Où trouver refuge ? Le choix entre actions et obligations vu sous un nouveau jour

Publié le 22 novembre 2024 à 11h00

Tarek Issaoui    Temps de lecture 4 minutes

Le réflexe habituel est d’associer les actifs obligataires aux notions de refuge et de visibilité, et les actions à celles de risque et de volatilité. Ces dernières années sont venues changer la donne, au profit des actions de qualité. En cause, la dette et l’attitude des Etats, des banques centrales et des entreprises cotées, provoquant un rééquilibrage des hiérarchies. 

Ces dernières années ont réservé aux investisseurs de nombreuses surprises. L’une d’entre elles, sans qu’elle ait nécessairement attiré l’attention du plus grand nombre, est très parlante : depuis 2023, la vola tilité des actions américaines de qualité s’est avérée infé rieure à celle des obligations d’Etat US à long terme (de maturité 10 ans ou plus), en net contraste avec le com portement historique. On peut bien sûr mettre en doute la pertinence d’utiliser la volatilité pour juger du risque d’un actif financier. Mais des mesures plus simples telles que le drawdown confirment la lecture. Entre l’été 2020 et l’automne 2023, ces obligations de long terme1 ont perdu 45,4 % de leur valeur, quand les actions de qualité2 ont subi une perte maximale de 29,7 %, sur une période bien plus courte de surcroît. 

Ce sont des chiffres et des mouvements de marché qui marquent les esprits. Dès lors, peut-on encore parler, comme c’était l’usage, des obligations d’Etat comme de l’actif refuge par excellence ? Et les plus hauts historiques atteints à intervalles quasi réguliers par les grandes capi talisations boursières, malgré un contexte macroécono mique à l’évidence très troublé, ne témoignent-ils pas d’une nouvelle donne ? 

D'aucuns rétorqueront que la période de sortie du co vid-19 était exceptionnelle, que les obligations se trou vaient pour une fois au centre de la tempête à cause d’une inflation soudainement galopante, et que nous voyons aujourd’hui les signes d’une normalisation sur le front de cette même inflation. Retour aux fondamen taux  ? Oui et non, car la hiérarchie de volatilité à l’avan tage des actions de qualité est restée en place sur cette année. Les marchés obligataires continuent à afficher une relative nervosité, quand une partie de la cote boursière défie les prédictions de retournement. 

Quelque chose a bien changé, quelque chose ayant pro bablement à voir avec le questionnement logique d’une partie des investisseurs quant au statut des obligations d’Etat dans un contexte de recul de la politique moné taire au profit du volet fiscal et de creusement significatif des déficits publics. Quel refuge peut-on trouver dans des actifs émis par des acteurs dont la santé financière pose question ? Si tempête il y a, ne vient-elle pas précisément d’eux ? Sans même avoir à envisager un retour de l’inflation (comme cela avait été le cas en plusieurs vagues durant les années 70, la simple incertitude sur la stabilité de trajectoire des finances publiques commande une prime de risque.  

En face, quelles autres options se présentent ? L’or en est une, vu comme une réserve de valeur – et la hausse des cours témoigne d’une réelle recherche d’actifs refuges. Mais les masses en jeu ne sont pas du tout comparables, et la diversification limitée. Viennent les actions, mais pas n’importe lesquelles : celles qui répondent justement aux critères de visibilité et de relative robustesse du modèle économique. Quand les obligations d’Etat versent des coupons, les actions versent des dividendes. Quand l’or est vu comme un actif réel, les entreprises peuvent l’être aussi : pour leurs immeubles, leur technologie, leurs bre vets. Cerise sur le gâteau, surtout aux Etats-Unis, cer taines rachètent leurs propres actions, apportant un sou tien prévisible et quasi uniforme dans le temps à leur propre cours. Et quand on parle de dette et de déra page des comptes, les grandes capitalisations boursières affichent un endettement relativement faible, se retrouvant même pour certaines cash rich. Enfin, le tableau ne serait pas complet si l’on ne mentionnait pas l’attitude des banques centrales, qui depuis une quinzaine d’années déjà n’ont eu de cesse de se porter au secours des mar chés actions, apportant un Put gratuit aux investisseurs et lissant la volatilité des cours. Les actions bénéficient de ce support providentiel, générant un aléa moral se traduisant par une perception du risque atténuée ; à tort ou à raison, les plus pessimistes y voyant un trompe-l’œil, les autres une opportunité, ou juste de nouvelles règles du jeu. 

Car, au fond, rien ne définit avec certitude ce qu’est un actif refuge, sinon, aucune équation, juste l’agrégation des sentiments et anticipations des acteurs de marchés. Mais une fois ancrées, ces conventions ont la peau dure. Le statut des obligations d’Etat est durablement écorné. La nature (financière) ayant horreur du vide, elle se tourne vers d’autres actifs. Dans un renversement de valeurs, prudence pourrait pour plusieurs années encore rimer avec action.

Tarek Issaoui chef économiste et responsable des processus de gestion ,  Sycomore AM

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