Marchés et volatilité : méfiez-vous des trompe-l’œil

Publié le 11 décembre 2024 à 14h16

Tarek Issaoui    Temps de lecture 4 minutes

À considérer la faible volatilité des indices boursiers, on pourrait croire à un calme prévalant sur les marchés actions. Il n’en est rien dès qu’on regarde la cote dans le détail : la dispersion est de mise, les divergences et retournements de situation abondent. Un terrain de jeu idéal pour les gérants actifs.   

Pour prendre le pouls des marchés, il est d’usage de se référer au VIX. Cet indicateur de volatilité implicite[1] agit comme un baromètre pour les investisseurs : à plus de 30%, avis de tempête, à moins de 15%, calme plat. À l’heure où nous écrivons ces lignes, 2024 bientôt achevée, le VIX a passé plus de la moitié de l’année en dessous de ce seuil de 15%. Hormis un coup de semonce début août, lié à des débouclements de « carry trade » dans une période d’illiquidité, les indices boursiers ont évolué en toute quiétude. Les sources d’incertitude n’ont pourtant pas manqué, que ce soit sur un plan « top-down » ou « bottom-up ». Ni les élections américaines, ni le conflit au Moyen-Orient, ni les renversements de gouvernements, les craintes de bulle ou de « hard landing » ne sont parvenus à sortir les marchés de leur torpeur apparente.

Faut-il pour autant conclure à une marche sereine des marchés ? Du côté des investisseurs, à quoi bon investir dans des produits de gestion active si les indices progressent à pas réguliers ? La réponse semble évidente quand on considère le comportement agrégé des marchés actions, elle l’est beaucoup moins si l’on commence à regarder à l’intérieur de la cote.  

Considérons par exemple le marché européen. Les écarts de performance entre titres sont considérables, avec des « de-ratings » violents sur certaines valeurs ou secteurs. Entre SAP en hausse de plus de 70% en 2024 versus Bayer, Kering ou Stellantis en baisse de près de 40%[2], les mouvements relatifs comme absolus ont été plus que significatifs. Ce sont bien entendu des dossiers spécifiques, mais le constat demeure en dézoomant, avec un secteur retail en hausse de plus de 40% sur l’année, quand les secteurs auto ou ressources de base s’affichent en recul d’environ 15%. En termes factoriels, toujours sur le marché européen, les valeurs cycliques ont largement souffert, les valeurs défensives ayant tiré leur épingle du jeu. Les histoires n’ont donc pas manqué, qu’elles soient idiosyncratiques ou sectorielles. Aux Etats-Unis, le constat est le même. Entre le secteur des semiconducteurs et celui des équipementiers automobiles, l’écart de performance dépasse les 100% ! Et à l’intérieur des secteurs - entre Tesla et Ford Motors, entre Eli Lilly et Moderna - le différentiel peut lui aussi s’avérer impressionnant.

On pourra bien sûr penser que ces exemples ont été opportunément choisis, que chaque année recèle son lot de divergences internes. Il existe cependant des mesures statistiques objectives de cette dispersion, notamment via la corrélation entre titres. Ainsi, en 2024, la corrélation réalisée au sein de l’indice S&P500 a été l’une des plus basses observée au cours des 15 dernières années[3]… Autrement dit, les titres composant la cote boursière américaine ont tiré l’indice à hue et à dia, une dispersion record qui explique en partie la faible volatilité agrégée des marchés. Le VIX agit dès lors comme un trompe-l’œil ; soulever le couvercle des marchés, c’est assister à une bataille féroce.

Le phénomène de concentration des indices n’est qu’un aspect de cette lutte. Certes, l’impressionnante performance boursière des « 7 Magnifiques » de la tech s’est opérée, en creux, au détriment d’autres pans de la cote. Les flux d’investissement dirigés sur un nombre restreint de titres ont de fait laissé de côté des secteurs entiers, provoquant de forts écarts de rendement. Néanmoins, depuis l’été, cette concentration n’est plus de mise, comme en témoigne par exemple le rééquilibrage de performance entre l’indice S&P500 et son homologue « Equal Weight »[4]. Les sources de contribution à la progression des marchés se sont élargies – on parle de « broadening ».

Dispersion, fortes divergences entre titres et secteurs, changements de « leadership », voilà qui constitue un terrain de jeu idéal pour les gestions actives. Les apparences plaident encore pour les produits de type ETFs, mais la mécanique interne des indices montre une évolution de la structure des marchés. Les opportunités de surperformance sont là. Aux gérants « stock-pickers » d’en tirer parti.

[1] Portant sur les options liées à l’indice S&P500.

[2] Source : Bloomberg. Données au 10 décembre 2024.

[3] Source : Bloomberg. Corrélation réalisée sur 3 mois glissants au sein du S&P500.

[4] Indice S&P500 Equal Weight, au sein duquel les 500 titres de l’indice se voient attribuer la même pondération.

Tarek Issaoui chef économiste et responsable des processus de gestion ,  Sycomore AM

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