Les marchés cotés se meurent, vive les marchés de gré à gré ?
Il suffit en effet d’observer l’évolution de la composition des portefeuilles des investisseurs depuis la grande crise financière de 2008, pour constater que la part allouée aux actions cotées a fondu comme neige au soleil tandis que celle consacrée aux actions (et depuis peu aux obligations) non cotées, est en forte hausse. Que nous révèle ce phénomène de vases communicants du coté vers le non coté ?
Rappelons en préambule que les marchés dits organisés ont été créés pour faciliter la confrontation des intérêts à l’achat et à la vente du plus grand nombre possible d'agents économiques ; dans le but de stimuler le processus de découverte des prix des actifs risqués ; et permettre une allocation optimale des capitaux. Pour que lesdits marchés puissent faire preuve de sagesse, et mener à bien leur mission ; quatre conditions doivent être réunies :
- 1/ Les agents doivent être indépendants, pour ne pas voir émerger des dynamiques collectives potentiellement déstabilisantes,
- 2/ ils doivent présenter une grande diversité de profils, pour éviter une trop forte polarisation de l’ensemble,
- 3/ détenir au moins une petite partie de l’information que l’on cherche à découvrir, pour ne pas finir qu’avec du bruit,
- 4/ et enfin, ils doivent avoir une incitation à découvrir l’information avant les autres, pour que l’intérêt individuel serve l’intérêt général.
Force est de constater qu'aucune de ces conditions n'est plus vérifiée aujourd’hui. Il est donc tout à fait légitime que les investisseurs s’interrogent sur la façon dont ils veulent s’exposer aux actifs risqués. Attention toutefois à ne pas tomber de Charybde en Scylla. Si les marchés cotés ne sont pas aussi efficients que l’on pourrait le souhaiter (F. Black estimait à ce sujet que sur un marché efficient le prix d’un actif risqué peut varier entre 50% et 200% de sa valeur théorique), leurs excès sur le court-terme ne doivent pas pour autant faire oublier les bénéfices qu’ils apportent sur le plus long-terme. Et c’est peut-être là, le principal enseignement que l’on peut tirer de cette dérive des portefeuilles des investisseurs tant institutionnels que particuliers. Le rétrécissement progressif de leur horizon d’investissement les a rendu plus sensibles aux soubresauts des marchés, provoquant leur surréaction et alimentant ainsi ces pics de volatilité qu’ils redoutent tant.
A cet égard, l’année 2008 a été un véritable point de bascule pour les investisseurs, qui ont réalisé les limites de ce qu’ils considéraient jusqu’alors comme le seul « repas gratuit » en finance : la diversification. S’ils ne pouvaient plus contrôler cette volatilité qui leur cause tant de tourments, il leur fallait la masquer d’une manière ou d’une autre. Pour cela, ils ont eu recours à des produits et/ou stratégies qui ont le mérite de pouvoir lisser les prix des actifs sous-jacents, à la faveur de valeurs liquidatives épisodiques.
Cela pose des questions essentielles : les investisseurs ont-ils réellement intérêt à se focaliser sur la volatilité ? Ne devraient-ils pas plutôt chercher à se prémunir contre les facteurs de risque dont elle est la manifestation ? Car, comme le disait A. Lavoisier : « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Dit autrement, il ne suffit pas de mettre la poussière sous le tapis pour qu’elle disparaisse. Bien au contraire. L’histoire des marchés financiers est parsemée de prises de conscience tardives de la part des investisseurs des risques auxquels ils avaient, plus ou moins consciemment, accepté de s’exposer. Et le dénouement est rarement heureux.
Ce qui nous renvoie à l’une des lignes de faille des marchés de capitaux modernes : l’hyper intermédiation. L’empilement des relations d’agences a en effet eu pour conséquence de faire progressivement passer l’intérêt des investisseurs finaux au second plan, loin derrière celui des relations d'agences elles-mêmes. Ce qui explique l’importance accordée aujourd'hui à la volatilité, devenue synonyme de service après-vente pour beaucoup. Soulignons à ce titre que lorsque les différentes parties prenantes à une transaction (typiquement les représentants d'un producteur et d'un distributeur) restent en moyenne moins longtemps sur leur poste, l'horizon sur lequel la pertinence de l'opération (pour l’investisseur) pourra être constatée. Il n’y a pour ainsi dire plus de « skin in the game ». Concrètement, personne n’est comptable des décisions prises. Le réel n’a alors plus vraiment d’importance, seul le narratif compte.
Il faut regarder les faits, disait W. Churchill, parce que les faits eux, vous regardent. C’est tout l’objet des marchés cotés, qui agissent, dans une certaine mesure, comme la pierre de touche de notre système socio-économique. Si la volatilité des marchés cotés peut être « rugueuse », et heurter les âmes sensibles, le fait de se frotter à la dure réalité de la loi de l’offre et de la demande permet à ce système de rester ancré dans une certaine réalité. Ils jouent en cela un rôle crucial dans notre destinée collective. Malheureusement, l'intégrité des marchés cotés est mise en péril par le désengagement massif des investisseurs de long terme. Situation d’autant plus regrettable que notre système socio-économique n’a jamais eu autant besoin de capitaux à long terme pour financer sa transition vers un modèle plus durable.
Les investisseurs ont toujours été averses au risque, à l’incertitude et à l’ambiguïté. Mais nul doute que les investisseurs socialement responsables, dont les rangs ne cessent de s’étoffer si l’on en croit les déclarations publiques faites par les uns et les autres, sauront dompter leurs « Esprits Animaux » pour que nous puissions, collectivement, construire un monde meilleur. Ne dit-on pas que « le courage n’est pas l’absence de peur, mais la capacité de vaincre ce qui fait peur » !
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