L'analyse de Wilfrid Galand
Rebond et fragmentation économique
Au-delà des moyennes, la caractéristique majeure de 2020 est l’hétérogénéité et la fragmentation des profils de croissance et des perceptions des acteurs économiques. Plus qu’à un «nouveau monde», c’est bien à l’accélération des tendances à l’œuvre avant la pandémie que nous assistons.
Après une chute spectaculaire au deuxième trimestre, le FMI estime que l’activité de la planète sera en retrait de 3 % fin 2020 par rapport à son niveau de fin décembre 2019. Mais cette estimation générale cache de très fortes disparités régionales, qui confirment les tendances de 2019.
La Chine, berceau de l’épidémie, devrait sortir renforcée de ces bouleversements. Elle profite de la bascule rapide de son modèle de croissance vers la consommation intérieure et l’innovation technologique. En outre, la PBOC garde d’importantes marges de manœuvre. Nous pensons que l’Empire du Milieu pourrait se rapprocher de l’objectif de 3 % de croissance cette année, ce qui serait favorable aux exportateurs et aux entreprises cycliques européennes.
L’inquiétude en Chine provient de la montée de l’inflation, en particulier dans le secteur agroalimentaire. Cela pèse sur le pouvoir d’achat des ménages, qui souffrent en outre de la montée du chômage, en particulier pour les jeunes générations de diplômés. Si cette situation devait perdurer, c’est tout l’équilibre social et le «contrat global» du PCC avec la société chinoise qui serait en jeu.
Aux Etats-Unis, les principaux indicateurs d’activité ont très nettement rebondi à partir de mai, avant de se montrer plus hésitants face à la résurgence de l’épidémie dans les Etats du Sud. Sauf forte accélération des perturbations liées au virus, la flexibilité de l’économie Outre-Atlantique, la puissance des GAFA et les stimulus monétaires et budgétaires cumulés approchant les 20 % du PIB devraient permettre de limiter la contraction de l’économie en 2020, probablement de l’ordre de - 4,5 % à - 5 %.
La montée du chômage, l’absence de «filet de sécurité social universel» performant et la persistance de fortes tensions au sein de la société américaine forment néanmoins un contraste saisissant avec l’optimisme des investisseurs qui ont propulsé les indices actions outre-Atlantique vers des sommets historiques. Dans une société de plus en plus polarisée, les élections de novembre prochain accroissent les incertitudes… et l’impérieuse nécessité pour le président et le Congrès qui sortiront des urnes de réparer le tissu politique et social.
L’Europe, très intégrée aux chaînes de valeurs internationales, est le continent le plus impacté par la contraction de l’activité de la planète et se dirige vers une forte récession en 2020, probablement au-delà des 7 % de contraction. A l’intérieur même du Vieux Continent, la situation est très hétérogène. L’Allemagne abandonne l’austérité budgétaire, s’accroche à la reprise chinoise et limite la casse, la France souffre et espère une reprise rapide des investissements, l’Italie et l’Espagne pansent les plaies du Covid en tablant sur une aide massive de l’Union européenne grâce au plan Macron-Merkel.
Alors que les négociations autour du Brexit et de la future relation des vingt-sept avec le Royaume-Uni semblent dans l’impasse à quelques semaines de la date butoir du 31 octobre, ce plan est un signal d’espoir pour le Vieux Continent, premier pas vers une Europe puissance financière face au duo sino-américain. Reste à le concrétiser aux yeux des populations, toujours plus sceptiques envers Bruxelles.
Dans ce contexte de fragmentation économique et de tensions sociales croissantes, les investisseurs restent prudemment optimistes. Non sans raison : les autorités politiques et monétaires ont partout pris la mesure du danger et ont su mettre en place en urgence les plans de soutien nécessaires pour éviter le pire. Reste à faire revenir la confiance des citoyens, toujours inquiets du virus. Place donc à la politique ! Les Etats-Unis passent le premier test en novembre. L’Europe suivra quelques mois plus tard avec les élections en Allemagne à l’automne 2021 avant la France en 2022. Le tout sous le regard attentif et intéressé de la Chine. La séquence s’annonce passionnante !
Wilfrid Galand est directeur stratégiste de Montpensier Finance
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