Haro sur le populisme financier
Les atermoiements politiques autour du budget nous montrent chaque jour un peu plus les défis auxquels notre système socio-économique fait face, et la nécessité pour chacun de prendre en main son avenir financier. Le regain d’intérêt des Français pour les finances personnelles est donc une excellente nouvelle.
Il faut toutefois veiller à ne pas tomber dans les mêmes travers que le capitalisme de connivence, dont nous subissons aujourd’hui les effets délétères. L’évolution entrelacée des finfluenceurs et des fintechs laisse entrevoir une autre forme de connivence. Il ne faudrait pas que l’éducation financière devienne la nouvelle fabrique de l’ignorance. Le parler-vrai de certains créateurs de contenus se dissolvant souvent dans une forme de populisme. Il est vrai que de nombreux contenus de qualité sont aujourd’hui accessibles sur internet, mais il s’agit d’une masse de données non structurées que les non-initiés ne sont pas en mesure de transformer en informations exploitables. Si bien que les contenus qui émergent à la conscience collective sont plus souvent que de raison ceux qui suivent la ligne de moindre résistance, c.-à-d. qui se jouent de nos peurs et de nos désirs. Comme le stipule la loi de Brandolini : « la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter des sottises […] est supérieure d’un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire ». L’économie des narratifs chère à R. Shiller bat donc son plein.
La manifestation la plus visible de la perte de mesure et de diversité dans le discours est la concentration des indices actions. Surprenant en effet de voir qu’un indice comme le MSCI World, qui est composé de plus de 1000 sociétés, se comporte comme s’il n’en comptait en réalité qu’une centaine, du fait du niveau de concentration historique sur les fameux 7 magnifiques. Mais la manifestation la plus préoccupante du rétrécissement de la focale cognitive, favorisée par les médias sociaux, est la perte d’ancrage au réel. Le cas du Private Equity (PE) est symptomatique. Il s’agit, en pratique, d’achats le plus souvent faits avec levier d’actions d’entreprises non cotées. Malgré cela, le PE est souvent présenté comme moins risqué que les actions cotées. Or l’absence de valeurs liquidatives (VL), et donc de volatilité, n’indique en rien l’absence de risques…
C’est le principal écueil du populisme financier ambiant. Faire croire à des investisseurs non avertis que l’on peut gagner beaucoup d’argent sans faire d’efforts, ou presque. Qu’il suffît d’investir une petite somme tous les mois pour que la magie des intérêts composés opère, et que l’on devienne, à coup sûr, indépendant financièrement (pour ne pas dire riche). Malheureusement, cette promesse alléchante porte en elle les germes de son propre échec.
Le danger est que les investisseurs prennent conscience des risques réels au moment où le marché corrige (et il le fera) et qu’ils cèdent à la panique, cristallisant ainsi des pertes importantes. Qu’on se le dise, toutes les personnes qui déclarent être prêtes à perdre l’argent qu’elles ont investi ne le sont pas ! Il s’agit là d’un point essentiel, car le fait d’accepter le risque en pleine conscience est le principal déterminant de la capacité d’un investisseur à accumuler du capital sur la durée. Soulignons à ce titre qu’un investisseur privilégiant un produit générant une performance de 6 % par an (un fonds diversifié) à un placement sans risque à 3 % (un livret d’épargne) accumule le même capital… 20 ans plus vite !
Il faut absolument familiariser les investisseurs avec le risque plutôt que de chercher à le dissimuler à la faveur de formules complexes, de VL sporadiques, voire de présentations trompeuses. A l’instar des vaccins, qui exposent notre système immunitaire à la maladie pour que notre organisme apprenne à la combattre, il faut que les investisseurs apprennent à embrasser le risque. Qu’ils acceptent qu’il ne puisse y avoir de performance sans risque. Et, dans le même temps, qu’ils comprennent que toute prise de risque n’est pas nécessairement synonyme de performance. Qu’il faut sélectionner avec soin des risques qui leur conviennent, c.-à-d. qui leur permettront de générer de la performance, sans pour autant les empêcher de dormir la nuit.
C’est la raison pour laquelle il faut mettre fin aux informerciales agressives ponctuées par un : « Do Your Own Research ». Comme si cela suffisait à se dédouaner de toute responsabilité. C’est à cette condition que les finfluenceurs gagneront leurs lettres de noblesse. En faisant leurs recherches de façon impartiale et en présentant leurs conclusions de façon, certes, neuroergonomique, mais aussi et surtout équilibrée. Autrement, les Français qui ne feront pas appel à des experts et qui préféreront suivre les conseils de vendeurs de rêves risquent de connaître des lendemains qui déchantent. Et cela serait fort dommageable pour notre système socio-économique tout entier.
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