Ouvrir en grand la porte technologique pour l’industrie des fonds
A quelques jours de la parution du nouveau livre blanc de l’AFG sur l’innovation technologique, The Investment Association* (IA)a publié, cet été, un document de réflexion intitulé « Investing for the future : Three potential paths for a tech-powered UK Fund Industry », quelque peu passé inaperçu, malencontreusement, en France. Et pourtant…
Ce papier exploratoire de l’IA vise à s’interroger sur l’évolution de l’industrie des fonds afin de répondre pleinement aux aspirations contemporaines des épargnants - investisseurs.
Trois scénarios sont envisagés (du simple évolutif au plus radical), mais tous avec un point octogonal : le recours à la technologie des registres distribués. The IA considère que différents phénomènes sont à l’origine de cette incontournable mutation :
- l’évolution du consommateur investisseur qui dispose désormais de plusieurs vies d’épargnants (lié notamment à l’allongement de la durée de vie moyenne),
- l’impact de la pandémie sur la digitalisation de l’économie
- et avec l’afflux de jeunes générations d’épargnants, l’émergence de nouveaux comportements d’épargne (investissement identitaire, rôle des groupes et influenceurs…).
Trois domaines s’avèrent directement impactés : l’addition d’une infrastructure décentralisée à l’existence actuelle du modèle « tiers de confiance », la généralisation de la « tokenisation » en complément des traditionnels parts de fonds, et une plus grande interaction des investisseurs sur la gestion de leur portefeuille via le numérique.
Ce document, d’essence « brexitienne », envisage d’une façon élargie, comment le recours à la technologie pourrait redonner au Royaume-Uni un nouvel avantage comparatif dans l’industrie des fonds. Au-delà, il apporte avant tout un ensemble de réponses à la massification de l’investissement dans un contexte de recherche d’efficacité opérationnelle, d’amélioration de la transparence, de recours au conseil, d’élargissement de la base des actifs accessibles, de la diffusion du savoir financier…
Certes, l’Union Européenne ne reste pas passive. Une expérimentation de l’utilisation des technologies de registre distribué (DLT)sur les aspects infrastructures de marchés dans le cadre de la future MIFIR devrait s’enclencher réglementairement sur 2022-23. Rappelons que la France avait constitué un premier corpus de textes dès 2017 via l’Ordonnance « Blockchain ».
L’intérêt de la « tokenisation » dépasse le simple cadre de l’efficacité opérationnelle interne à l’écosystème, il constitue, avant tout, un levier à la massification de l’épargne et à sa pérennité. A ce titre, le rapport BCG/ADDX(1), publié en septembre dernier, estime que d’ici 2030 la valeur des actifs déjà « tokenisés » pourrait être multipliée par 50 et représenter jusqu’à 10% du PIB mondial. Ce document polarise sa démonstration sur l’avantage avéré de l’utilisation d’une DeFI (Finance décentralisée)pour les actifs illiquides.
Proche de nous, Tokeny(2), en permettant grâce à sa plate-forme propriétaire, le lancement d’un fonds immobilier, a démontré factuellement la pertinence d’un modèle et a dépoussiéré le mode de détention en « nominatif ». Les bénéfices premiers peuvent s’énumérer brièvement en termes :
- de conformité à l’émission des titres et pendant leur cycle de vie (application des règles KYC et anti blanchiment de façon quasi-universelle),
- de maitrise du passif par l’émetteur à couts mesurés,
- d’accès pour ce même émetteur à un marché primaire de distributeurs et d’investisseurs amplifié
- et de constitution d’un marché secondaire pouvant répondre ainsi aux problématiques d’illiquidité rencontrées dans nos contrats phares.
Nous pouvons largement imaginer le gain en efficacité pour le Conseiller en Gestion de Patrimoine, sous réserve bien sûr, que les protocoles associés à ses outils de gestion soient opérants.
Mais au-delà de l’intérêt sur les actifs « illiquides », un autre monde est envisagé par « The Investment Association » ouvrant de nouvelles opportunités aux clients « retail ». Seuls les Conseillers en Gestion de Patrimoine et les banquiers privés étaient jusqu’à présent à même de délivrer un haut niveau de personnalisation via une allocation d’actif de haute qualité. Les possibilités, désormais offertes par le fractionnement, ouvrent la porte à cette sophistication pour le plus grand nombre d’épargnants via des portefeuilles modèles réplicables basés, entre autres, sur des horizons, des niveaux de risques, ou encore des communautés d’opinion. Les conseillers, dans le cadre d’une vision digitalisée de leur conseil pourraient à la fois diffuser leur savoir et devenir des « Influenceurs » clés (retour de la primauté du modèle D2C) - Un marché substantiel, capable de gommer une part de la déshérence des 16 millions épargnants particuliers anglo-saxons post RDR (Retail Distribution Review)- En France, les enjeux sont analogues avec une gestion conseillée qui n’intéresse qu’une faible part des épargnants et où 31% des investisseurs particuliers(3) ne s’en remettent qu’à eux-mêmes pour gérer leur patrimoine et préparer leur retraite, en accumulant supports individuels et collectifs aux objectifs proches et sans recours systématique aux agrégateurs.
Notre pays, a déjà connu un premier décrochage industriel par le passé en sous-estimant le franchissement par un pays voisin d’une marche réglementaire ; ne pas prendre toute la mesure des avancées technologiques au profit de l’investisseur individuel comme solutions aux défis conjoncturels et structurels pourrait lui être irrémédiable.
Petit rappel technique : la « tokenisation » est le processus de conversion d’un actif tangible ou intangible en un jeton numérique pour agir comme son proxy. Les droits de propriété de l’actif sont numérisés. Les caractéristiques générales de la tokenisation : règlement instantané ( si souhaité), amélioration de la transparence sur les transactions, réduction du risque de contrepartie par la réduction du nombre de contreparties, démocratisation de l’investissement par un fractionnement de la propriété et par une accessibilité accrue à tous types d’actifs permettant une large diversification, génération d’un lien direct entre société de gestion et investisseur par connaissance du passif.
1 - Relevance of on-chain asset tokenization in ‘crypto winter’. ADDX est la plateforme boursière digitale singapourienne, soutenue par le Singapore Stock Exchange qui offre via la technologie blockchain des actifs privés à coupure abordable.
2 - Tokeny est une infrastructure épaulée notamment par Euronext permettant aux entreprises et aux acteurs financiers d’émettre, de transférer et de gérer des actifs sur blockchain de manière conforme. AirFund, la fintech française a dernièrement communiqué sur la sortie prochaine d’une technique similaire.
3 - Source: Etude Amplegest – Spirica « Regards des épargnants sur l’épargne digitale » - Juin 2021 by Insight AM.
Du même auteur
Digitalisation de la relation partenaires : une évolution naturelle pour consolider la pluralité des acteurs
L’année 2023 n’aura pas dérogé à la règle, pour les conseillers en gestion de patrimoine. Elle aura,…
« Pour l’amour du risque »
Comment concilier regain du goût du risque d’une nouvelle classe d’investisseurs et modes de…
Gammes de produits, équipes commerciales, service clients etc. : les CGP passent les sociétés de gestion au crible
Pour sa première édition, l’étude annuelle « Les SGP vues par les CGP » d’Insight AM apporte aux…