Opter pour le statut de CGPI au sens MIF 2, et donc pour une rémunération uniquement en honoraires, requiert – au-delà des convictions sur la valeur ajoutée de ce modèle – adaptabilité, persévérance et pédagogie.
Cinq ans après la création, dans le cadre de MIF 2, du statut de CGP indépendant (CGPI), force est de constater que ce modèle peine à se développer en France. Selon l’AMF, seuls 6 % des CIF CGP fournissent du conseil exclusivement indépendant et se rémunèrent alors uniquement en honoraires avec reversement au client, le cas échéant, des rétrocessions de commissions.
Créés en 2014, Scala Patrimoine et Alpha & K font figure de pionniers. Des cabinets ont rejoint les rangs plus récemment, comme Origami Groupe ou Cosedia Patrimoine. Avec toujours une forte conviction sur la transparence, la valeur ajoutée de conseils valorisés et l’approche centrée sur le client qu’offre la rémunération uniquement en honoraires. « Directement payé par son client, le CGPI assure un conseil totalement impartial, une tarification sans conflit d’intérêts, adaptée et adaptable aux besoins et profil du client », souligne Guillaume Lucchini, président et fondateur de Scala Patrimoine. Julien Coudert, fondateur du cabinet Alpha & K, met aussi en avant la liberté de proposer les solutions les mieux adaptées aux objectifs de ses clients. Pour Origami Groupe, qui a fait le choix dès son lancement d’une démarche à impact, tant dans la manière d’exercer que dans la sélection des investissements, la rémunération par honoraires était une évidence. « Mais les débuts peuvent être fastidieux », admet Simon Lolmede, son fondateur.
«L’un des fondamentaux de la facturation du conseil, c’est la nuance entre travail et valeur apportée. Après avoir testé plusieurs modes de facturation, j’ai opté pour une méthode simplifiée, flexible et évolutive en fonction des besoins des clients, mais toujours prédéfinie. »
Différents honoraires possibles
Donner une valeur marchande à son travail n’est jamais aisé. Le CGPI doit définir les différentes prestations à facturer (bilan, ingénierie financière et patrimoniale, gestion d’actifs, éducation financière…), en fixer le prix de satisfaction – pour le client et lui-même –, puis établir une grille de rémunération transparente. « L’un des fondamentaux de la facturation du conseil, c’est la nuance entre travail et valeur apportée », pointe Julien Coudert. Il est rare de trouver dès le départ le prix d’équilibre et le bon modèle entre l’honoraire à l’heure, souvent peu apprécié des clients, au forfait ou un mixte des deux. L’adaptabilité est donc requise. Par ailleurs, le modèle peut être différent entre un cabinet individuel et une structure composée de plusieurs conseillers et de salariés. « Après avoir testé plusieurs modes de facturation, j’ai opté pour une méthode simplifiée, flexible et évolutive en fonction des besoins des clients, mais toujours prédéfinie, explique Julien Coudert. Passée la première prestation de conseil discrétionnaire facturée au tarif horaire standard du cabinet et sans engagement, je propose un forfait investissement et ingénierie avec plusieurs briques de conseils. » Chez Scala Patrimoine, le forfait d’honoraires est défini sur mesure avec une lettre de mission. Le suivi des investissements, quel que soit le montant, fait l’objet d’un forfait fixe. Origami Groupe, de son côté, propose un abonnement fixe trimestriel avec un accès illimité à tous les services. « Une problématique ponctuelle est facturée à l’heure avec une lettre de mission », précise Simon Lolmede. Les CGPI définissent aussi des taux d’honoraires de performance sur la gestion financière avec, parfois, des tickets d’entrée : 150 000 € chez Origami Groupe pour une gestion sous mandat et 500 000 € en gestion de fortune, 1 million d’euros chez Scala Patrimoine. Alpha & K fixe un seuil minimal de 100 000 € pour son forfait de conseil « qui peut néanmoins être abaissé au cas par cas », précise Julien Coudert.
«La facturation par honoraires permet de s’ajuster plus facilement à l’inflation réglementaire. Cela pérennise aussi la relation avec les clients, notamment dans le sillage de la transparisation et de la réduction des frais voulues par le régulateur. »
Des barrières à l’entrée
Les barrières à l’entrée sont nombreuses et souvent dissuasives pour de nouveaux entrants. Au-delà d’une réglementation définie pour la distribution intermédiée et du confort de la récurrence du chiffre d’affaires généré par les rétrocommissions, les difficultés opérationnelles sont réelles. « La gestion de l’indépendance est compliquée administrativement et informatiquement, mais aussi juridiquement et fiscalement, notamment sur le traitement du reversement des rétrocessions aux clients », avertit Julien Coudert. Constatant qu’aucun outil de back-office ne permettait de répondre à toutes ces contraintes, ce CGPI a développé son propre logiciel avec notamment la gestion automatique des rétrocessions. « Un CGPI ne doit pas avoir à gérer le reversement des rétrocommissions à ses clients, sauf pour des contrats souscrits avant 2018 », insiste, pour sa part, Guillaume Lucchini. Cela peut notamment être le cas après le rachat d’un cabinet non rémunéré en honoraires.
Pour ne pas avoir à reverser les rétrocommissions aux clients, les CGPI se tournent vers les parts clean-shares ou les parts institutionnelles, mais aussi les ETF. Or, en assurance-vie, les contrats comme Vie Plus Impact qui proposent des unités de compte sans rétrocession sont encore rares. Scala Patrimoine a fait le choix, en 2018, de lancer avec Suravenir son contrat d’assurance-vie sans rétrocession, Scala Life, composé aujourd’hui de 419 unités de compte en part clean-shares ou ETF. Origami Groupe, de son côté, sollicite la gestion SMART sans rétrocession d’INTENCIAL Patrimoine avec environ 150 fonds proposés. « Nous nous heurtons encore à une offre insuffisante de parts clean-share pour développer un outil d’allocation d’actifs 100 % responsable », déplore Simon Lolmede.
«Directement payé par son client, le CGPI assure un conseil totalement impartial, une tarification sans conflit d’intérêts, adaptée et adaptable aux besoins et profil du client. »
De la pédagogie auprès des clients
Les CGPI reconnaissent attirer plus facilement les clients déjà habitués à solliciter d’autres professionnels du conseil. « Mes clients sont principalement des chefs d’entreprise, reconnaît Jean-René Couasnon, fondateur de Cosedia Patrimoine, après un an d’activité. Je développe mon réseau auprès des experts-comptables et notaires de ma région. » La pédagogie est souvent nécessaire face à des clients habitués aux conseillers intermédiés. « Il faut expliquer la valeur ajoutée de notre indépendance pour développer un patrimoine sur le long terme, mais aussi que les honoraires seront toujours moins onéreux que les frais de rétrocession que le client ignore le plus souvent payer », poursuit-il. Selon une étude du centre de finance de l’Université de Regensburg, reprise en novembre par Les Echos, le système des rétrocommissions réduit de 1,7 % à 2 % en moyenne la performance de l’épargne des ménages européens chaque année. Les universitaires ont également calculé que, sur une période de 40 ans, le niveau de richesse des ménages dans les pays où les rétrocessions ont été abolies double par rapport aux autres. Dans une optique pédagogique envers ses prospects, Origami Groupe a développé un outil permettant de comparer l’impact sur longue période de la différence de frais entre des parts clean-share et classiques sur la performance d’un portefeuille. S’engager dans un modèle de rémunération par honoraires requiert aussi des compétences pluridisciplinaires. « La valeur ajoutée d’un CGPI va bien au-delà de la transparence sur les frais et de l’amélioration de la performance financière générée par leur réduction, insiste Guillaume Lucchini. Elle est technique et humaine avec comme objectif d’apporter un conseil à 360° à la fois sur le patrimoine personnel et professionnel. Des compétences pluridisciplinaires assurent aussi de pouvoir accompagner un client dans le temps, et donc de développer son activité. »
Les CGPI interrogés reconnaissent néanmoins – et assument – que leur chiffre d’affaires est inférieur à celui qui aurait pu être généré avec une rémunération par rétrocommissions. « Mais la facturation par honoraires permet de s’ajuster plus facilement à l’inflation réglementaire, met en avant Simon Lolmede. Cela pérennise aussi la relation avec les clients, notamment dans le sillage de la transparisation et de la réduction des frais voulues par le régulateur. » C’est également pour eux l’assurance de sécuriser l’avenir de leur cabinet en vue d’une interdiction des rétrocommissions qu’ils anticipent tôt ou tard, même si pour le moment elle n’est plus à l’ordre du jour en Europe.
L’accompagnement, prérequis pour développer des honoraires
Selon l’AMF, 17 % des CIF CGP fournissent à la fois des conseils de manière non indépendante et indépendante. Les honoraires, le plus souvent pour l’ingénierie patrimoniale, ne représentent que 10 % du chiffre d’affaires des CIF. Accélérer, voire envisager le tout honoraire, peut s’avérer complexe. « Le passage à un modèle mixte rétrocessions - honoraires est, pour un CGP, une étape stratégique pour développer son chiffre d’affaires en valorisant le conseil et l’accompagnement, souligne Vincent Boisseau, associé fondateur d’Opadeo Conseil. C’est également une étape réglementaire essentielle pour fournir un conseil objectif dans le cadre d’un bilan patrimonial. » L’accompagnement est souvent nécessaire. « Nous mettons l’accent sur le développement d’une relation client profonde, essentielle pour passer d’une orientation produit à une approche-conseil », souligne Maud de Carné, CEO de L’Office CGP Lab, service d’externalisation back-office, conformité et ingénierie patrimoniale. L’Office CGP Lab assiste ses cabinets partenaires dans la vente et la réalisation d’études patrimoniales, mêlant ingénierie et optimisation stratégique, rehaussant la qualité et la valeur du conseil. « Le coût moyen d’une étude facturée par nos partenaires est de 11 275 € », précise-t-elle. Pour dégager du temps pour le conseil et le valoriser, la digitalisation s’impose. Les CGP s’appuient souvent sur les outils développés par Harvest. Mais des challengers voient le jour, comme Kwiper, qui a développé une plateforme digitale pour éditer, en marque blanche, des documents patrimoniaux simples, pédagogiques et rapides à réaliser. « L’efficience d’un outil digital combinée à l’expertise du CGP assurent au client un conseil à haute valeur ajoutée, met en avant Nathalie Duchêne, co-fondatrice de Kwiper. Les CGP peuvent alors facturer le diagnostic patrimonial entre 200 et 500 €, et la stratégie patrimoniale entre 2 000 et 5 000 €. »