Retour vers le futur
Nom de Zeus ! Le processus de normalisation des taux amorcé en 2022 par les banquiers centraux crée progressivement les conditions nécessaires aux gérants d’actifs, réellement actifs, pour surperformer de façon significative les gestions passives.
Biais de cadrage oblige, la fin d’année calendaire est une période très importante pour tous les gérants d’actifs. C’est non seulement l’occasion de revisiter le passé, d’évaluer, avec le bénéfice du recul, les décisions prises tout au long de l’année écoulée ; mais aussi de se projeter dans le futur, de formuler des anticipations pour l’année à venir. S’il est clair que l’art de la prédiction est une chose difficile, l’incertitude associée au passé est nettement moins intuitive et requiert en ce sens une attention particulière, au risque, sinon, de répéter encore et toujours les mêmes erreurs. Il est en effet important de comprendre que le chemin suivi dans le passé est la réalisation d’un état du monde parmi beaucoup d’autres possibles. Plus que le chemin suivi, ce sont donc les grandes tendances qui ont concouru à ce qu’il puisse se réaliser qu’il faut absolument identifier, pour pouvoir composer, dans le futur, avec la volatilité inhérente aux marchés financiers.
Un autre biais cognitif qui joue un rôle important dans la prise de décision des investisseurs, et qui est particulièrement pertinent dans le contexte actuel, est le biais de représentativité. Ce biais cognitif fait référence à notre propension à projeter de façon plus ou moins linéaire ce que l’on a vécu hier, en considérant que cela est représentatif de ce que l’on vivra demain. Or, il apparaît que le processus de normalisation actuellement à l’œuvre sur les marchés financiers est susceptible de provoquer un changement de direction. Rares sont les portefeuilles qui sont construits pour composer avec les mouvements à contre-tendance, et potentiellement non linéaires, que cela peut engendrer. Cette fragilité n’apparaît pas encore dans les données, mais elle est bien réelle. Cela en fait l’un des principaux risques auxquels sont aujourd’hui exposés les investisseurs.
Le revirement brutal des banquiers centraux en 2022 modifie en effet en profondeur le taux de préférence au présent de tous les agents économiques, ce qui va nécessairement donner lieu à une plus grande discrimination entre et, plus encore, au sein des différentes classes d’actifs. Rappelons à ce titre qu’il n’y a pas de bons et de mauvais risques ; il y a des risques qui sont au bon prix, et d’autres qui ne le sont pas. A ce propos, notons que parmi les risques mal valorisés, la liquidité, dont on commence (enfin) à (re)parler, est l’un des plus importants aujourd’hui, et pas seulement dans l’immobilier ! Seule certitude à ce stade, compte tenu des disparités de valorisation que l’on peut observer dans le marché et du manque de diversité des portefeuilles des investisseurs : le retour à une certaine forme d’orthodoxie financière ne se fera pas sans heurts pour un grand nombre d’acteurs.
Le mimétisme extrême qui a conduit les portefeuilles des uns et des autres à se concentrer sur un nombre très réduit de risques, au point désormais de fragiliser tout l’écosystème, doit nous amener à nous interroger sur cette lame de fond qu’a été la gestion passive au cours des 50 dernières années. Si les investisseurs se contentent de suivre les autres investisseurs, qui, eux-mêmes, ne font que les suivre, sur quelle information Monsieur le Marché capitalise-t-il ? Quid du processus de découverte des prix, qui, rappelons-le, est la raison d’être des marchés financiers ? Par ailleurs, si tous les investisseurs souhaitent acheter (ou vendre) le même actif au même moment, qui va le leur vendre (ou acheter) ? Cela n’est pas sans rappeler le paradoxe de Grossman-Stiglitz, et l’impossibilité pour le marché de fonctionner correctement au-delà d’une certaine limite. Nous pourrions en faire l’expérience en 2024.
La bonne nouvelle, pour qui aura le courage de sortir du troupeau, c’est que de formidables opportunités d’investissement vont voir le jour. Les − 20 %, − 30 %…, − 50 % enregistrés sur une seule journée par certaines valeurs montrent à quel point les mouvements peuvent être brutaux. Cela impliquera bien évidemment de la volatilité sur le court terme, et donc un horizon de placement plus long que ce à quoi beaucoup d’investisseurs se sont habitués. Mais les gérants d’actifs réellement actifs, c.-à-d. ceux qui acceptent de sortir des sentiers ultra battus, pourraient bien connaître, dans les années qui viennent, l’environnement le plus favorable qu’ils ont connu depuis 15 ans. Encore faudra-t-il que les investisseurs leur en donnent la possibilité…