Alexandre Hezez, stratégiste chez le Groupe Richelieu. Certes, les matières premières ont un impact important sur l'inflation globale, mais cela signifie que tous les pans de l'économie européenne sont touchés par des pressions inflationnistes. Cela démontre non seulement que les analyses de la BCE étaient erronées, mais aussi le retard pris dans la renormalisation de la politique monétaire, observe l'économiste.
La Fed a commencé les hostilités avant même que l'économie américaine ne se dégrade, ce qui n'est pas le cas de la BCE, note l'expert.
Pourtant, Jerome Powell s'est vu contraint de faire un discours très restrictif pour convaincre les marchés de sa détermination à agir dans les temps, alors même que l'inflation américaine a atteint un pic. Ce discours monétaire américain force la BCE à agir avec encore plus d'agressivité, poursuit-il.
Même si le niveau de l'euro n'est pas dans les prérogatives de la BCE, la baisse continue de la devise pèse sur l'inflation importée et aggrave la situation précise Alexandre Hezez.
Ce dernier se souvient du discours de Mario Draghi en mars 2013 qui évoquait l'euro comme un outil de lutte contre la déflation. A l'époque, l'euro était passé de 1.4 à 1.06 en un an à la suite d'un changement de la politique monétaire.
Selon lui, la BCE doit stabiliser la devise mais a peu d'outils pour cela, sauf la hausse des taux. Non seulement la réaction devra être agressive, mais elle devra amener les marchés à la certitude que la pression sera maintenue au moins jusqu'en 2024.
Alexandre Hezez souligne qu'Isabelle Schnabel a marqué les esprits au symposium de Jackson Hole, en tenant une ligne dure contre l'inflation, défendant la voie de "la détermination" qui consiste à "réagir avec plus de force à la poussée actuelle d'inflation, même au risque d'une croissance plus faible et d'un chômage plus élevé”.
François Villeroy de Galhau a affirmé la volonté et la capacité à remplir le mandat de la BCE en portant si nécessaire les taux directeurs au-delà de la normalisation. Son discours "Politique monétaire post-pandémie : équilibre entre science et art, prévisibilité et réactivité" est sans appel : la Forward guidance, la progressivité, la gestion des anticipations relatives aux taux d'intérêt sont mises au placard pour revenir aux méthodes pré-Draghi, souligne le professionnel.
Pour ce dernier, une approche progressive est moins importante qu'une approche ordonnée. Dans une certaine mesure, il met au goût du jour la célèbre formule de Jean-Claude Trichet “We never pre-commit” (“Nous ne nous engageons jamais sur l'avenir”), répétée durant ses huit années de mandat à la tête de la Banque centrale européenne.
A l'instar de la Fed, la BCE va maintenant agir rapidement et avec vigueur pour atteindre en fin d'année 1,25% avec une première hausse de 75 bps annoncée lors de la prochaine réunion le 8 septembre. Cette hausse sera suivie de 50 bps, de 25 bps en décembre ainsi que deux hausses complémentaires de 25 bps, pour atteindre le taux terminal de 2% en mars 2023. Les courbes devraient être inversées au fur et à mesure que l'inflation diminue. Le risque de récession devrait augmenter et se matérialiser en fin d'année, redoute l'économiste.
Cette situation n'est pas sans risque pour la zone euro déjà fragilisée. Le risque souverain, qui semblait avoir pris fin, pourrait réapparaître. Les conditions financières pourraient se durcir. Les politiques pourraient ainsi devoir gérer seuls cette fois-ci, le temps de retrouver des niveaux d'inflation plus convenables, conclut Alexandre Hezez.
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