(AOF) - "Nous sommes en train d’assister à une érosion de pouvoir". C’est ce qu’affirme Abdoullah Sardi, gérant du fonds Amplegest Digital Leaders, qui dans sa lettre de novembre 2023 évoquait "le combat du David AMD contre le Goliath Nvidia". Dans un entretien accordé à AOF, il détaille les nouvelles conditions de cette concurrence entre deux champions de l'innovation technologique.
Quelle est aujourd'hui la situation du marché de l'IA ?
On assiste aujourd'hui à une course effrénée vers le développement d'intelligences génératives, tous les acteurs majeurs du logiciel et du cloud ayant annoncé le développement de leur propre grand modèle de langage (LLM). Le fond du sujet est de savoir qui aura la capacité de créer la première intelligence artificielle générale (IAG), le Graal de la recherche dans le secteur. L'IAG sera dotée d'importantes capacités cognitives et serait donc capable d'exécuter n'importe quelle tache effectuée par un humain. Partant de 40 milliards de dollars en 2022 on s'attend à ce que le marché de l'entraînement et l'exécution de l'IA atteigne plus de 400 milliards en 2027 soit plus de 50% de croissance organique.
De quoi dépend cette course à l'innovation?
Dans ce contexte, le nerf de la guerre c'est d'avoir accès aux cartes graphiques. La croissance soudaine et très forte de l'intelligence artificielle pose le problème des capacités de production de ces dernières…
Et qui pourrait tirer son épingle du jeu ?
Nous distinguons deux acteurs. Dans un premier temps, "les fournisseurs de pelles et de pioches", à savoir les designers et producteurs de cartes graphiques. Seules deux sociétés nous paraissent capables d'adresser ce marché : Nvidia et AMD. En effet, ces deux sociétés sont quasiment les seules à avoir à la fois le savoir faire, les licences, ainsi que les capacités de production pour soutenir cet écosystème naissant. Elles se feront concurrence, certes, mais profiteront de la forte croissance de ce marché. Dans un second temps, les développeurs capables de s'assurer d'un approvisionnement suffisant en cartes graphiques seront ceux qui créeront les IA les plus abouties. Ils pourront ainsi proposer des outils incontournables et donc gagner des parts de marché.
Donc il pourrait y avoir concurrence entre Nvidia et les Gafam qui sont ses clients ?
Absolument. Nvidia sait pertinemment que Microsoft, Google et Amazon développent leurs propres puces de calcul afin de contourner l'hégémonie matérielle et logicielle de Nvidia. Ce dernier est donc moins enclin à allouer ses cartes graphiques à des acteurs qui tenteront de le concurrencer plus tard. Le groupe préférera allouer ses capacités au groupe Oracle ou à des startups qui n'entrainent pas ce risque. En effet, la capacité de cartes graphiques étant la pierre angulaire de la croissance et l'apprentissage des algorithmes d'IA, Nvidia sait qu'à travers ses produits, elle a la capacité d'affaiblir ou de renforcer les acteurs de son choix. C'est ce constat qui explique le souhait des Gafam de développer des suites logicielles pouvant fonctionner sur tout type de cartes graphiques: cela renforce la position du numéro deux sur le marché, a savoir AMD.
Cette concurrence inéluctable signifie-t-elle la fin de la domination de Nvidia ?
Nvidia reste le leader du marché de l'entrainement de l'IA et profitera de sa forte croissance, mais AMD émerge comme le second acteur. L'hégémonie de Nvidia s'explique par des investissements de longue haleine dans le matériel et les logiciels accompagnant ses cartes graphiques. Cependant, ses principaux clients ne souhaitent pas dépendre d'un seul fournisseur pour le composant-clé de leurs IA génératives. Ces acteurs renforcent donc AMD, qui développe des logiciels open source, propose des cartes graphiques plus puissantes et offre des performances d'inférence supérieures.
Assiste-t-on à une passation de pouvoir?
Les développements récents montrent qu'AMD est un concurrent sérieux capable de récupérer des parts de marché à Nvidia. Néanmoins, le marché ne semble pas encore refléter cette éventualité. Malgré un marché adressable colossal de 400 milliards de dollars en 2027, les estimations des analystes ne créditent pas suffisamment les efforts d'AMD dans le segment de l'IA, contrairement à Nvidia. En conséquence, AMD se profile, selon nous, comme un vecteur d'investissement dans l'IA tout aussi robuste que Nvidia, avec un potentiel de surprise positive supérieur, de par la faible taille aujourd'hui de cette division ainsi que par sa capacité à récupérer des parts de marché rapidement.
Propos recueillis par Matthieu Richard-Molard