Regarder loin
Inflation, énergie, souveraineté, les chocs se cumulent et les tensions montent partout. Mais veillons à ne pas avoir de réactions à courte vue.
Le 26 août dernier un peu avant 16h, lors du symposium des banquiers centraux à Jackson Hole dans le Wyoming, les yeux étaient tournés vers le président de la Fed qui s’apprêtait à affirmer sans détour et de façon très martiale sa détermination sans faille à combattre l’inflation par tous les moyens. Assommés par ce discours choc, les marchés actions décrochaient, refermant la parenthèse d’un été plutôt tranquille pour les grands indices.
Rien d’étonnant, analysaient alors doctement les analystes interrogés sur les grands médias économiques américains : avec une inflation à 9%, au plus haut depuis quarante ans, les taux doivent remonter, et vite, pour casser une dynamique de prix qui menace la stabilité économique.
Mais le message essentiel de cette journée était sans doute ailleurs. Un peu plus tôt dans la journée, Raphaël Bostic, le très écouté président de la Fed d’Atlanta, avait reconnu que le comité de politique monétaire avait probablement trop regardé les indicateurs « retardés » comme précisément l’inflation ou les chiffres de l’emploi, et pas assez les indicateurs avancés comme les enquêtes auprès des directeurs d’achat tels les indices ISM ou S&P Markit, ou des ménages à l’image de celles de l’Université du Michigan ou du Conférence Board.
A l’heure où les hausses de taux s’enchainent à un rythme effréné de part et d’autre de l’Atlantique, les regrets exprimés par ce banquier central devraient être au centre des préoccupations de ses confrères.
En effet, les indicateurs avancés nous content, en ce début d’automne, une histoire bien différente de celle d’une économie américaine sous haute pression, avec une inflation hors de contrôle, qui s’étend inexorablement dans une spirale délétère. Les anticipations d’inflation des ménages, à court et moyen terme, publiés par l’université du Michigan, sont au contraire en baisse depuis juillet.
L’enquête ISM montre également une baisse des pressions inflationnistes du côté des entreprises. Et les intentions déclarées des géants de la logistique et de l’emploi Amazon et Fedex, d’annuler des projets de développements et même de fermer entrepôts et bureaux, n’augure pas favorablement de l’orientation de l’activité et de l’emploi.
Et l’Europe me direz-vous ? De ce côté de l’Atlantique, les pressions inflationnistes sont toujours bien présentes, avec une crise énergétique qui reste au centre des attentions. De quoi justifier pleinement le volontarisme de la BCE. Et les prix à la production en Allemagne, en hausse de plus de 40% sur un an, n’arrangent rien à l’affaire.
Mais d’autres indicateurs donnent une image moins tranchée. Tout d’abord les prix du gaz et de l’électricité, qui ont déclenché la puissante poussée inflationniste à partir de février 2022, ont corrigé depuis début septembre, avec des baisses de 30% à 50% en fonction des références de contrat. Cela reste fragile et dépend des soubresauts à l’est du continent mais ce mouvement prouve que rien n’est inéluctable.
Ensuite, en l’état actuel des données disponibles, les négociations salariales sur le Vieux Continent conduisent certes à un rattrapage progressif des revenus mais l’absence de mécanisme d’indexation de ceux-ci sur les prix, permet aux anticipations d’inflation de rester contenues.
Enfin, le ralentissement économique chinois – l’activité s’est contractée de plus de 2% entre le premier et le deuxième trimestre – allège les tensions sur les principales matières premières industrielles et pèse sur les indicateurs d’activité : tant l’indice ZEW, baromètre du moral des investisseurs Outre-Rhin, que les prévisions de l’institut IFO, sont au plus bas depuis le cœur de la pandémie, pas de quoi alimenter durablement l’inflation.
Même la fracturation croissante entre les blocs géopolitiques, évidente au regard des déclarations et postures des leaders politiques, n’a pas, à ce stade, conduit à une séparation économique claire, à part le cas très spécifique de la Russie. Bien sûr, les réglementations visant à élargir et protéger les pans « de souveraineté » du tissu économique, se multiplient et se renforcent. Mais les investissements chinois continuent d’irriguer les start-ups américaines et un accord a été trouvé pour permettre de poursuivre la cotation de grandes entreprises de l’Empire du milieu à Wall Street.
En définitive, derrière la géopolitique et les nuées inflationnistes, c’est bien la tempête de la récession qui menace toutes les zones géographiques. Les entrepreneurs sont déjà en ordre de bataille. Les marchés l’ont en partie anticipé. Les politiques s’y préparent. Aux banques centrales de l’intégrer prioritairement désormais.
Wilfrid Galand est directeur stratégiste de Montpensier Finance
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