Les banques centrales, malgré tout
L’excès de prudence des banques centrales inquiète les investisseurs. Mais une nouvelle Grande Modération se met progressivement en place sans les attendre.
La déception a été à la hauteur des attentes. Les réunions de janvier des grandes banques centrales étaient pourtant gravées dans l’agenda des décideurs économiques depuis que la première d’entre elles, la Fed américaine, avait ouvert la voie en décembre l’année dernière à de futures baisses de taux. Tout était ouvert et à préciser : date de la première baisse, rythme, objectif final…
Las, rien de tout ceci n’était dans le script tout en contrôle des grands argentiers. Compte tenu des difficultés de la BCE à maintenir un semblant de cohérence dans un comité de politique monétaire très divisé, le contraire aurait finalement été surprenant pour l’institution de Francfort, où la règle du Plus Petit Dénominateur Commun prévaut, à savoir le retour à la lettre des traités et donc à l’atteinte, quoi qu’il en coûte par ailleurs, des 2 % d’inflation.
En revanche, l’espoir était plus grand lorsque Jerome Powell s’est installé au pupitre pour sa conférence de presse après la réunion de politique monétaire du 31 janvier. N’était-ce pas lui qui avait ouvert la voie, le 13 décembre dernier, à une inflexion décisive de la trajectoire de taux d’intérêt, revenant à l’esprit de son double mandat, l’inflation d’un côté et le plein emploi de l’autre ?
Mais la circonspection l’a emporté sur le courage. Celui, rappelait Charles Péguy, qui consiste à voir ce que l’on voit. C’est-à-dire la baisse rapide de l’inflation, depuis plus de 6 mois désormais, qui conduit l’indice le plus suivi par la Fed – celui de la progression des prix PCE hors alimentation et énergie – à s’afficher, en chiffres annualisés, à 1,9 % sur les 6 derniers mois et même à 1,5 % sur les 3 derniers, bien en dessous de l’objectif de 2 %.
Malgré la croissance qui surprend par sa vigueur outre-Atlantique et un marché de l’emploi dynamique, rien ne parvient, à ce stade, à perturber la dynamique désinflationniste, même si les perturbations en mer Rouge restent à surveiller.
En dépit de ce contexte favorable, pour Jerome Powell comme pour Christine Lagarde, pas de calendrier, de rythme, d’objectif, ni même de critères pour de futures baisses de taux. Sur le moment, les investisseurs se sont inquiétés de cette indécision. Mais avec un peu de recul, le constat est clair : le marché n’a pas attendu et anticipe déjà la future trajectoire, et qu’importe s’il s’emballe, car l’essentiel est là : les taux ont déjà fortement baissé depuis 4 mois.
A tel point que le triptyque taux / croissance / inflation, rappelle une configuration surnommée la Grande Modération, entre le début des années 2000 jusqu’à la crise de 2008.
Certes, le contexte monétaire est différent : à l’inverse de la grande stabilité d’aujourd’hui sur la paire euro-dollar, les années 2002-2008 sont caractérisées par une érosion continue du billet vert au profit de la monnaie unique, celle-ci atteignant en juillet 2008 son sommet historique à quasiment 1,6 dollar pour un euro.
Le contexte géopolitique mondial présente, pour sa part, au-delà de divergences évidentes – Taiwan n’était pas, au temps de Jiang Zemin et Hu Jintao, un sujet aussi épidermique pour la Chine que pour Xi Jinping, et les foucades de Donald Trump y restaient limitées à ses aventures immobilières –, certains points de similitude : le Moyen-Orient, au travers de la focalisation des Etats-Unis sur l’Irak, était déjà l’objet de toutes les inquiétudes, et le fort caractère de Georges W. Bush troublait l’establishment républicain.
Economiquement, le ralentissement de la croissance de la productivité aux Etats-Unis inquiétait comme elle intriguait jusqu’à ces derniers mois. Le levier financier permettait la poursuite de la dynamique américaine, alors que la Chine entamait son irrésistible ascension.
Sur les marchés, nul GAFAM à l’horizon après l’implosion de la bulle technologique. C’est bien plutôt l’exubérance de la finance et sa créativité sans limites qui attiraient l’attention des investisseurs et la vigilance des observateurs. Les banques y paraissaient irrésistibles, alliant croissance et dividende élevé. Le retournement, en 2008, allait marquer un changement d’époque.
En définitive, et malgré les différences, une Grande Modération nouvelle formule serait, comme pour les années 2002-2008, une bonne nouvelle pour les marchés. Ce scénario, même s’il a pris de la consistance ces dernières semaines, est tout sauf certain et l’extrême prudence des banques centrales est perturbante. Mais en ces temps parfois sombres, l’espoir n’est pas interdit.
Wilfrid Galand est directeur stratégiste de Montpensier Finance
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