Table Ronde

Fonds immobiliers : quelles stratégies dans un monde en rupture ?

Publié le 15 novembre 2022 à 15h20

Audrey Corcos    Temps de lecture 21 minutes

Ces derniers mois, le contexte a profondément changé pour l’immobilier. La longue période de taux bas s’est achevée et le ralentissement économique, voire la récession, met une pression sur la santé des locataires. Tout cela alors que la réglementation ne cesse de se renforcer (décret tertiaire, taxonomie européenne…).
Funds s’interroge sur les adaptations nécessaires pour affronter cet environnement. 
• Comment évoluent les relations avec les différentes parties prenantes, en particulier les locataires ?
• De quelle façon la hausse des taux amène-t-elle les gestionnaires à revoir leur stratégie ?
• Les prix des actifs parviennent-ils à se maintenir ou le marché est-il engagé dans une phase de repricing ?
• Comment les enjeux ISR sont-ils abordés alors que l’environnement économique et géopolitique est extrêmement tendu ? 

Les intervenants 

  • Mansour Khalifé, président fondateur, MNK Partners
  • Jean-Marie Souclier, président, Sogenial Immobilier
  • Christophe Delacour, associé directeur général, Axipit Real Estate Partners

La grande force de l’actif immobilier en période d’inflation repose sur l’indexation des loyers. Mais jusqu’où est-elle possible dans un contexte économique très chahuté ?

Mansour Khalife : Nous pensons que l’inflation actuelle est purement exogène, car portée principalement par l’explosion des coûts de l’énergie. Par ailleurs, ce taux d’inflation devrait se tasser en 2023 sans pour autant voir les prix baisser. Ce qui nous rassure à ce stade, c’est que nous ne sommes pas engagés dans une spirale inflationniste qui provoquerait de grandes complications économiques : le taux de chômage n’a jamais été aussi bas partout en Europe, il n’y a pas de faillites annoncées, les entreprises ayant des difficultés à rembourser leur PGE sont aidées et les salaires progressent de façon limitée. Sur notre portefeuille d’actifs situé en Europe – nous gérons principalement du bureau, de la santé, de l’hôtellerie et du commerce –, les loyers ont augmenté en moyenne de 5 % en 2022, ce qui a parfaitement été accepté par nos locataires. Ce niveau est bien inférieur à l’inflation dans le centre et l’est de l’Europe, de l’ordre de 15 à 20 %, ou encore en Irlande, par exemple, où l’indexation intervient tous les cinq ans et peut atteindre des valeurs bien plus significatives. 

Nous pensons que les locataires pourront absorber des indexations de loyers de 5 à 6 % par an. Le plus fort enjeu repose sur les charges immobilières, en particulier les coûts énergétiques, qui ont énormément augmenté. Nous observons toutefois un changement de comportements de nos locataires : ils renforcent leurs exigences sur l’efficience énergétique des actifs en réponse à l’inflation et sur les services. Sur la trentaine d’immeubles en portefeuille, nous avons eu ainsi trois à quatre demandes d’installation de panneaux photovoltaïques sur les terrasses, sans parler des réflexions en cours avec nos locataires sur l’optimisation du ratio « coût/performance » des actifs.

Jean-Marie Souclier : Nous opérons dans les bureaux, commerces et locaux d’activité plutôt en France, avec quelques actifs en Belgique, en Espagne et au Portugal. Actuellement, nous n’avons pas de difficultés particulières à faire accepter les progressions de loyers par nos locataires. Elles ne paraissent pas si importantes, notamment au regard de la hausse des coûts de l’énergie ou de l’explosion des taxes foncières. Je pense que la situation devrait s’apaiser en 2023. De toute façon, une inflation à deux chiffres serait difficilement supportable pour l’ensemble de la société. Il ne devrait pas y avoir de retour en arrière pour autant. Un certain niveau d’inflation devrait perdurer. En France, des mécanismes protègent les petites entreprises, les indexations de loyers étant plafonnées à 3,5 %. Ce taux reste bien supérieur au taux du livret A, de 2 %, lui-même bien inférieur au taux de distribution moyen de 4,49 % pour les SCPI l’an passé. La situation est donc actuellement acceptable pour les locataires, mais aussi pour les porteurs de parts, qui bénéficient d’une protection de leur capital.

Christophe Delacour : En France, l’inflation est encore limitée par rapport aux autres pays d’Europe et les locataires acceptent aujourd’hui l’indexation des loyers. Dans le résidentiel, les locataires sont très bien protégés en France grâce au bail qui leur est favorable, ce qui est moins le cas en Espagne, en Irlande ou en Angleterre par exemple. Par ailleurs, le plafond de 3,5 % d’indexation permet de lisser la progression des loyers. Dans le cadre d’un fonds à long terme, cette progressivité à 3,5 % est également acceptable pour les investisseurs. En France toujours, du côté des entreprises, les locataires de bureaux bénéficient aussi d’un bail offrant une bonne protection, notamment grâce à sa durée. 

Dans ce contexte, l’indexation des loyers est un des paramètres à considérer pour les locataires. Mais ce n’est pas le seul élément pris en compte dans le choix d’un déménagement ou dans la politique immobilière d’un locataire.

A quels ajustements procédez-vous face au renchérissement des conditions de financement ?

Christophe Delacour : Au travers de nos fonds professionnels, Axipit Home Value, résidentiel dans les grandes métropoles françaises, et Axipit Office Value, bureaux à Paris, nous menons des opérations de création de valeur et de repositionnement d’actifs. Nous nous finançons avec un effet de levier élevé. Même si les banques sont frileuses vis-à-vis des particuliers, elles sont encore présentes auprès des professionnels, avec de la dette à déployer. Toutefois, les bases de taux ne sont plus les mêmes. Sur nos opérations, nous mettons en place des prêts courts avec des taux variables, donc un financement plus cher mais sur des opérations qui restent courtes. Cette hausse des taux est à relativiser, car il y a vingt ans, le coût de financement était bien plus élevé. Dans ce contexte, même si le marché est encore attentiste, des opportunités d’acquisition devraient émerger.

Mansour Khalife : Nous considérons que les hausses drastiques des taux pratiquées par les banques centrales ne devraient pas durer et que les taux devraient se stabiliser dès la mi-2023. Néanmoins, la prime de risque est actuellement pricée. Avant l’été, nos fonds professionnels pouvaient lever de la dette à des taux de 2 à 3 %, alors qu’aujourd’hui ces taux peuvent atteindre parfois 5 à 6 %. Il y a une panique générale par rapport à la crise énergétique, ce qui alimente l’inflation et par ricochet l’augmentation des taux d’intérêt. Nous sommes actuellement au point d’inflexion de cette crise et la plus ou moins dureté de l’hiver sera décisive. 

Il est nécessaire d’adapter les stratégies de nos fonds, dans ce nouveau paradigme où le « cash is king ». Il y a encore quelques mois, nous nous endettions systématiquement lors des acquisitions. Désormais, nous préférons saisir les opportunités en déployant les capitaux collectés et en prenant le temps de rechercher et de structurer les meilleurs refinancements. Lorsque les taux étaient bas, on privilégiait les taux fixes, ce qui nous a permis de bénéficier d’un bon contingent de dette pas chère, alors que dorénavant nous optons pour des taux variables – même si cela nous coûte plus cher à court terme –, sur lesquels nous adossons des options de taux permettant de réduire la volatilité du coût de la dette.

«Sur nos opérations, nous mettons en place des prêts courts avec des taux variables : donc un financement plus cher mais sur des opérations qui restent courtes. »

Christophe Delacour Associé directeur général ,  Axipit Real Estate Partners

Qu’en est-il pour les SCPI ?

Jean-Marie Souclier : Notre société a été créée en 1981 et, pour l’anecdote, dans nos registres d’assemblée générale, des emprunts affichaient des taux de 16 % ! N’oublions pas que, dans les années 2000, on empruntait à 4,5 % contre 3,5 à 4 % aujourd’hui. Le coût de la dette reste donc faible mais, en revanche, les actifs affichent des prix plus élevés, car il y a beaucoup plus de liquidités à placer. Il y a vingt ans, on pouvait acquérir à Paris des actifs présentant un rendement de 8 % environ. Désormais, ces mêmes actifs affichent plutôt un rendement de 3,5 à 4 %. Avec le renchérissement des taux d’intérêt, les stratégies sont réévaluées, même si les SCPI sont privilégiées puisqu’elles bénéficient de niveaux de collecte élevés et sont peu endettées. 

Nous n’avons dorénavant plus recours qu’aux opérations de refinancement. Nous ne pensons pas non plus que la hausse des taux va durer longtemps. Nous étudions d’ailleurs la possibilité de contracter une petite partie de dette in fine, en renégociant au bout de cinq ans par exemple pour obtenir des taux plus bas et des durées plus longues. Les niveaux de collecte permettront de rembourser ces crédits sans problème.

Avec une augmentation du taux de rendement demandé à l’immobilier, comment évoluent les valeurs des actifs ?

Jean-Marie Souclier : Le repricing des actifs est encore limité du fait de l’attentisme des vendeurs comme des acheteurs. Or nous devons placer la collecte, car les délais de jouissance de nos SCPI sont à respecter. Heureusement, la pierre-papier implique un horizon d’investissement à très long terme donc, même si nous achetons aujourd’hui des actifs « trop chers », leurs valeurs auront progressé dans quinze ou vingt ans. Structurer le portefeuille d’un fonds immobilier nécessite une combinaison d’actifs plus ou moins rentables. 

Par ailleurs, nous évaluons nos actifs avec prudence et généralement nous tenons plutôt compte des fourchettes basses des expertises. C’est le cas du marché en général. Les baisses de valeur des actifs devraient donc être très limitées. 

Il est néanmoins certain qu’il est actuellement plus compliqué de recourir à l’effet de levier pour rehausser la performance des acquisitions. Nous allons donc nous concentrer sur notre patrimoine pour continuer à analyser comment créer de la valeur. Ainsi, avant de finaliser toute acquisition, tous les leviers de création de valeur d’un actif sont identifiés.

Mansour Khalife : Comme le souligne la collecte record des SCPI sur le troisième trimestre, les marchés immobiliers regorgent d’un niveau important de liquidités à placer. Ce cash record soutient la demande qui reste aujourd’hui supérieure à l’offre. Toutes choses égales par ailleurs, l’état actuel du marché, même en période d’augmentation des taux, ne laisse pas entrevoir un effondrement des valeurs des actifs « core/core+ ». Une correction est possible, mais devrait être compensée par la demande toujours très élevée.

Dans un contexte chahuté, l’agilité est de plus en plus mise en avant : comment se traduit-elle ?

Mansour Khalife : Chez MNK, nous avons l’avantage de proposer des fonds datés. Alors qu’il y a encore quelques années, des actifs pouvaient être acquis en adoptant des stratégies passives dites « buy and hold » (acheter et détenir), aujourd’hui ces stratégies sont moins adéquates. Il vaut mieux avoir des convictions et comprendre les cycles immobiliers et les tendances démographiques. Le monde de l’immobilier est désormais très sophistiqué : les cycles sont plus courts et les opportunités ne se situent plus dans des fenêtres de cinq, dix ou quinze ans. L’agilité consiste à saisir les opportunités et à se tourner, voire retourner, vers des stratégies, des classes d’actifs et des marchés plus porteurs. Par exemple, nous avons investi dans l’hôtellerie en pleine crise sanitaire en 2020, dans un cycle baissier qui finalement n’a duré que 24 mois. Le cycle hôtelier est en instance de redémarrage et un repricing est déjà palpable sur le marché ; nos actifs hôteliers se sont valorisés à +10 % en un an. 

Agilité veut dire aussi anticiper et prendre des décisions concernant les fonds. Ainsi, nous arrivons au terme de la période de collecte de notre fonds professionnel de rendement MNK One qui offre une stratégie « core » et affiche une performance passée depuis son lancement de 9 % par an (dont 6 % distribués sous forme de dividende). Lors de son lancement en 2019, nous avions identifié un cycle porteur, sur trois à quatre ans, pour générer du rendement sur ce type de portefeuille « core » tout en étant pleinement conscients que ce schéma, compte tenu des stocks limités en Europe et des taux de financement bas, ne durerait pas ad vitam aeternam. Nous sommes dans nos prévisions ! 

Notre nouveau fonds professionnel, MNK Europe+, répond à une stratégie plus adaptée au cycle actuel : générer du rendement par le flux locatif, qui bénéficie par ailleurs de l’inflation, tout en le couplant à une création de valeur par une approche ESG (travailler sur l’amélioration de l’efficience énergétique des actifs). 

L’agilité pour nous, chez MNK, n’est plus la recherche d’opportunités « off market », qui est de moins en moins une carte gagnante au regard de la multiplicité des appels d’offres et de la recherche perpétuelle du meilleur offrant. En revanche, il est à notre sens plus créateur de valeur de développer des stratégies « built to suit » accompagnant des opérateurs économiques « consommateurs d’immobilier » et de se positionner à leurs côtés. Cela implique de comprendre leurs besoins et de leur trouver des solutions. 

Enfin, la recherche de performance en immobilier peut aujourd’hui se tourner par exemple vers les actifs cotés, certaines foncières ayant perdu jusqu’à 40 % de leur valeur depuis quelques mois et offrant de facto de meilleures performances que des fonds non cotés.

Christophe Delacour : Sur notre marché où l’information circule très vite, le « off market » est en effet très rarement possible. Pour saisir les meilleures opportunités, il faut être agile. Au-delà d’une connaissance fine du marché, une veille permanente permet d’assurer un sourcing efficace. Il est indispensable de suivre les évolutions des usages et des besoins des occupants, qu’ils soient locataires ou acquéreurs. Tout cela permet d’être très performant dans le pricing des actifs. 

Grâce à l’expertise de notre maison mère, Aquila Asset Management, c’est la philosophie de gestion que nous adoptons pour nos fonds, Axipit Home Value et Axipit Office Value, afin de délivrer un produit qui correspond aux attentes du marché.

«Nous allons nous concentrer sur notre patrimoine pour continuer à analyser comment créer de la valeur. »

Jean-Marie Souclier Président ,  Sogenial Immobilier

Comment faire face à une obsolescence accélérée des actifs, notamment suite au décret tertiaire ?

Jean-Marie Souclier : L’agilité est, encore une fois, le maître mot. Aujourd’hui, plus personne n’achète un actif sans avoir une vision de ce que sera son obsolescence future. Nous travaillons actuellement sur la mise en place d’une grille ESG pour scorer tous les actifs à l’acquisition, de façon à préparer la labellisation de nos SCPI. Nous savons depuis plusieurs années que les normes se renforcent. Certains actifs arrivent en fin de vie et des rénovations plus ou moins lourdes seront menées si elles présentent un intérêt économique. Il est parfois plus intéressant de raser le bâtiment et de reconstruire ensuite. 

Les SCPI sont moins engagées dans une rotation accélérée du patrimoine. Elles ont bénéficié il y a quelques années d’un assouplissement des conditions pour réaliser des opérations de restructuration et ces opérations devraient se poursuivre. Le métier d’asset manager, qui s’est développé sur les dix ou quinze dernières années, s’est professionnalisé. Auparavant, son rôle se limitait à encaisser les loyers. Désormais, il doit davantage aller chercher de la performance à l’arbitrage pour offrir une rentabilité globale intéressante à l’investisseur.

Christophe Delacour : Nos fonds sont positionnés sur des durées courtes de cinq ans, voire six ans, avec l’objectif d’acheter des actifs, de les travailler et de les revendre. 

L’obsolescence des actifs est liée à leur microlocalisation, que ce soit dans le résidentiel ou dans d’autres classes d’actifs. Un bâtiment obsolète mais complètement dans son marché en termes de localisation va mériter des investissements et des travaux, car son repositionnement générera de la valeur. 

Un bâtiment obsolète qui ne bénéficie pas d’un emplacement cohérent avec son usage, on pense par exemple à un immeuble de bureaux de périphérie des années 1970 qui serait au milieu d’une zone devenue résidentielle, peut trouver une nouvelle vie grâce à un changement d’usage ou à son hybridation dans les communes qui sont prêtes à accepter et à accompagner ces opérations. 

Si aucune de ces options n’est envisageable, l’actif en question restera à une valeur décotée et sans intérêt pour nos fonds.

Faut-il pousser la diversification toujours plus loin en allant chercher de nouvelles typologies d’actifs et en renforçant aussi la granularité des portefeuilles 

Mansour Khalife : La diversification permet de diluer le risque et d’éviter la volatilité du portefeuille. Elle est plus que jamais importante pour distribuer du rendement et offrir à l’investisseur un flux de revenus réguliers. Un fonds diversifié permet également de multiplier les opportunités d’acquisition en renforçant la flexibilité et l’ouverture sur le monde. 

On peut diversifier de plusieurs manières : bien entendu sur les classes d’actifs, sur la géographie, mais aussi sur les maturités. Etre diversifié permet de se protéger des évolutions de la réglementation d’un seul pays tout en bénéficiant des différences de cycles. Ainsi, en France, une variation de la fiscalité fait peser un risque car, par exemple, le PFU (prélèvement forfaitaire unique) pourrait être revu. 

La granularité est également très importante, car elle limite la concentration du risque. 

Développer une stratégie « core » et servir un rendement régulier ne requiert pas une extrême technicité sur une classe d’actifs ou un pays donné. Cela nécessite juste de savoir lire et de comprendre un marché et la classe d’actifs elle-même. Le bâti n’est pas modifié et les travaux sont refacturés aux locataires.

Toutefois, je tempérerais cette position en précisant qu’une stratégie thématique et dédiée peut également avoir du sens dans une allocation de portefeuille. Elle pourra bien sûr être parfois plus risquée par l’effet de concentration (sur une géographie ou un secteur donné par exemple), mais pourrait, en contrepartie, générer une performance attendue supérieure. Tout dépend du couple rendement/risque que l’investisseur sera prêt à assumer. Chez MNK, nous proposons des fonds « momentum » allant dans ce sens.

Christophe Delacour : Au-delà de l’immobilier, le distributeur, en contact avec l’investisseur final, le conseille pour construire sa propre diversification. Sur des véhicules de rendement, la diversification est absolument nécessaire. Il est donc très pertinent qu’un véhicule comme la SCPI soit diversifié pour mieux absorber les risques et les mouvements de marché. 

Les investisseurs plus expérimentés peuvent sélectionner des stratégies plus pures et spécialisées, comme ce que nous offrons via nos FPS (fonds professionnels spécialisés) pour ensuite construire par eux-mêmes une allocation d’actifs diversifiée. 

«Le monde de l’immobilier est désormais très sophistiqué : les cycles sont plus courts et les opportunités ne se situent plus dans des fenêtres de 5, 10 ou 15 ans. »

Mansour Khalifé Président fondateur ,  MNK Partners

Comment avancez-vous sur la thématique de l’investissement durable ?

Jean-Marie Souclier : On vient de se lancer dans les processus RSE et ESG. Cela amène aussi à renforcer encore nos relations avec les locataires pour récupérer certaines informations. Au-delà de la connaissance du seul niveau de consommation d’énergie, il est plus pertinent d’analyser comment cette énergie est consommée et comment il est possible d’agir dessus. C’est le réel enjeu. De nombreuses entreprises innovantes issues de la Proptech peuvent nous aider sur ce sujet. Il faut faire le bon choix. Les grands immeubles de bureaux pourront supporter des capex élevés, mais ce n’est pas le cas de tous les actifs. La conception même des commerces et des centres commerciaux induit souvent des passoires thermiques avec des portes qui s’ouvrent constamment et des espaces très chauffés ou très climatisés. La crise énergétique entraîne également une prise de conscience sur le sujet énergétique pour ce type d’actifs. 

Il est important de noter que des gestes simples permettent de mener des avancées. Ainsi, chez Sogenial, des thermomètres à l’entrée des bureaux ont été installés pour que chacun puisse observer de façon concrète les niveaux de température et les ajuster si besoin pour limiter les consommations énergétiques.

Christophe Delacour : Dès la création d’Axipit, nous avons fait le choix d’adhérer à l’ASPIM et de participer aux travaux de la commission ISR. Naturellement, nos FPS sont labellisés ISR ou en cours de labellisation. Au sein de ces fonds, nous avons décidé de mettre en œuvre notre démarche « best in progress » : profiter de la création de valeur pour avoir un réel impact sur l’environnement, les aspects sociaux/sociétaux et la gouvernance. Notre charte ESG est un élément clé de notre démarche d’investissement. 

Pour servir intelligemment la cause, je pense qu’il est nécessaire de sortir des injonctions qui relèvent du dogmatisme et ne sont pas réalistes. En revanche, communiquer sur des actions concrètes effectuées dans les immeubles, comme l’installation systématique de double vitrage, la sécurisation des accès, ou faire travailler des prestataires locaux a un réel impact ESG positif pour nos partenaires et nos investisseurs finaux.

Mansour Khalife : Nous avons récemment publié une charte ESG, qui a nécessité près d’un an et demi de travail. Beaucoup de pédagogie est menée en interne et certains de nos collaborateurs ont suivi des accréditations auprès de la Banque mondiale pour bénéficier de l’expertise en efficience énergétique des bâtiments (expertise EDGE). Au-delà du côté marketing du label ISR, c’est un domaine très intéressant : nous sommes amenés à travailler sur des sujets que nous ne connaissions pas il y a encore peu de temps. De la même façon qu’il y a vingt ou vingt-cinq ans est apparu le métier de « compliance officer » dans les sociétés de gestion, la personne responsable de l’ESG a aujourd’hui une fonction essentielle et dispose d’un savoir-faire précieux sur l’ingénierie du bâtiment. 

Néanmoins, certains progrès sont encore à réaliser. Toute réglementation doit apporter de la clarté. Certaines études démontrent que 80 % des fonds labellisés ISR relèvent plutôt du « greenwashing ». D’autre part, la MiFID II est un texte européen qui n’est pas transposé de la même manière aux Pays-Bas, en France ou en Irlande. Aux Pays-Bas, un bureau qui n’est pas de classe énergétique A ou B ne peut être loué. 

Enfin, c’est la première fois, avec le décret tertiaire, que l’investisseur doit supporter toute la charge des travaux. Jusqu’à présent, la majorité des travaux était financée par les locataires. Dans un contexte économique et géopolitique très tendu, le coût serait plutôt à partager entre l’Etat, les bailleurs et les locataires.

Dans un environnement anxiogène, comment être au plus près des distributeurs et des investisseurs ?

Jean-Marie Souclier : Pendant la crise sanitaire, de nouvelles façons de communiquer ont été développées. Les investisseurs veulent aujourd’hui pouvoir souscrire en ligne par simplicité ou pour investir en direct. Nous devons donc déployer des outils de digitalisation, même si ce n’est pas la majorité des investisseurs qui y recourent. Outre son aspect marketing, la digitalisation permet également que le souscripteur saisisse lui-même toutes les données, ce qui représente des économies pour nous. 

Nous allons aussi proposer les versements programmés. Toutefois, il faut avoir conscience qu’un certain nombre de services demandés par nos partenaires sont aujourd’hui assez peu utilisés. Les acteurs de la place doivent se mobiliser pour faire évoluer les choses et rendre nos produits plus simples pour les souscripteurs.

Christophe Delacour : Notre approche est d’être très à l’écoute des distributeurs qui connaissent bien leurs clients investisseurs. Une relation de confiance doit s’établir et s’envisager sur le long terme avec l’ensemble de nos partenaires : c’est essentiel et précieux. Il est indispensable d’être très clairs sur nos stratégies et nos objectifs et de tenir nos promesses. 

La digitalisation répond effectivement à une demande réelle. C’est un prérequis pour toucher les « millennials », les moins de 35 ans. Mais nous devons néanmoins être capables de continuer à proposer de la souscription papier pour ceux qui les souhaitent. En un mot, il faut savoir s’adapter à nos clients et partenaires.

Mansour Khalife : Le parcours digitalisé a initialement émergé pour renforcer l’efficience des coûts et des traitements back-office, mais en aucun cas il ne justifie un acte de vente. Même si nous venons de lancer une application et que la technologie au sein de notre structure nous aide continuellement à accroître la proximité et les services offerts à nos clients, ces facilités ne vont pas motiver un fort développement commercial. Nous ne commercialisons pas des produits simples de grande consommation. Notre force de conviction et la pédagogie sont donc essentielles. Nos partenaires doivent pouvoir comprendre nos produits et nos stratégies. Ils sont en recherche de fond plus que de forme. Ils nous demandent ainsi des webinaires et des points marchés. Il a également été nécessaire de décrire notre conviction quant à notre fonds « momentum » dédié à l’investissement en Europe centrale (Pologne) ou encore lorsque nous avons acquis un hôtel à Lisbonne en pleine crise sanitaire. Nos fonds regroupent quelques centaines d’investisseurs. Même si un processus digitalisé existe, nous souhaitons maintenir un traitement assez artisanal et une approche « boutique » pour mieux connaître chacun des clients de nos partenaires et conserver un contact direct et de qualité avec les CGP et les family offices avec qui nous travaillons depuis de nombreuses années.  

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