« Pour l’amour du risque »

Publié le 14 décembre 2021 à 18h18

Pascal Koenig    Temps de lecture 5 minutes

Comment concilier regain du goût du risque d’une nouvelle classe d’investisseurs et modes de distribution des produits financiers ?

L’ensemble des observateurs officiels s’accorde sur l’existence d’un nouveau cycle d’accélération de l’épargne longue des ménages. D’une part, le taux d’épargne financière* des ménages est passé de 4,2 % en 2018 à 10,3 au troisième trimestre 2020, atteignant un large plus haut sur les vingt dernières années, selon Statista (« Taux d’épargne financière des ménages ») ; d’autre part, désormais, cette capacité de financement ne s’investit plus uniquement dans des supports de précaution. Près de 270 000 PEA ont été ouverts en 2020 selon la Banque de France, avec des versements nets en espèces sur les comptes ouverts de près de 1,7 milliard d’euros – versus des retraits nets de 930 millions en 2019. Autre indice clé : les cotisations en unités de compte sur l’assurance-vie. Là aussi, un plafond a été enfoncé : à fin octobre, le cumul annuel représentait 47,4 milliards d’euros sur les dix premiers mois de l’année, contre 40,5 sur 2020 en année pleine.

Pouvons-nous, pour autant, déjà évoquer une rupture de tendance profonde dans l’attitude des épargnants individuels ? Il est sûrement un peu tôt pour en tirer cette conclusion. L’épargne retraite, qui constitue avec le PERIN un pur produit d’investissement de long terme, rencontre un réel succès – coté PER assurance, fin septembre, le nombre d’assurés détenteurs d’un PER dépassait les 2 millions, et les encours s’élevaient à 24,3 milliards d’euros, dont 46 % investis en UC contre 25 % en assurance-vie, selon la Fédération française de l’assurance. Alors, oui, effectivement, l’essentiel des encours provient du transfert d’anciens contrats pré-Pacte (65 % sur 2020), mais, n’en déplaise aux grincheux, 53 % des assurés en 2020 ont ouvert un contrat sans opérer de transfert.

Plus intéressant encore, si l’âge moyen d’un détenteur de PERIN, acquis auprès d’un assureur, se situe vers 49-52 ans, l’intérêt des 25-34 ans pour ce produit est avéré – si 2 % des 25-34 ans disposaient d’un contrat pré-Pacte, ils sont 7 % à déjà avoir souscrit un PERIN.

L’intérêt croissant des jeunes générations pour l’épargne longue est confirmé par de nombreuses enquêtes (notamment des analyses de l’AMF). Cependant, ces phénomènes de regain d’intérêt pour le risque ont déjà été constatés par le passé et ont rencontré quelques difficultés à être pérennisés. Pour consolider cette tendance, il semble nécessaire de prendre en considération certaines caractéristiques marquantes de ces populations afin de limiter au mieux les risques de désillusions.

Schématiquement, l’investisseur nouveau se veut plus autonome dans le contrôle de ses placements (plus de 30 % des épargnants ne s’en remettent qu’à eux-mêmes ou à leurs proches pour gérer leur patrimoine ) et dans la manière de les réaliser (42 % des 25-34 ans plébiscitent la gestion libre dans le cadre de la souscription à un PERIN[1]). L’avis de sa communauté, qu’il considère comme une intelligence collective, est déterminant dans ses choix. Le prix de la prestation et l’accessibilité à tout moment sont devenus des critères décisifs[2].

Les plateformes d’épargne digitale s’affirment donc, compte tenu de leurs spécificités propres, comme les opérateurs naturels des « digital natives » pour leurs investissements longs. D’ailleurs, les 25-34 ans affichent une réelle appétence pour l’épargne digitale : 50 % d’entre eux sont, en effet, prêts à investir leur épargne longue dans des plateformes en ligne[3]. Reste à amplifier la notoriété de ces acteurs, à élargir l’offre proposée et surtout à qualifier le conseil délivré afin qu’il soit pleinement en phase avec les attentes de ces nouveaux épargnants (29 % des épargnants privilégient le critère « qualité du conseil » pour le choix de leur intermédiaire financier[4]).

Parallèlement, face à ces « disrupteurs » de la distribution « retail », les CGP, tenants du conseil patrimonial pour épargnants patrimoniaux et fortunés, devraient sûrement accentuer leur présence sur le primo-conseil afin de régénérer à terme leur clientèle existante en couvant ces nouveaux potentiels d’épargnants et porter, en conséquence, un intérêt au modèle des « wealthtech » en lui fournissant tout leur savoir-faire.

L’autre acteur financier qui devrait regarder ce modèle de distribution digitale avec bienveillance est la société de gestion. En effet, ses sources de collecte domestique innées se tarissent progressivement. Qu’il s’agisse de l’investisseur institutionnel ou de la distribution intermédiée, tous connaissent une nouvelle phase de consolidation et une mise en œuvre ascensionnelle du « gatekeeping » à même de perturber structurellement les flux de collecte. Dans l’attente d’une tokenisation universelle des parts de fonds et des unités de compte et l’avènement d’un modèle de distribution DtoC, le déploiement de plateformes de distribution en ligne apparaît comme une solution intermédiaire d’accès à une nouvelle classe d’épargnants. D’ailleurs, leurs compétiteurs anglo-saxons marquent opiniâtrement leur intérêt pour cette prestation de conseil allégée. Ainsi, Vanguard place le conseil financier comme axe de développement stratégique ; le gestionnaire a lancé dernièrement un service de conseil pour la retraite à bas coûts pour les investisseurs européens. Il semble que BNP Paribas, avec Mondemain, s’intéresse aussi au sujet. 

1 « PER : quelle place demain dans l’épargne des Français ? », étude Fidelity International, 2021.

2 « Regards des épargnants français sur l’épargne digitale », étude Amplegest-Spirica, 2021.

3 « Regards des épargnants français sur l’épargne digitale », étude Amplegest-Spirica, 2021.

4 « Regards des épargnants français sur l’épargne digitale », étude Amplegest-Spirica, 2021.

Pascal Koenig Associé et Fondateur ,  Patrimeta

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