Où acheter : vers un ordre boursier multipolaire
Au premier trimestre, les actions américaines ont massivement sous-performé les indices globaux. Plusieurs facteurs structurels en profonde mutation font que le rééquilibrage des rapports de force ne tient probablement pas du feu de paille. Dans des marchés de capitaux plus fragmentés, les investisseurs vont pouvoir trouver des alternatives crédibles au S&P500.
En ce début d’année, aurions-nous assisté à la fin de la domination sans partage des indices boursiers américains ? La surperformance récente de l’Europe et la correction notable des « Magnificent Seven »[1] nourrissent le débat. Au premier trimestre, l’indice Euro Stoxx a ainsi progressé de 7.4%, quand le S&P500 en perdait 4.6% et les « Magnificent Seven » 16.4%. Bien sûr, une hirondelle ne fait pas le printemps, et la surperformance accumulée par ce même S&P500 depuis deux décennies demeure impressionnante. Si renversement de tendance il y a, nous n’en sommes potentiellement qu’au début. Il suffit par exemple de considérer la part des actions américaines dans le MSCI World : 72%[2] ! Le deuxième poids revient au Japon, très loin derrière, avec 5.4% (le premier pays de la zone euro étant la France, pour 2.9%). Inclure les pays émergents n’affecte pas le constat, avec un poids des US de 64.5% dans le MSCI World All Country. Depuis le mitan des années 2000, les marchés américains se sont imposés comme l’actif de choix, l’option par défaut en matière d’allocation géographique. 2025 marque-t-elle donc un changement d’ère, comme on en voit peu dans une vie d’investisseur ?
Il convient tout d’abord de rappeler les facteurs structurels qui ont contribué à cette domination : une croissance plus élevée aux Etats-Unis (en moyenne 1% de croissance en plus que l’Europe depuis 2010 par exemple), nourrie en partie par de meilleurs gains de productivité et une croissance plus forte de la population active, une ample accommodation fiscale et une régulation « light » favorisant la profitabilité des entreprises, mais aussi et surtout le statut du Dollar comme monnaie globale de réserve et d’échange, avec un déficit de compte courant aspirant mécaniquement le surplus d’épargne du reste du monde.
Or, si l’on y regarde attentivement, plusieurs de ces points sont, si ce n’est renversés, au moins en cours de rééquilibrage. Le premier changement, début 2025, s’est manifesté en Allemagne, avec un assouplissement historique du « frein à la dette » inscrit dans la Constitution. Objectif de cette réforme : financer les dépenses supplémentaires de défense et créer un fonds spécial de 500 Milliards d’euros destiné aux infrastructures. Outre les montants significatifs, la levée du verrou de l’endettement marque un tournant économique majeur. Parallèlement, la Commission Européenne a dévoilé les grandes lignes d’un plan visant à mobilier 800 Milliards d’euros pour le réarmement de l’Europe. Le différentiel d’impulsion budgétaire de part et d’autre de l’Atlantique pourrait ainsi être partiellement comblé. Bien sûr, ces annonces auront besoin d’être suivies d’effets, les Milliards mobilisés devront être investis efficacement, de façon à renforcer la compétitivité structurelle de la zone. L’enjeu est en effet de réduire l’écart significatif de croissance potentielle, qui a tant bénéficié aux Etats-Unis ces deux dernières décennies. Face à des Etats-Unis engagés dans un repli protectionniste sans précédent depuis un siècle, opportunité est offerte à l’Europe de se positionner comme un « challenger » crédible.
L’occasion est d’autant plus belle que l’administration Trump entend au contraire réduire ses déficits budgétaire et extérieur, une politique à même d’imposer un ralentissement à court terme de la croissance américaine et à plus long terme une moindre dépendance des marchés de capitaux américains vis-à-vis du financement du reste du monde. Pour le résumer à gros traits, le projet économique de l’administration Trump tel qu’il semble se dessiner tendrait plus à favoriser « Main Street » (avec notamment la volonté de relocaliser un maximum d’emplois et d’activités stratégiques) et moins « Wall Street ». La séquence actuelle des droits de douane et l’apparente insensibilité de l’administration Trump à la volatilité des marchés actions témoigne d’un changement de prisme. À plus long terme, le constat a sans doute été fait aux Etats-Unis d’une vulnérabilité excessive le aux entrées et sorties de capitaux, tout particulièrement en provenance des BRICs, Chine en tête. Quid par exemple du financement américain en cas de tension autour de Taiwan ?
La Chine, parlons-en : le duel boursier Europe – US ne doit pas faire oublier la présence d’un troisième acteur majeur. Le marché chinois s’est récemment rappelé au bon souvenir des investisseurs à la faveur en janvier et février du rebond des sociétés technologiques locales (dans le sillage du « choc » Deepseek). La multipolarisation et les nombreux freins posés par les Etats-Unis à la Chine pour accéder aux microprocesseurs occidentaux s’est traduit par l’émergence d’une chaîne de valeur entièrement chinoise, avec de réels succès en la matière. Ajoutez à cela le réchauffement de l’attitude du Parti Communiste envers les magnats chinois de la tech, et vous obtiendrez là encore les ingrédients pour la montée en puissance d’un autre « challenger » au S&P500.
On le voit, les mouvements de marché de ce début d’année sont porteurs d’interprétations stratégiques, et pointent après des années de concentration vers un ordre boursier plus dispersé, multipolaire. Le marché américain n’a plus à être considéré comme l’option par défaut. Pour les allocataires et les gérants actifs, au-delà des turbulences actuelles, c’est une excellente nouvelle.
Source des chiffres : Bloomberg ; Sycomore AM. Données au 11/04/2025.
Les références à des valeurs mobilières spécifiques et à leurs émetteurs sont dans un but unique d'illustration, et ne doivent pas être interprétées comme des recommandations d'achat ou de vente de ces valeurs.
[1] Les 7 plus grandes valeurs technologiques américaines : Alphabet, Amazon, Apple, Meta, Microsoft, Nvidia, Tesla
[2] A fin mars 2025, source MSCI
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