(AOF) - "La décision de la SEC va démocratiser le Bitcoin". C’est ce qu’affirme Radouane Abdoune, professeur de finance à Kedge Business School, dans un entretien accordé à AOF au sujet de la décision de l’autorité américaine de régulation des marchés financiers d’autoriser les ETF indexés sur le Bitcoin : des fonds indiciels chercheront désormais à suivre l’évolution de cet actif crypto. Les demandes de plusieurs grands noms de la gestion d’actifs, dont BlackRock, Fidelity et Invesco, ont été acceptées.
La décision de la SEC d'autoriser les produits indexés sur le Bitcoin n'était-elle pas anticipée par les marchés ?
La décision de la SEC d'autoriser l'émission d'actifs indexés sur le Bitcoin était anticipée par les marchés depuis quelques semaines et c'est pour cette raison que la valeur du Bitcoin a fortement augmenté ces derniers mois. Elle a refusé pendant longtemps car elle redoutait plusieurs risques majeurs. La principale préoccupation de la SEC était la manipulation du prix du Bitcoin. Elle s'est finalement déclarée convaincue que les marchés sont capables de prévenir les pratiques frauduleuses et protéger les investisseurs.
Le président de la SEC Gary Gensler a cependant mis en garde contre " la myriade de risques " associés au Bitcoin…
Les risques associés restent importants car le Bitcoin est un actif spéculatif et volatile. Il faut rappeler que le Bitcoin a vu le jour pendant la crise de 2008 pour contourner les défaillances du système financier international, qui a clairement montré ces limites à cette époque-là. Avec cette décision la SEC essaie d'amener le Bitcoin vers la finance traditionnelle, avec l'intention à terme d'intégrer le Bitcoin dans un cadre réglementaire, ce qui serait la prochaine étape du processus pour éviter la reproduction de scandales qui ont touché plusieurs plateformes d'échanges de cryptomonnaies telles que FTX et Binance.
Qui voudra désormais investir dans le Bitcoin ?
Nous allons probablement avoir deux catégories d'investisseurs. Une première catégorie va vouloir profiter de la volatilité du Bitcoin pour maximiser la rentabilité, ou choisir le Bitcoin comme une valeur refuge, pour l'anonymat, pour faire des achats sur Internet en dehors du cadre réglementé comme sur le marché des changes, voire pour faire du blanchiment ou tout simplement comme un moyen de paiement alternatif. Les investisseurs de cette catégorie iront toujours acheter le Bitcoin directement, avec leur propre clé. La décision de la SEC reste malgré tout loin d'une approbation pure et simple de la cryptomonnaie.
La décision de la SEC va donc ouvrir le marché à des investisseurs plus recommandables…
Oui car les investisseurs intéressés par un investissement dans un produit indexé sur le Bitcoin n'auront pas les mêmes motivations : ils voudront profiter de la rentabilité du Bitcoin sans subir une série de contraintes. Cette décision de la SEC permet notamment d'éliminer le risque de perte de la clé privée : aujourd'hui si l'investisseur en Bitcoin perd la clé, il perd le Bitcoin. Cette démocratisation sera aussi une déconcentration car nous sommes aujourd'hui sur un marché très concentré, qui ne se développe pas.
Quelles sont les perspectives de ces nouveaux investisseurs ?
Pour les investisseurs, avoir un actif en plus sur le marché représente une opportunité d'investissement et de diversification supplémentaire. La valeur du Bitcoin a fortement augmenté ces derniers temps, et plusieurs analystes anticipent une poursuite de cette ascension. Cette performance va forcément influer sur celle des ETF indexés sur l'actif en question.
Y aura-t-il concurrence avec les marchés actions/obligations ?
Je ne suis pas sûr que cela puisse faire concurrence aux marchés des actions et des obligations, étant donné les opportunités que présentent ces marchés. Je vois cependant une opportunité pour des entreprises qui pourraient utiliser cet actif comme moyen supplémentaire de financement et de levées de fonds. Je pense notamment aux start-ups, et plus précisément à celles qui rencontrent des difficultés dans leur phase d'amorçage.
Propos recueillis par Matthieu Richard-Molard