Phénomène inédit depuis vingt ans, les rendements servis sur les fonds en euros en 2022 sont en moyenne supérieurs à ceux de l’année précédente. Les compagnies d’assurance ont en effet dû mobiliser leurs réserves pour faire face à la concurrence des livrets bancaires et offrir un rendement plus en ligne avec les attentes des investisseurs. Pour autant, les unités de compte ont dominé la collecte et cette tendance devrait se poursuivre sur la durée.
Malgré les corrections massives enregistrées sur les marchés financiers en 2022, l’assurance-vie a réussi à garder le cap. Sur l’ensemble de l’année, selon les données de France Assureurs, les cotisations ressortent à 144,4 milliards d’euros, en baisse de seulement 3 % par rapport à 2021, mais elles affichent le même niveau qu’en 2019 avant le Covid (soit 144,6 milliards d’euros), 2021 ayant été une année de rattrapage. Outre le maintien de la collecte, l’autre tendance lourde réside dans la bascule des souscriptions du fonds en euros vers les unités de compte (UC). En 2022, la collecte nette s’établit en effet sur l’année à 14,3 milliards d’euros, dont 34,6 milliards d’euros en UC, le fonds euros enregistrant donc des rachats massifs. Une évolution liée en grande partie à la baisse de l’attractivité du fonds en euros, le rendement offert n’ayant eu de cesse de décliner ces dernières années pour atteindre un plus bas à 1,28 % en moyenne en 2021. « Depuis environ cinq ans, les compagnies d’assurance mettent en avant les UC au détriment du fonds en euros, car il était très difficile de générer de la performance dans un contexte de taux d’intérêt très bas, voire négatifs », rappelle Agnès Lossi, associée chez Indefi.
Une année de bouleversements
Cependant, 2022 constitue une année charnière du point de vue de l’épargne financière. L’inflation, qui avait déserté les économies développées, est redevenue une réalité. Par conséquent, après plusieurs décennies de baisse des taux d’intérêt, les banques centrales ont dû engager un mouvement de hausse, qui s’est rapidement répercuté sur la rémunération des livrets bancaires. Le livret A et le livret de développement durable (LDD) ont offert sur l’ensemble de l’année 2022 une rémunération de 1,37 % et celle-ci a grimpé à 3 % au mois de février 2023, soit un niveau largement supérieur à celui des fonds en euros. Pour contrer cette concurrence, les compagnies d’assurance ont dû utiliser leurs réserves afin d’offrir – une première depuis vingt ans – un rendement en hausse en 2022 par rapport à l’année précédente. Selon les estimations de Fact & Figures, ils oscillent en moyenne entre 1,6 % et 2 % en 2022. Et certains acteurs sont même allés plus loin : le contrat ACM Vie du Crédit Mutuel, par exemple, a servi des rendements compris entre 2,1 % et 2,25 %, tandis que celui de la Carac a atteint selon les supports entre 2,3 % et 2,5 %. « L’utilisation des provisions techniques et des plus-values différées explique la hausse des rendements servis sur les fonds en euros en 2022, explique Philippe Crevel, directeur général du Cercle de l’épargne. Les compagnies d’assurance ont dû augmenter les rendements en raison de la hausse de l’inflation, de la concurrence exercée par les livrets bancaires et des corrections enregistrées sur les marchés en 2022, qui ont pesé sur la performance des UC ».
Livrets bancaires et assurance-vie, des caractéristiques et des objectifs bien différents
Si les livrets bancaires (livret A et livret de développement durable) comme le fonds en euros présentent tous les deux l’avantage d’offrir une protection du capital, ces deux produits divergent fortement. D’abord, le livret A est plafonné à hauteur de 22 950 euros et le livret de développement durable à 12 000 euros, quand l’assurance vie ne l’est pas. Ensuite, l’assurance-vie offre aussi des services additionnels, notamment en cas de décès, et permet de financer des projets sur le long terme, comme la retraite ou les études des enfants, alors que les livrets sont par nature des produits de court terme, dont l’objectif est de se constituer une épargne de précaution.
Cette hausse ne devrait pas, cependant, freiner la croissance des UC, qui devrait se poursuivre au même rythme. « Les unités de compte sont devenues depuis trois ans le moteur de la croissance de l’assurance-vie au point de représenter près de la moitié de la collecte », indique Philippe Crevel. En parallèle, les observateurs s’attendent à une complexification croissante des dispositifs utilisés. « Aujourd’hui, les UC ont trouvé leur place dans l’allocation d’actifs des épargnants dans un contexte où les produits d’épargne se diversifient et se complexifient, avance Agnès Lossi. Les UC constituent une des briques de l’allocation avec le fonds en euros, le fonds euro-croissance et les produits dédiés à la retraite, qui intègrent par défaut une gestion pilotée à horizon ». Par ailleurs, si une hausse du rendement servi sur le fonds en euros devait se poursuivre dans les prochaines années, celle-ci ne sera que très progressive. Il existe en effet une certaine inertie dans la répercussion des mouvements sur les taux d’intérêt, car les compagnies d’assurance conservent généralement les titres en portefeuille jusqu’à la maturité et attendent les tombées et/ou les souscriptions pour réinvestir. De plus, il est peu probable que les compagnies d’assurance lancent de nouveaux fonds pour accélérer cette tendance de marché. « Nous avons interrogé les assureurs à ce sujet et il semblerait qu’ils n’aient pas intérêt à lancer de nouveaux fonds en euros de façon massive afin d’éviter la cannibalisation et des sorties importantes sur les anciens fonds qui seraient préjudiciables », précise Agnès Lossi. A contrario, les fonds euro-croissance, qui n’avaient jusqu’alors pas véritablement réussi à convaincre, pourraient bénéficier de la hausse des taux d’intérêt, tout comme les produits structurés. Ce type de solutions repose sur du levier qui génère un coussin et permet d’apporter du rendement et une garantie à terme sur le capital. Certaines d’entre elles sont d’ailleurs déjà mises en avant par les conseillers en gestion de patrimoine qui cherchent à protéger leurs clients contre l’inflation qui n’est couverte ni par le fonds en euros ni par les livrets bancaires. « Sur le long terme, il faut accepter de s’exposer à des risques sur les marchés actions pour générer de la performance, explique par exemple Jérôme Rusak, président de L&A Finance, un cabinet de conseil en gestion de patrimoine. Nous mettons en avant plusieurs solutions en fonction de l’appétit pour le risque des épargnants. Les fonds actions permettent de s’exposer à la croissance, mais pour les épargnants qui souhaitent limiter les risques, ils ont également la possibilité de souscrire à des produits structurés qui réduisent les pertes en capital en cas de baisse des marchés. Enfin, l’immobilier demeure attractif sur le long terme, car les loyers sont indexés sur l’inflation ».
Un verdissement des UC
Fin octobre 2022, France Assureurs dévoilait les chiffres clés du secteur de l’assurance en matière de finance durable pour l’année 2021. L’étude indiquait à ce titre une forte croissance de l’épargne responsable au sein des contrats d’assurance-vie. A fin 2021, les encours dans les UC responsables, vertes et solidaires ressortaient à 128 milliards d’euros, en hausse de 37 % sur un an. Certes, par rapport aux encours totaux qui s’élevaient à 1 842 milliards d’euros à fin décembre 2022, le développement durable fait encore figure de poids léger, mais il gagne en importance. La croissance est notamment portée par la réglementation. Ainsi, depuis le 1er janvier 2022, les contrats d’assurance-vie doivent obligatoirement intégrer un fonds vert, un fonds solidaire et un fonds durable. De même, les compagnies d’assurance ont eu tendance à référencer – de façon quasi systémique pour certaines d’entre elles – des fonds durables qui correspondent à l’article 8 et à l’article 9 du règlement SFDR.
Les observateurs s’attendent ainsi à une forte hausse des souscriptions dans ces catégories de fonds. « Nous ne sommes qu’au début de la croissance des fonds durables, verts et solidaires dans l’assurance-vie, souligne Agnès Lossi. Le mouvement a été initié lors de la crise sanitaire, grâce notamment à de belles performances enregistrées dans les thématiques vertes. Même si celles-ci ont reculé en 2022, les évolutions réglementaires, à travers notamment la question des préférences ESG sous MiFID II et la directive distribution en assurance (DDA), devraient inciter les épargnants à privilégier ce type de fonds. » Un point de vue largement partagé par la profession. « A terme, toutes les UC seront socialement responsables », confirme Philippe Crevel.