La récession et l’esprit du temps

Publié le 20 septembre 2024 à 15h00

Wilfrid Galand    Temps de lecture 5 minutes

La peur d’une récession imminente trouble régulièrement les investisseurs. A ce stade, elle en dit plus sur les marchés que sur l’état réel de l’économie.

Le lundi 5 août 2024, la peur a soudainement fait irruption sur les marchés. En quelques heures, les grands indices actions mondiaux ont dégringolé, le Nikkei enregistrant même sa plus forte baisse en une journée depuis le krach d’octobre 1987. Plus que le contexte économique, c’est le revirement annoncé de la politique monétaire de la Banque du Japon qui a mis le feu aux poudres, avec la perspective de la fin d’une source de liquidités considérée longtemps comme inépuisable par les investisseurs du monde entier.

Mais c’est bien la crainte d’un ralentissement brutal aux Etats-Unis qui a accéléré la transmission de la peur depuis Tokyo vers l’Europe et Wall Street. Dès le jeudi 1er août, la publication de l’indice ISM des directeurs d’achats américains du secteur manufacturier avait refroidi l’ambiance. Avec une composante nouvelles commandes – la plus avancée de toutes donc – à 47,4 contre 49 attendu et 49,3 le mois précédent, non seulement le seuil de contraction de 50 était-il amplement franchi, mais la nouvelle était encore plus mauvaise qu’anticipé.

Pour conforter les craintes, le lendemain, une nouvelle donnée, celle des créations nettes d’emploi dans le pays, ressortait là aussi bien inférieure aux attentes. L’affaire était entendue, la récession s’approchait ! Certains y allaient même de leur appel à la Fed pour baisser les taux dans les 15 jours via une réunion d’urgence de son comité de politique monétaire. Patatras, quelques jours plus tard d’autres publications, sur les services cette fois-ci et encore sur l’emploi, venaient renverser ce pessimisme. Plus tard dans le mois, tant les ventes au détail que le livre rouge des distributeurs américains rassuraient sur l’allant du consommateur américain. Et les chiffres publiés dans les premiers jours de septembre confirment cette tendance positive. 

Que nous enseignent ces mouvements brutaux des grands indices actions mondiaux ? D’abord qu’une grande confusion règne chez les économistes et analystes de Wall Street quand il s’agit d’évaluer la robustesse de l’actuel cycle de croissance de l’activité qui permet aux indices de battre régulièrement leurs records.

Certains avancent que ce cycle touche à sa fin. La fin annoncée de la politique budgétaire ultra laxiste, désormais limitée par la dette et l’explosion de son service, l’épuisement de l’épargne excédentaire accumulée depuis la pandémie et les fragilités croissantes du marché du travail sont les trois grands volets de leur argumentation.

Ces trois inquiétudes ne sont pas sans fondement, mais nous semblent ne pas mener, à ce stade, à une inévitable récession à court terme. D’abord parce que l’arrêt de l’incessant creusement du déficit budgétaire sera très progressif et, surtout, il sera compensé par le desserrement monétaire d’ores et déjà annoncé et programmé par la Réserve fédérale. Ensuite parce que le consommateur américain ne puise pas dans son épargne post-covid, mais dans ses revenus dont la progression, depuis plusieurs trimestres, est supérieure à celle de l’inflation. Sans compter qu’à aucun moment depuis la pandémie, le taux d’épargne des ménages n’est passé en territoire négatif, ce qui montre qu’une partie des revenus a bel et bien été mise de côté, sans toucher à une épargne covid pour consommer.

Il peut en outre compter sur la capacité du système financier américain à l’accompagner via le crédit. Certes, les taux de créances douteuses sur les cartes de crédit sont remontés, mais les crédits consentis par les cartes ne représentent que moins de 6,5 % des encours des crédits totaux à la consommation et le taux de créances douteuses sur ceux-ci, à moins de 4 %, est encore au plus bas depuis vingt ans. Enfin, même si le marché de l’emploi s’est inéluctablement normalisé après la surchauffe post-covid, celui-ci demeure encore favorable aux ménages. Avec un ratio de 1,2 offres d’emploi pour un demandeur, l’économie est encore loin du seuil de 0,8-0,9 à partir duquel le risque de récession devient réel. En fait, la nervosité qui saisit les investisseurs nous en dit plus sur l’état du marché lui-même que sur l’économie qui le soutient.

Depuis début 2023, ce sont largement les géants de la technologie qui ont propulsé les indices vers les sommets tandis que le reste des valeurs – le S&P 493 – restait à la traîne. Or les promesses de l’intelligence artificielle, pour se concrétiser, réclament des investissements toujours plus massifs dans des infrastructures toujours plus performantes. Face à des coûts certains et des revenus encore largement incertains, du moins dans leur horizon de temps, les investisseurs deviennent méfiants et prennent leurs bénéfices, y compris envers Nvidia, longtemps à l’abri de toute turbulence. La Fed, avec le concours prudent de la BCE, devrait aider les marchés à passer ce cap, mais les réactions de plus en plus épidermiques lors des publications de résultats nous enseignent qu’une fois de plus, si on souhaite une vie de sérénité, les marchés financiers ne sont sans doute pas le meilleur endroit ! 

Wilfrid Galand directeur stratégiste ,  Montpensier Finance

Wilfrid Galand est directeur stratégiste de Montpensier Finance

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