La valse à trois temps des banques centrales
Entre inflation et récession, efficacité et agitation, coopération et concurrence, les banques centrales hésitent et changent d’avis. Il leur faudra pourtant rapidement se tenir à un cap clair.
La guerre en Ukraine et les sanctions prises contre la Russie ont renforcé la pression sur les grandes banques centrales. Et créé pour elles un premier dilemme, entre lutte contre l’inflation et prise en compte des dangers de récession. L’entrée des troupes russes en Ukraine, le 24 février, a en effet simultanément renforcé les pressions à la hausse des prix mondiaux et détérioré les perspectives de croissance. L’inflation, déjà mesurée à presque 8 % en rythme annuel aux Etats-Unis et 6 % en Europe avant le déclenchement du conflit, ne devrait pas ralentir ces prochaines semaines. Parallèlement, cette hausse des coûts de l’économie mondiale, ajoutée à l’attentisme des agents économiques, entrave le dynamisme de l’activité internationale, déjà en décélération depuis novembre 2021 en raison de la fin du soutien budgétaire exceptionnel mis en place avec la pandémie.
Face à ce premier obstacle, la BCE et surtout la Fed ont fait nettement évoluer leurs positions. Alors qu’en septembre dernier, les membres du comité de politique monétaire de l’institution de Washington étaient hésitants sur la possibilité de monter les taux en 2022 et que ceux de Francfort restaient inflexibles sur le maintien de leur soutien à l’économie, les réunions des 10 et 16 mars ont renversé la donne. La Fed a ainsi annoncé le 16 mars qu’elle envisageait désormais sept hausses de taux en 2022. La BCE, pourtant plus proche du théâtre des opérations militaires, avait anticipé le mouvement le 10 mars en annonçant la possible fin de son dernier programme d’achats d’actifs dès le troisième trimestre de cette année et en ne fermant pas la porte à une hausse de taux avant décembre 2022. Mais l’affaire n’est pas simple. Les banques centrales agissent sur le crédit, donc sur la demande. Or l’essentiel de la poussée actuelle des prix est lié aux perturbations de l’offre. Depuis novembre dernier et la fin des aides massives d’Etat pour contrer les effets de la pandémie, la demande est à la traîne et les salaires réels ne progressent pas.
Voici donc le deuxième temps de la valse des institutions monétaires : faut-il agir fortement malgré tout ? Là aussi, elles ont fait volte-face. A l’automne dernier, tant Christine Lagarde que Jerome Powell insistaient sur la grande difficulté pour leurs institutions d’agir sur l’offre, sauf à vouloir peser très fortement sur la demande, au risque de casser la reprise. Ces préventions semblent avoir totalement disparu ce printemps. C’est le président de la Fed qui a le plus précisément exprimé cette potentielle aporie lors de sa conférence de presse du 16 mars dernier : face aux caractéristiques actuelles de l’inflation, nous sommes largement impuissants a-t-il reconnu en substance, mais la pression des citoyens et des politiques est telle que nous devons agir.
Néanmoins, cette approche n’est pas unanime parmi les grandes banques centrales mondiales, et c’est là le troisième temps de la valse. Déjà, les nuances sont réelles entre les deux rives de l’Atlantique. Echaudée par le précédent de 2011, la BCE se veut plus prudente dans son calendrier et ses modalités de normalisation monétaire que son homologue américaine. L’arrêt du programme « historique » d’achats d’actifs, le seul qui sera encore utilisé au deuxième trimestre, est ainsi clairement subordonné à l’éclaircissement de la situation économique.
Au Japon ou en Chine, les différences sont encore plus nettes. Pour la BoJ, il n’est certainement pas encore temps d’annoncer la fin du soutien monétaire, même si l’augmentation du bilan est très ralentie depuis six mois. Pour la PBOC, le mouvement inverse se prépare : face au fort ralentissement économique, le desserrement du crédit a débuté et devrait s’accélérer pour conforter l’activité à l’automne, lorsque Xi Jinping cherchera un historique troisième mandat présidentiel.
Au-delà du cap clair que recherchent les investisseurs et les acteurs économiques, c’est bien le troisième temps de cette valse qui sera décisif : il s’agit d’éviter une concurrence délétère entre les gardiens du temple monétaire mondial. En ces temps de montée des périls, des relations apaisées et coordonnées entre les grandes banques centrales sont indispensables. Evitons par-dessus tout la guerre des monnaies !
Wilfrid Galand est directeur stratégiste de Montpensier Finance
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