Wilfrid Galand, directeur stratégiste de Montpensier Finance
Le retour de l’orthodoxie économique, oui, mais au bon moment
Face à l’augmentation des prix et de la dette, les appels au retour à la « raison » monétaire et budgétaire se multiplient. A juste titre. Mais attention aux contretemps.
Plus de 5 % aux Etats-Unis et presque 4 % en Allemagne : des deux côtés de l’Atlantique, la hausse des prix s’est emballée cet été. Pourtant, la Fed comme la BCE restent impassibles ou presque : inflation « transitoire » selon l’institution de Washington, hausse des prix « modérée à moyen terme et inférieure à l’objectif » selon son homologue de Francfort.
Résultat, toute hausse de taux est reportée loin, très loin. Même les achats d’actifs, censés « stabiliser le système financier », perdurent, alors que l’activité est repartie, au point que les pénuries frappent durement de nombreux secteurs.
Pourtant, les appels ne manquent pas pour revenir à une politique plus orthodoxe. Sans parler d’une cible « théorique », où le taux de référence est proche de la croissance nominale de long terme de la zone en question – soit autour de 3,5 % aux Etats-Unis et de 2,5 % en zone euro –, de nombreux banquiers centraux – de Robert Holzmann en Autriche à Raphaël Bostic à Atlanta – préconisent de mettre rapidement fin aux achats d’actifs, puis de remonter graduellement le prix de l’argent. Mais rien n’y fait.
Même constat ou presque du côté de la politique budgétaire. Alors que les dettes publiques, alimentées par des déficits budgétaires massifs, atteignent des sommets – plus de 100 % du PIB en moyenne en zone euro et idem aux Etats-Unis –, les autorités ne semblent pas disposées à revenir à de plus saines pratiques : l’administration Biden est en discussion avec le Congrès pour un nouveau plan de relance de 3 500 milliards de dollars, tandis que le robinet fiscal reste grand ouvert en Europe.
Là aussi, la pression monte chez les tenants de l’orthodoxie budgétaire : républicains au Sénat américain, groupe des « frugaux » emmené par l’Autriche en Europe, tous militent pour acter dans les faits budgétaires le retour à meilleure fortune des économies et cesser de creuser les dettes. Jusqu’ici en vain.
Faut-il s’en inquiéter ? Pas encore. Le précédent de 2011 reste à ce titre éclairant.
Cette année-là, l’Europe remontait ses taux d’intérêt, inquiète de la flambée des cours du pétrole qui poussait l’inflation au-delà du seuil des 2 %. Par deux fois, en mars puis en juillet 2011, Jean-Claude Trichet, alors président de la BCE, annonçait une hausse de 25 points de base… puis devait en catastrophe faire machine arrière face à la crise des dettes souveraines européennes qui suscita une forte baisse des marchés le 4 août.
Convalescente, l’économie européenne n’avait pas pu supporter la perspective d’une remontée des coûts de financement, alors que les pays du sud, et en tout premier lieu leurs systèmes financiers nationaux, étaient fragilisés. Seule l’intervention résolue de Mario Draghi en juin 2012 a permis de stabiliser la situation et de sauver la monnaie unique.
Cette crise n’aurait pas pris une telle ampleur si l’Europe n’avait pas ajouté à l’orthodoxie monétaire une bonne dose d’orthodoxie budgétaire. Dès 2009, les pays du nord de l’Europe ont remis une pression maximale pour accélérer le retour aux grands équilibres fiscaux, sans se soucier des fragilités économiques des pays du sud, et en particulier de leurs réseaux bancaires. Le signal donné par la BCE en remontant ses taux a été l’étincelle sur le baril de poudre. Le message était clair : tous allemands, quoi qu’il en coûte !
Les dégâts financiers et sociaux ont été considérables, non seulement en Grèce mais aussi en Espagne – plombée par un stock immobilier considérable – et en Italie, asphyxiée par les exigences d’un solde primaire budgétaire positif au moment où sa démographie plongeait.
A l’inverse, les Etats-Unis, bien aidés il est vrai par le « privilège exorbitant » du dollar, ont poursuivi leur marche en avant budgétaire et monétaire. Dès 2008 et jusqu’en 2014, la Fed a acheté massivement des bons du Trésor américains dans le cadre de son « quantitative easing », facilitant ainsi le financement du déficit. Il a fallu attendre mars 2015 pour qu’un programme similaire soit mis en place par la BCE.
Même si la crise du Covid est de nature profondément différente de celle de 2007-2008, purement financière à l’origine, le choc n’en a pas moins été considérable dans tous les pays, avec une aggravation des fractures économiques et sociales.
La dette a explosé – 78 % du PIB en France en 2011 selon l’Insee, 120 % désormais –, et il faut traiter ce sujet mais avec méthode et progressivité, pour éviter qu’au choc économique ne succède un choc social et politique. Les banques centrales s’y engagent. Les politiques suivent, Ursula von der Leyen l’a confirmé le 14 septembre, pas question de refaire les erreurs de 2011.
Mais pas question non plus de ne rien faire, car cet « argent magique » n’aura qu’un temps, en particulier si les pénuries se prolongent et accélèrent l’inflation. Le travail doit porter sur le périmètre et l’efficacité de la dépense publique pour libérer les énergies et les capitaux. La fameuse « prospérité partagée » est à ce prix. Elle ne peut reposer uniquement sur l’emprunt.
Plus de 5 % aux Etats-Unis et presque 4 % en Allemagne : des deux côtés de l’Atlantique, la hausse des prix s’est emballée cet été. Pourtant, la Fed comme la BCE restent impassibles ou presque : inflation « transitoire » selon l’institution de Washington, hausse des prix « modérée à moyen terme et inférieure à l’objectif » selon son homologue de Francfort.
Résultat, toute hausse de taux est reportée loin, très loin. Même les achats d’actifs, censés « stabiliser le système financier », perdurent, alors que l’activité est repartie, au point que les pénuries frappent durement de nombreux secteurs.
Pourtant, les appels ne manquent pas pour revenir à une politique plus orthodoxe. Sans parler d’une cible « théorique », où le taux de référence est proche de la croissance nominale de long terme de la zone en question – soit autour de 3,5 % aux Etats-Unis et de 2,5 % en zone euro –, de nombreux banquiers centraux – de Robert Holzmann en Autriche à Raphaël Bostic à Atlanta – préconisent de mettre rapidement fin aux achats d’actifs, puis de remonter graduellement le prix de l’argent. Mais rien n’y fait.
Même constat ou presque du côté de la politique budgétaire. Alors que les dettes publiques, alimentées par des déficits budgétaires massifs, atteignent des sommets – plus de 100 % du PIB en moyenne en zone euro et idem aux Etats-Unis –, les autorités ne semblent pas disposées à revenir à de plus saines pratiques : l’administration Biden est en discussion avec le Congrès pour un nouveau plan de relance de 3 500 milliards de dollars, tandis que le robinet fiscal reste grand ouvert en Europe.
Là aussi, la pression monte chez les tenants de l’orthodoxie budgétaire : républicains au Sénat américain, groupe des « frugaux » emmené par l’Autriche en Europe, tous militent pour acter dans les faits budgétaires le retour à meilleure fortune des économies et cesser de creuser les dettes. Jusqu’ici en vain.
Faut-il s’en inquiéter ? Pas encore. Le précédent de 2011 reste à ce titre éclairant.
Cette année-là, l’Europe remontait ses taux d’intérêt, inquiète de la flambée des cours du pétrole qui poussait l’inflation au-delà du seuil des 2 %. Par deux fois, en mars puis en juillet 2011, Jean-Claude Trichet, alors président de la BCE, annonçait une hausse de 25 points de base… puis devait en catastrophe faire machine arrière face à la crise des dettes souveraines européennes qui suscita une forte baisse des marchés le 4 août.
Convalescente, l’économie européenne n’avait pas pu supporter la perspective d’une remontée des coûts de financement, alors que les pays du sud, et en tout premier lieu leurs systèmes financiers nationaux, étaient fragilisés. Seule l’intervention résolue de Mario Draghi en juin 2012 a permis de stabiliser la situation et de sauver la monnaie unique.
Cette crise n’aurait pas pris une telle ampleur si l’Europe n’avait pas ajouté à l’orthodoxie monétaire une bonne dose d’orthodoxie budgétaire. Dès 2009, les pays du nord de l’Europe ont remis une pression maximale pour accélérer le retour aux grands équilibres fiscaux, sans se soucier des fragilités économiques des pays du sud, et en particulier de leurs réseaux bancaires. Le signal donné par la BCE en remontant ses taux a été l’étincelle sur le baril de poudre. Le message était clair : tous allemands, quoi qu’il en coûte !
Les dégâts financiers et sociaux ont été considérables, non seulement en Grèce mais aussi en Espagne – plombée par un stock immobilier considérable – et en Italie, asphyxiée par les exigences d’un solde primaire budgétaire positif au moment où sa démographie plongeait.
A l’inverse, les Etats-Unis, bien aidés il est vrai par le « privilège exorbitant » du dollar, ont poursuivi leur marche en avant budgétaire et monétaire. Dès 2008 et jusqu’en 2014, la Fed a acheté massivement des bons du Trésor américains dans le cadre de son « quantitative easing », facilitant ainsi le financement du déficit. Il a fallu attendre mars 2015 pour qu’un programme similaire soit mis en place par la BCE.
Même si la crise du Covid est de nature profondément différente de celle de 2007-2008, purement financière à l’origine, le choc n’en a pas moins été considérable dans tous les pays, avec une aggravation des fractures économiques et sociales.
La dette a explosé – 78 % du PIB en France en 2011 selon l’Insee, 120 % désormais –, et il faut traiter ce sujet mais avec méthode et progressivité, pour éviter qu’au choc économique ne succède un choc social et politique. Les banques centrales s’y engagent. Les politiques suivent, Ursula von der Leyen l’a confirmé le 14 septembre, pas question de refaire les erreurs de 2011.
Mais pas question non plus de ne rien faire, car cet « argent magique » n’aura qu’un temps, en particulier si les pénuries se prolongent et accélèrent l’inflation. Le travail doit porter sur le périmètre et l’efficacité de la dépense publique pour libérer les énergies et les capitaux. La fameuse « prospérité partagée » est à ce prix. Elle ne peut reposer uniquement sur l’emprunt.
Wilfrid Galand est directeur stratégiste de Montpensier Finance
Du même auteur
La récession et l’esprit du temps
La peur d’une récession imminente trouble régulièrement les investisseurs. A ce stade, elle en dit…
Les banques centrales, malgré tout
L’excès de prudence des banques centrales inquiète les investisseurs. Mais une nouvelle Grande…
La Chine peut encore éviter la déflation
Immobilier, consommation, investissement, le moteur chinois patine et la déflation menace. Il est…