Table ronde

Small caps : vers un rebond durable ?

Publié le 21 novembre 2025 à 10h00

Catherine Rekik    Temps de lecture 25 minutes

Après plusieurs années de désaffection, les petites valeurs remontent la pente depuis le printemps dernier, soutenues par des valorisations très attractives, une embellie économique progressive et un regain de confiance des investisseurs. Leur résilience face aux chocs successifs – guerre commerciale, tensions géopolitiques et évolution des taux – peut-elle s’inscrire dans la durée ? Comment ces entreprises, souvent plus domestiques et agiles que les grandes capitalisations, peuvent-elles tirer parti des nouvelles thématiques d’investissement – souveraineté, défense, réindustrialisation, innovations technologiques – qui redessinent les priorités des marchés ? Par ailleurs, les initiatives se multiplient en France et dans d’autres pays européens pour dynamiser ce segment de la cote. Suffiront-elles à relancer les introductions en Bourse ? Les initiatives de Place comme celle de CDC Croissance par exemple, peuvent-elles également faire évoluer la perception des investisseurs sur cette classe d’actifs ?

Les intervenants :

  • Raphaël Moreau, gérant et co-CIO, Amiral Gestion
  • Benjamin Rousseau, gérant actions européennes, Edmond de Rothschild AM
  • Charles-Henri Herrmann, directeur du développement France et Israël, Janus Henderson
  • Marc-Antoine Barbé, gérant actions small caps, MCA Finance

Photos : © Véronique Taupin

Depuis le printemps, on constate un rebond des petites valeurs. Quels ont été les éléments déclencheurs après une longue période de décrochage ?

Benjamin Rousseau : Paradoxalement, l’élection de Donald Trump a servi d’électrochoc : l’Europe s’est reprise en main et a réagi avec des décisions fortes et des annonces de plans d’investissement qui crédibilisent la perspective d’une accélération progressive de la croissance européenne et rétablissent la confiance des investisseurs. Les small caps de la zone euro, plus domestiques et cycliques, sont aussi moins sensibles aux effets de change et aux tensions commerciales, ce qui a encouragé les flux en faveur de la classe d’actifs. Toutefois, malgré la surperformance relative enregistrée depuis quelques mois, les valorisations restent à des niveaux historiquement bas. Les décotes sont importantes alors que les perspectives macroéconomiques sont plus favorables : les PMI repartent à la hausse, le plan allemand va commencer à produire ses effets. Tout cela prépare un terrain favorable pour 2026.

Charles-Henri Herrmann : Je nuancerais le terme de rebond, car nous avons surtout assisté à une reprise générale du marché après le choc provoqué par Trump et son Liberation Day, mais pas à un rattrapage spécifique des small caps. Si on les compare aux large caps, les performances restent même en deçà, autour de 12 % pour les indices européens small caps et de 16 % pour les indices small caps globaux.

Chez Janus Henderson, nous pensons que le cycle de rebond des small caps est à venir. Le rattrapage des valorisations aurait pu intervenir plus tôt, notamment depuis un an avec le début de la baisse des taux en Europe qui aurait dû servir de catalyseur, mais l’attention du marché s’est focalisée ailleurs, notamment sur le thème de l’intelligence artificielle. Le moteur manquant, c’est la conviction que ces baisses de taux auront un impact tangible sur la croissance. Quand cette confiance reviendra, les small caps seront bien placées pour en profiter. En Allemagne, la politique budgétaire très expansionniste devrait leur être favorable. Aux Etats-Unis, à l’approche des élections de mi-mandat, Trump devrait se recentrer sur l’économie nationale. Quant à la Chine, elle a finalement, gardé pas mal de cartouches en réserve pour les négociations sur les tarifs douaniers. Et même si des problèmes persistent, notamment sur l’immobilier, son gouvernement a les moyens de mettre en place une politique plus favorable à l’économie. Tout ceci devrait favoriser la croissance économique mondiale et permettre aux small caps d’en bénéficier.

Raphaël Moreau : Il faut distinguer les performances des small caps dans la zone euro et en Europe. En effet, elles ont souffert au Royaume-Uni alors qu’il y a eu une surperformance en zone euro. L’indice MSCI EMU Small Cap a ainsi gagné plus de 21 % à fin octobre contre 19 % pour le MSCI EMU Large Cap. Par ailleurs, gardons en tête que les small caps ne sont pas directement corrélées aux taux d’intérêt, contrairement aux valeurs de croissance. Leur performance est avant tout liée à l’activité économique. Et de ce point de vue, la situation s’améliore. Les PMI de la zone euro sont repassés autour de 50, contre 45 fin 2024. En France, ils sont remontés de 42 à quasiment 50. C’est un signal annonciateur d’une reprise de la production industrielle et de la demande. Il y a toujours un effet retard d’environ 18 mois entre les baisses de taux et leur impact sur l’économie réelle. On commence donc tout juste à en voir les effets, notamment dans l’immobilier ou la construction. Si cette tendance se poursuit, la croissance pourrait être plus solide en 2026. Le plan de relance allemand annoncé en mars, très ambitieux, a par ailleurs contribué à redonner confiance, même si sa mise en œuvre prendra du temps. Il y a eu un choc positif au moment de l’annonce, les valeurs allemandes se sont bien appréciées, notamment celles liées aux infrastructures. Désormais, il faut patienter, car mettre en place des investissements de cet ordre prend du temps.

Marc-Antoine Barbé : Contrairement à mes confrères, mon univers d’investissement est centré sur les small caps en France où le vivier est, selon nous, suffisamment important. Sur cet univers, il est intéressant d’analyser ce qui s’est passé ces derniers mois : par exemple, l’indice CAC Small a été porté par certains secteurs très spécifiques, comme la défense et la biotech. Il faut donc relativiser les performances, car elles ne reflètent pas la réalité de l’ensemble des small caps françaises comparativement aux small caps européennes. Par ailleurs, depuis le printemps, on observe, dans les différentes données publiées sur les flux, un début de retour de la collecte qui a contribué au rattrapage des valeurs françaises ces derniers mois, surtout des titres les moins liquides.

Enfin, autre facteur porteur : la thématique de la souveraineté économique qui bénéficie à de nombreuses entreprises françaises positionnées sur des chaînes de valeur locales ou stratégiques. En revanche, le climat politique crée une forme d’attentisme. Les annonces politiques, comme une dissolution ou un changement de gouvernement, créent des turbulences à court terme sur la classe d’actifs, mais elles passent assez vite. Les dirigeants d’entreprises expriment toutefois une inquiétude face à cette instabilité, ce qui pèse sur leurs décisions d’investissement et sur celles de leurs clients.

Peut-on parler du début d’un nouveau cycle favorable aux small caps ? Avec un recours plus significatif des flux essentiels à la classe d’actifs ?

Raphaël Moreau : Il serait prématuré de l’affirmer, mais les conditions d’un rebond durable sont réunies. Les valorisations de la classe d’actifs ne peuvent pas être le seul argument, sinon les small caps auraient rebondi depuis longtemps ! Le premier point favorable à la classe d’actifs est le redressement de l’économie après une période compliquée marquée par l’éclatement de la guerre en Ukraine et des hausses de taux pour maîtriser l’inflation. Ensuite, les valorisations des large caps sont aujourd’hui élevées, proches des niveaux de 2007. Donc, si la croissance européenne poursuit sa normalisation, les petites capitalisations ont un vrai potentiel de revalorisation alors que les hausses de cours des large caps pourraient être limitées. Entre 2013 et 2017, à la sortie de la crise de la zone euro, les small caps ont eu un parcours formidable. Le contexte actuel ressemble un peu à ce que nous avons connu à cette période, à savoir des titres peu chers et une embellie économique.

Benjamin Rousseau : Si on raisonne en termes de rendement/risque, les vents contraires qui ont clairement pesé sur la classe d’actifs ces dernières années, comme l’inflation ou les hausses de taux, s’estompent. Et, a contrario, le niveau de valorisation est aujourd’hui très attractif. Enfin, l’accélération de l’économie européenne que nous attendons à partir de 2026 grâce aux plans d’investissement en Allemagne et en Europe est positive côté rendement. Donc, le rapport rendement/risque est très favorable aux small caps.

Charles-Henri Herrmann : Rappelons également que les small caps sont souvent plus domestiques que mondiales. Leur performance dépend beaucoup plus de l’environnement macroéconomique de chaque pays. La confiance revient plus vite en Allemagne que dans d’autres pays de la zone euro par exemple, ou qu’aux Etats-Unis. Les valorisations sont globalement faibles par rapport à la moyenne historique, mais c’est cette confiance qui peut faire revenir les investisseurs. Tant que les flux d’investissement ne reviendront pas de façon significative, il n’y aura pas de revalorisation de la classe d’actifs. Or, pour l’instant, la tendance est positive, mais encore faible.

Marc-Antoine Barbé : Sur la France, le rebond peut tout à fait se poursuivre, malgré quelques turbulences politiques. Les entreprises affichent de bons fondamentaux : le consensus attend une croissance d’environ 5 % de l’Ebitda cette année. Les sociétés sont en croissance et améliorent leur rentabilité. Si la liquidité revient – et certaines initiatives publiques vont dans ce sens – il n’y a aucune raison que le rattrapage des small caps françaises s’arrête.

«Les small caps ne sont pas des start-ups, mais des sociétés alliant croissance et rentabilité. »

Benjamin Rousseau gérant actions européennes ,  Edmond de Rothschild AM

Depuis le début de l’année, le rebond boursier s’est-il concentré sur quelques secteurs ou sociétés ?

Marc-Antoine Barbé : En France, deux thématiques ont bien performé depuis le début de l’année : la santé/biotech, qui a concentré les plus fortes hausses sur quelques valeurs, et la défense, qui a profité de la volonté des différents gouvernements d’augmenter les budgets militaires. Même si peu d’acteurs sont purement défense – moins d’une dizaine en France –, de nombreuses entreprises bénéficient indirectement de cette tendance au réarmement et voient leurs carnets de commandes s’étoffer. De nombreux titres en ont tiré profit.

Benjamin Rousseau : Au niveau européen, le trio gagnant est : défense, banques-finance et énergie, y compris les infrastructures et utilities. Ces secteurs occupent depuis le début de l’année le haut du classement en termes de performance.

Raphaël Moreau : Des valeurs industrielles liées à la défense ont fortement progressé : le titre Renk en Allemagne, par exemple (+ 265 %), ou la société autrichienne Frequentis (+ 158 %) qui fabrique des équipements pour les aéroports et dont l’envolée du cours de bourse s’explique surtout par le phénomène de survols de drones. Le secteur bancaire a également bien performé cette année. Et, enfin, tous les titres liés aux infrastructures allemandes ont bien monté. Il est intéressant de voir le retournement : il y a un an, plus personne ne voulait investir en Allemagne ! Aujourd’hui, même les flux américains reviennent massivement, attirés par la thématique de la reconstruction industrielle et énergétique. Les cours de certaines valeurs ont triplé alors que les attentes de bénéfices par action sont les mêmes, uniquement grâce à ce re-rating.

Charles-Henri Herrmann : Les paris sectoriels ne fonctionnent pas beaucoup pour cette classe d’actifs. Nous ne sélectionnons pas des secteurs mais des entreprises. Toutefois, deux thèmes ont dominé cette année au niveau mondial, à deux périodes différentes, car il y a eu une rotation sectorielle intéressante entre le début et le milieu de l’année. Si on regarde la performance du MSI World Small Cap, ces deux thèmes sont les matériaux, les métaux précieux et les minières – notamment le secteur aurifère –, et l’IA via des acteurs industriels liés à la construction de data centers (ventilation, infrastructures, câblage…).

Il y a eu de nombreux lancements de fonds sur le thème de la souveraineté et de la défense, dont la plupart ont une exposition non négligeable aux small caps. Vont-elles profiter de cet intérêt particulier et du fléchage des investissements vers la thématique ?

Benjamin Rousseau : L’Europe dispose d’un écosystème solide de valeurs liées à la défense et à la souveraineté. Depuis le début de la guerre en Ukraine, plusieurs sociétés se sont introduites en Bourse – RENK et Exosens en 2024 par exemple –, et d’autres suivront, car l’intérêt des investisseurs attire de nouvelles entreprises en Bourse. D’autres, déjà cotées, mais plus petites et moins en vue, gagnent en visibilité et leurs perspectives s’améliorent avec la montée des enjeux de souveraineté et les investissements prévus par les différents plans. C’est donc une thématique qui se structure, avec un vivier de plus en plus vaste de small caps européennes positionnées sur ces secteurs.

«La performance de la classe d’actifs est avant tout liée à l’activité économique.»

Raphaël Moreau gérant et co-CIO ,  Amiral Gestion

L’attrait pour la thématique souveraineté et défense pourrait donc favoriser les introductions en Bourse ?

Benjamin Rousseau : Il y a cinq ans, il n’y avait pas de croissance dans le secteur de la défense. Le début de la guerre en Ukraine a changé la donne et, avec le réarmement de l’Europe, les perspectives de croissance se sont encore améliorées. Les valorisations suivent logiquement, et ce, d’autant que la défense est désormais jugée compatible avec les normes ESG. Tout ceci incite certains acteurs non cotés à envisager une introduction en Bourse pour financer leur développement.

Charles-Henri Herrmann : Il faut tout de même tenir compte d’un élément : le secteur de la défense est très protégé par les Etats. La cotation d’une entreprise dans un secteur sensible va être regardée de près par les gouvernements pour des raisons de sécurité nationale.

Raphaël Moreau : Le groupe franco-allemand KNDS, qui n’est pas une small cap, prévoit son introduction en bourse pour début 2026. Dans la thématique de la souveraineté, il y a certes la défense, mais aussi le secteur de la technologie et la cybersécurité. Ce qui est intéressant dans la défense, c’est l’effet multiplicateur d’un investissement dans ce domaine sur la croissance de l’économie, bien plus important que dans la plupart des secteurs. Quand on investit dans la fabrication de chars par exemple, la chaîne de valeur est locale.

En revanche, sur la tech, l’Europe reste très en retrait. Les entreprises européennes peinent à atteindre la taille critique face aux géants américains. On ne leur donne pas les moyens nécessaires de se développer. L’Europe bouge, mais pas assez et trop lentement : c’est encore très insuffisant pour avoir une souveraineté technologique.

Marc-Antoine Barbé : La cybersécurité fait, en effet, partie des enjeux de souveraineté. La réglementation évolue : à partir de 2030, les Etats européens devront par exemple privilégier des serveurs intraeuropéens. Cela profitera aux acteurs locaux et soutiendra ce vivier technologique. Différentes mesures ont été annoncées par les Etats en faveur de la souveraineté hors secteur de la défense. Elles commencent à se concrétiser et devraient se renforcer.

Raphaël Moreau : Il existe toutefois de grandes disparités entre les pays. La France est très proactive en matière de souveraineté, tandis que d’autres privilégient la technologie la plus aboutie aujourd’hui, souvent américaine. Les Etats-Unis exercent aussi leur influence, et ils sont puissants. Certaines choses se mettent en place, mais c’est long et il manque une vraie impulsion politique. Sinon, en effet, en matière de défense, on voit bien que les pays s’équipent davantage et souhaitent vraiment s’approvisionner auprès d’acteurs européens pour ne pas être dépendants d’éventuelles restrictions américaines futures.

Marc-Antoine Barbé : En réaction à la politique de Donald Trump, les Européens pourraient être incités à relocaliser une partie de leur production, favorisant ainsi la souveraineté industrielle. En renforçant la production locale, ce mouvement pourrait avantager les entreprises françaises et soutenir l’autonomie économique européenne face aux importations.

Benjamin Rousseau : La souveraineté inclut d’autres secteurs que la défense ou la tech. C’est le cas de l’énergie, le conflit russo-ukrainien ayant mis en lumière la problématique de la sécurité énergétique en Europe.

Revenons sur les introductions en Bourse. La faible valorisation des small caps a découragé beaucoup de sociétés. Le gisement est-il en train de s’appauvrir ? 

Benjamin Rousseau : A l’échelle européenne, il y a entre 2 000 à 3 000 petites valeurs cotées. Le gisement reste important même si, en tant que stock pickers, nous accueillons toujours favorablement les nouvelles Introductions en Bourse. En France et en Allemagne, le gisement a eu tendance à s’appauvrir récemment, mais ce n’est pas une fatalité. En Italie, depuis 10 ans, les introductions en Bourse dépassent largement les retraits de la cote. La Suède a aussi connu des années particulièrement fastes. Il y a toujours des périodes durant lesquelles certains pays font mieux que d’autres, mais, au niveau européen, il n’y a pas vraiment de sujet malgré quelques points de vigilance.

Raphaël Moreau : En France, le phénomène des retraits de cote est aussi fortement lié au private equity. Ces derniers mois, les fonds ont procédé à moins de retraits de la cote, mais les IPO ne sont pas encore revenues, faute d’intérêt pour le marché français. Si la conjoncture s’améliore, elles reviendront probablement, car les fonds de private equity devront réaliser des sorties. Par ailleurs, d’autres pays sont très dynamiques, comme la Suède ou la Finlande, où nous avons participé à des IPO cette année, ainsi qu’au Royaume-Uni. En France, nous étions investisseurs cornerstone sur Semco, la seule IPO de l’année. Globalement, le gisement reste vaste.

Charles-Henri Herrmann : Le gisement européen est en effet conséquent, mais il faut d’abord définir ce qu’on appelle small cap. La définition diffère en fonction des contraintes de gestion de chacun. Nous limitons notre univers à 1 000 /1 500 sociétés pour la partie européenne. On constate également que beaucoup de sociétés restent privées plus longtemps qu’auparavant ; à partir d’une certaine taille, elles s’introduisaient en Bourse. Le contexte n’a pas favorisé les IPO, et les fonds de private equity ont peu privilégié les sorties en Bourse.

A l’échelle mondiale, nous suivons plus de 4 000 sociétés, donc le potentiel pour nos portefeuilles est réel. Les IPO sont intéressantes, mais ne constituent pas non plus le moteur principal de la dynamique des small caps.

Raphaël Moreau : Il y a des IPO quand les valorisations sont élevées. Parfois, elles concernent des secteurs en vogue, donc il faut être prudent. On cherche toujours à comprendre si le vendeur est dans la logique de profiter d’un prix élevé ou s’il a des objectifs de long terme, plus constructifs, dans la perspective de faire appel au marché s’il a besoin de financement.

Marc-Antoine Barbé : Depuis trois ans, la France est assez pauvre en introductions de bourse. Il y a eu quelques beaux succès, comme STIF en 2023, Odyssée Technologies, fin 2024 et, cette année, Semco Technologies. Cette dernière est d’ailleurs plutôt une belle introduction puisqu’elle a été largement sursouscrite, ce qui démontre l’intérêt des investisseurs pour cette classe d’actifs. Depuis l’IPO, le titre a également bien performé. En parallèle, il y a eu plusieurs retraits de la cote par des fonds de private equity ou des fondateurs et dirigeants d’entreprises qui, compte tenu de la faiblesse de leurs cours de Bourse, estimaient que leur potentiel de croissance n’est pas correctement valorisé par le marché.

Pour ma part, je considère que les IPO sont toujours intéressantes : elles permettent de découvrir de nouvelles sociétés et d’agrandir le gisement, même s’il reste important. Dommage qu’il n’y en ait pas plus…

L’alignement des intérêts entre les actionnaires minoritaires que nous sommes et les dirigeants est très important dans les IPO. Est-ce que le dirigeant veut s’introduire en Bourse pour profiter d’une porte de sortie et récupérer du cash ? Ou a-t-il une vraie volonté de lever des capitaux pour développer l’entreprise ? Dans ce cas-là, si on estime que nos intérêts sont alignés, la valorisation attractive, et que l’entreprise a la volonté de faire croître ses bénéfices, il est tout à fait légitime d’y participer.

«Il y a beaucoup d’inefficiences de marché, ce qui permet aux gérants de générer de l’alpha.»

Charles-Henri Herrmann directeur du développement France et Israël ,  Janus Henderson

L’Italie, où il y a déjà pas mal d’IPO, continue de mettre en place des mesures pour dynamiser la cote. Faut-il faire la même chose en France ?

Benjamin Rousseau : Il y a des exemples à suivre, et l’Italie en fait partie. En France, l’AMF a présenté une nouvelle doctrine il y a quelques semaines ; gageons qu’elle sera suivie d’effet. La CDC Croissance a apporté aussi un soutien à cet écosystème des petites et moyennes valeurs en France avec un investissement de 500 M€ dans des fonds dédiés à la classe d’actifs.

Marc-Antoine Barbé : Il y a tout de même un bémol : cette enveloppe des 500 M€ s’est concentrée sur des fonds qui ont plus de 100 M€ d’encours. Les fonds de plus petite taille ne sont pas éligibles. Et alors que je pensais que ça allait redynamiser un peu les très petites capitalisations de la cote, cela n’a pas eu l’effet escompté. Car les fonds dont l’encours est supérieur à 100 M€ investissent, pour des questions de liquidité, majoritairement dans des sociétés de taille moyenne et souvent plus européennes que françaises.

Raphaël Moreau : Amiral Gestion a bénéficié de cette initiative, mais elle est loin d’être suffisante pour faire bouger significativement le marché. Elle symbolise surtout la faible valorisation des petites valeurs et est plus que bienvenue en tant que soutien de l’écosystème.

Benjamin Rousseau : L’exemple de l’Italie montre qu’il faut des politiques de long terme pour dynamiser le marché et pas seulement des initiatives ponctuelles. Celui de la Suède témoigne aussi de l’importance d’avoir tout un écosystème favorable à la classe d’actifs : les fonds de pension suédois sont des actionnaires stables, de long terme et qui investissent aussi dans les petites valeurs locales. Ces deux pays sont donc clairement des exemples à suivre.

En Suède, les particuliers sont aussi très investis en actions de façon générale et en small caps locales. C’est peut-être aussi un bon exemple pour essayer de susciter l’adhésion des investisseurs sur le long terme.

Raphaël Moreau : La Suède est un exemple en effet : l’immense majorité des particuliers détient des actions pour la retraite, ils ont une culture financière solide et un cadre politique stable. Cela facilite l’investissement dans des actifs plus risqués comme les small caps.

Charles-Henri Herrmann : La culture financière est nettement meilleure dans les pays nordiques qu’en France ou dans les pays latins, de manière générale. Alors que c’est dans l’ADN des particuliers des pays nordiques de détenir des actions dans leur épargne-retraite, la volatilité des performances des small caps a toujours fait peur aux épargnants français, qui recherchent plutôt des performances régulières. Le manque d’éducation financière et la peur de la volatilité les privent d’une classe d’actifs performante sur le long terme pourtant tout à fait adaptée à l’épargne-retraite.

Dans un contexte de démocratisation du non coté, on explique aux clients privés l’intérêt d’investir dans des fonds fermés pendant cinq ou sept ans pour financer l’économie réelle. Cet horizon de temps leur semble pourtant difficilement supportable dans l’univers coté…

Charles-Henri Herrmann : C’est plus supportable dans le non coté, car les clients ne subissent pas la volatilité, ou plutôt, ils ne la voient pas. Les fonds n’ont pas une valorisation quotidienne. Quand il y a un krach sur le marché, l’impact sur les fonds de PE ou autres actifs non cotés comme l’immobilier est décalé dans le temps.

Raphaël Moreau : Les clients ont peur de la volatilité sur les marchés actions. Mais entre le non coté et le coté, il y a une différence de taille : l’effet de levier ! Un tiers des small cap cotées sont en situation de trésorerie nette alors que les sociétés investies par des fonds de private equity ont par nature des ratios d’endettement élevés. En cas de crise économique grave, oui, il y aura de la volatilité dans les actions cotées, mais le vrai risque pour les actionnaires sera en réalité bien plus fort du côté du private equity. J’ai l’impression que beaucoup perdent de vue ce qui semble pourtant une évidence.

«Si la liquidité revient il n’y a aucune raison pour que le rattrapage des small caps françaises s’arrête.»

Marc-Antoine Barbé gérant actions small caps ,  MCA Finance

Avez-vous perçu le private equity comme une concurrence sur le segment des small caps ?

Raphaël Moreau : De moins en moins depuis deux ans, alors qu’on parle beaucoup de démocratisation du private equity. Ces fonds ont eu beaucoup de succès, ils ont un vrai savoir-faire en matière de sélection et d’accompagnement des sociétés. Dans une période où il y avait beaucoup d’argent à investir et un nombre de cibles limitées, les valorisations ont beaucoup monté. Avec la hausse des taux, l’équation a moins bien fonctionné. Pour l’instant, les fonds de private equity n’ont fait que gagner du temps. Ils sont moins en concurrence sur les acquisitions, ce qui devrait permettre à certaines sociétés de notre univers d’investissement d’envisager à nouveau des opérations de croissance externe.

Benjamin Rousseau : Pour revenir à l’adhésion des investisseurs, la pédagogie est essentielle. Il faut leur rappeler les atouts structurels des small caps : du leadership dans des niches d’activité – beaucoup sont des pure players dans leur secteur –, de l’innovation, une rentabilité déjà établie et souvent en progression : les small caps ne sont pas des start-ups, mais des sociétés alliant croissance et rentabilité. Autant de raisons qui expliquent leur surperformance dans la durée… C’est aussi un segment de la cote mal couvert, avec des inefficiences de marché dont un gérant peut profiter s’il découvre une petite pépite avant les autres. Elles sont aussi, souvent, des cibles d’OPA de la part d’acteurs du private equity ou de grands groupes. Structurellement, c’est une classe d’activité sur laquelle il faut être investi dans la durée. Enfin, il faut aussi rappeler aux investisseurs qu’il y a beaucoup de success stories boursières dans cet univers coté en Europe !

Marc-Antoine Barbé : Les acteurs du private equity ont un marketing agressif. Ce que les clients apprécient, c’est de ne pas avoir de volatilité et d’avoir une idée du rendement à terme, alors que, finalement, le rendement n’est pas toujours au rendez-vous. Nous expliquons à nos clients qu’ils bloquent leur argent pendant quelques années via le private equity, alors qu’en étant investis sur les small caps, ils bénéficient d’une certaine liquidité, de la transparence et, bien sûr, de niveaux de valorisation nettement plus attractifs : il y a 50 % de décote en moyenne sur les multiples de transactions au sein du CAC Small en France, comparé à l’indice Argos qui suit la valorisation des PME non cotées en France. Les small caps cotées en France se paient nettement moins cher ; il est donc judicieux d’y être investi.

Charles-Henri Herrmann : Les performances du private equity étaient de l’ordre de 15 % par an il y quelques années. Ce qui ne doit plus être le cas. Or, au niveau mondial, l’indice des small caps a progressé de 16 % en 2023, 8 % en 2024, et quasiment 16 % en 2025. Comme cela a été souligné précédemment, il y a beaucoup d’inefficiences de marché, ce qui permet aux gérants de générer de l’alpha et d’avoir une performance annuelle proche de 20 %. C’est à nous de montrer aux investisseurs qu’il y a une certaine régularité dans l’univers des small caps alors que le private equity va désormais afficher des performances nettement moins bonnes.

Dans la perspective de se constituer une épargne pour la retraite, il faut avoir de l’immobilier, du private equity et des actifs cotés. Mais en France, certains portefeuilles en assurance vie ont été exposés à plus de 50 % sur l’immobilier. Les clients déchantent depuis 18 mois en voyant fondre les valorisations des parts de certaines SCPI. En assurance vie, le private equity proposé aux clients est constitué essentiellement de fonds evergreen. Il va y avoir plus de volatilité sur les valorisations, car les entrées et sorties vont avoir des impacts. Et les performances attendues sur ces produits ne sont pas tout à fait les mêmes non plus.

Que ce soit en France, en Europe ou au niveau mondial, l’univers des small caps est-il suffisamment riche aujourd’hui pour pouvoir créer de la valeur sur le long terme pour les investisseurs ?  

Benjamin Rousseau : Oui, bien sûr. Lorsque nous avons lancé notre fonds il y a trois ans, nous avons fait le choix de l’Europe, car le vivier est important, et parce c’est aussi l’ADN de notre équipe de gestion. Nous rencontrons entre 200 et 300 sociétés par gérant chaque année. Connaître et rencontrer régulièrement les entreprises dans lesquelles nous investissons est une composante clé de notre philosophie de gestion.

Raphaël Moreau : Au sein même de l’Europe, il y a des différences culturelles importantes. Un des atouts des small caps par rapport aux large caps, plus en zone euro qu’au Royaume-Uni, c’est que les sociétés sont gérées par des dirigeants ou des familles qui possèdent une part significative de l’entreprise. Cela crée un alignement d’intérêt structurel sur le long terme. Ces dirigeants étant les actionnaires principaux, ils sont aussi très agiles. Nous essayons d’avoir une certaine proximité avec eux, ce qui nous amène à nous concentrer sur l’Europe, qui n’a pas été la région la plus dynamique ces dernières années.

Marc-Antoine Barbé : Notre fonds investit dans des small caps françaises. Mécaniquement, des secteurs comme les banques sont peu représentés dans notre univers d’investissement. Il existe un biais industriel dans le fonds, notamment dû à notre tissu local où nous sommes beaucoup investis et où les niveaux de valorisation sont souvent attrayants. Pour nous gérants, si le marché français est assez vaste, nous revendiquons bien connaître les sociétés dans lesquelles nous investissons. La proximité avec les dirigeants avec qui nous échangeons et que nous challengeons régulièrement sur leurs perspectives ou sur d’éventuelles problématiques, est réelle et concrète. Nos clients le savent et nous font confiance. 

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