(AOF) - "Les pays émergents ont bien résisté à la remontée des taux américains". C’est ce qu’affirme Michael Israel, co-fondateur et gérant d’IVO Capital, une société de gestion spécialiste des pays émergents. Dans un entretien accordé à AOF, il détaille les raisons de la résilience des économies émergentes aux récentes évolutions macroéconomiques.
Quel est l'intérêt de la dette émergente pour les investisseurs ?
Ce marché très vaste, 2500 milliards de dollars, peut représenter une opportunité d'être sur la courbe des taux américaine sans être obligé de se limiter aux émetteurs américains. Ce marché est aussi très diversifié. Si on regarde la géographie des émetteurs de ce gisement, 60 pays différents sont représentés pour un peu plus de 1 000 émetteurs. Cette classe d'actifs représente un bon terrain de jeu pour un gérant.
Quels sont les principaux émetteurs de dette émergente?
Les grands émetteurs en dollars, pour les entreprises, sont le Mexique, le Brésil, l'Inde, la Chine. La Chine possède comme particularité d'avoir un marché vraiment coupé en deux : il y a un marché " investment grade " qui est assez diversifié, et un marché " high yield " qui a presque disparu. Il était aux deux tiers composé d'émetteurs dans l'immobilier, et du fait de la crise la plupart d'entre eux ont disparu.
L'Argentine est-elle un pays attractif ?
L'Argentine est très intéressante parce qu'il s'agit d'un " serial defaulter " au niveau de sa dette souveraine, un pays qui fait défaut et qui restructure sa dette régulièrement. Et pourtant, au niveau corporate, les émetteurs argentins traversent très bien toutes ces crises souveraines. Il y a très peu de défauts. Les entreprises sont de très bonne qualité, car elles sont habituées à évoluer dans un environnement très dur, très volatil, et elles prennent donc peu de risques sur leur bilan. Elles possèdent des niveaux d'endettement parmi les plus faibles au monde. Ceci dit c'est peut-être un peu subi aussi. L'Argentine est un pays dont le code postal fait peur à tout le monde, l'accès au crédit n'est pas simple.
Qu'est-ce qui a changé durant ces 2 ou 3 dernières années ?
Les économies nationales, dans l'ensemble, ont assez bien résisté à ce qui aurait pu être un bain de sang, c'est-à-dire la remontée des taux américains. Généralement, un tel développement est mauvais pour les économies émergentes, surtout quand une telle remontée est forte et rapide comme cela a été le cas.
L'explication à cette résistance se trouve dans l'évolution de la structure de la dette des pays émergents depuis 30 ans. A cette époque, seulement 10% à 15% des dettes souveraines des pays émergents étaient "investment grade". Aujourd'hui, la proportion est passée à presque deux tiers.
Entretemps, il y a eu le boom des commodities et ces pays ont pour la plupart bien émergé. Les matières premières, et notamment le prix du pétrole ou les matières premières agricoles, ont vu leur prix s'apprécier. Surtout, ces pays, grâce au développement de leur propre économie, ont développé une épargne locale et donc une capacité à se financer en dette locale.
Et quelles sont les conséquences de ces évolutions ?
Elles ont fait une grande différence. Historiquement, la difficulté pour les pays émergents était d'avoir l'essentiel de leur dette en dollars. En 30 ans le pourcentage de la dette externe en dollars de ces pays-là a considérablement baissé, de sorte que leur vulnérabilité aux taux d'intérêt américains et à la hausse du dollar s'est considérablement réduite. Il y a cependant toujours les mauvais élèves parmi lesquels l'Argentine ou la Turquie.
Deuxièmement, ces pays ont bien géré ce resserrement monétaire américain. Ils n'ont pas été 'courir après la balle', ils ont anticipé la hausse des taux américains et ont remonté leurs taux d'intérêt locaux en amont. En conséquence, ils n'ont pas subi de rapatriement aux Etats-Unis de fonds placés dans les émergents.
Le problème actuel est donc non pas l'économie mais la géopolitique
Oui, la géopolitique a changé. Notre risque est de surpondérer des pays qui seraient dans le mauvais camp par rapport à l'Occident. Vis-à-vis de nos investisseurs, nous ne pouvons pas nous trouver dans une situation ‘à la russe', c'est-à-dire qu'après avoir investi dans des entreprises d'un pays, dans des entreprises de bonne qualité, du jour au lendemain on nous dise que ce pays n'est plus investissable. Nous avons parfaitement évité chez IVO le problème russe.
Quelle serait la question clé pour ces prochains mois ?
Il y a une question à mille milliards de dollars à laquelle il est très difficile de répondre : quelle est la sensibilité de l'économie américaine et donc mondiale au taux d'intérêt ? A la surprise générale, aussi bien les entreprises que les ménages américains n'ont pas subi un impact très fort au moment de la hausse des taux alors que l'économie aurait pu s'arrêter net. Le fait que cette sensibilité de l'économie au taux d'intérêt a drastiquement baissé par rapport à son niveau historique a bluffé tout le monde.
Nous nous sommes rendus compte a posteriori que tant les ménages que les entreprises avaient assez bien refinancé leurs dettes au bon moment et pour des périodes assez longues. Mais nous ne savons pas exactement pour combien de temps. C'est un peu comme si j'avais un crédit immobilier, et qu'au moment où les taux remontent, je reste serein parce que mon crédit est à taux fixe, et qu'il me reste encore 10 ans devant moi.
Il devra y avoir un ajustement, la question est de savoir quand cela va arriver. Maîtrise-t-on assez bien le calendrier des refinancements, tant pour les ménages que pour les sociétés, pour savoir quand on verra apparaître ce nouveau coût du capital sur les sociétés ?
Propos recueillis par Matthieu Richard-Molard