Obligations high yield

Investir dans le high yield

Publié le 28 février 2014 à 15h30    Mis à jour le 28 février 2014 à 18h36

Catherine Rekik

Après deux années de forte hausse des marchés financiers, il semble plus difficile de générer de la performance en 2014. Du côté des obligations, les obligations des Etats réputés sûrs ne rapportent plus rien et, dans le crédit, seules les obligations high yield offrent un rendement attractif. Funds s’interroge sur l’évolution de cette classe d’actifs (taille du marché, qualité des émetteurs…). Comment investir dans le high yield ? La prise de risque est-elle bien rémunérée ? Faut-il préférer le high yield européen ? Comment gérer la corrélation avec les actions au sein d’un portefeuille ?

Sensibilité du high yield à la remontée des taux

Funds : Il y a beaucoup d’inquiétudes liées à la remontée des taux. Dans ce contexte, qu’est-ce qui rend le high yield attractif ? Est-ce une classe d’actifs moins sensible à la remontée des taux que les autres segments obligataires ?

Frédéric Salomon, gérant, Schelcher Prince Gestion : Le crédit high yield n’est pas immunisé contre la hausse des taux, surtout si elle est importante. Une hausse modérée des taux américains et, par effet de corrélation, des taux en Europe de l’ordre de 50 points de base – ce que semblent annoncer les économistes et les analystes de différentes banques –, implique des risques pour le marché obligataire dans son ensemble. Dans le high yield, il faut être attentif au segment BB, car les spreads sont très serrés. Ils n’ont plus la capacité d’absorber des chocs de taux. Le segment B, qui est valorisé autour de 450/500 pb, peut mieux encaisser une hausse modérée des taux. Il ne devrait pas y avoir de valorisation négative sur ces titres-là cette année. Dans l’univers des CCC, la corrélation est beaucoup plus forte sur les marchés actions que sur les taux.

Benoît Soler : Historiquement, nous constatons que la corrélation entre le high yield et les taux n’est pas constante. Plus les spreads se resserrent, plus cette corrélation implicite a tendance à remonter. Sur le segment BB, le coussin me semble également limité.

Le principal risque associé à une remontée des taux serait un éventuel «fly to quality». Depuis quelques années, la classe d’actifs a attiré de nombreux investisseurs à la recherche de rendement. Le high yield a comme atout d’avoir une duration relativement courte, ce qui réduit l’impact taux. Mais il y a un risque de liquidité en cas de hausse forte des taux. Certains clients pourraient être tentés de revenir sur des actifs moins risqués si le rendement supplémentaire du high yield était moins attractif en absolu.

Sjors Haverkamp : Le high yield est moins sensible aux variations des taux d’intérêt que la plupart des autres produits à revenu fixe. La duration modifiée du high yield en Europe tourne actuellement autour de trois ans et aux Etats-Unis autour de quatre ans. Outre cette sensibilité aux variations des taux d’intérêt, la sensibilité réelle est d’autant plus faible du fait du comportement différent de la composante «spread» de ces instruments. Les obligations moins bien notées tendent à mieux performer dans un contexte de hausse des taux d’intérêt, car cela coïncide généralement avec l’embellie du contexte économique, qui conduit à une amélioration des fondamentaux du crédit débouchant sur un resserrement des spreads de crédit.

Brice Anger, directeur général, M&G France : Les perspectives de croissance mondiale sont plutôt positives. Dans ce contexte, le taux de défaut est un des critères qui permet d’anticiper ce qui peut se produire sur les rendements obligataires. Les spreads ont effectivement beaucoup baissé et, avec les taux de défaut actuels, nous pouvons penser qu’ils vont rester encore très bas. Le couple rendement/risque qu’offre le high yield est aujourd’hui l’un des meilleurs dans l’environnement obligataire, en privilégiant plutôt le segment noté B.

Frédéric Salomon : Les taux de défaut pour l’année à venir devraient rester très faibles. Le segment noté B est sans aucun doute le meilleur endroit où investir aujourd’hui. En revanche, je pense que le couple rendement/risque des dettes subordonnées financières est bien meilleur.

Un faible taux de défaut

Funds : Existe-t-il une corrélation entre reprise économique et taux de défaut ?

Sjors Haverkamp : Dans cette période de reprise économique, nous nous attendons à ce que l’amélioration des bénéfices des entreprises ait un impact positif sur les fondamentaux des crédits, et débouche donc sur une baisse du taux de défaut. Ce n’est que lorsque les entreprises commencent à recourir à davantage de levier à des fins de rachats, d’acquisitions ou d’offres de dividendes, que nous nous attendons à faire face à une hausse du taux de défaut.

Frédéric Salomon : Les perspectives économiques mondiales sont meilleures. Les économies ont moins besoin de politiques monétaires accommodantes. La santé des entreprises devrait être meilleure. Il n’y a donc aucune raison pour que les taux de défaut remontent. En Europe, nous sommes à peine en «recovery». La croissance devrait rester faible. Nous sommes dans une phase du cycle économique qui reste favorable aux créanciers. Les entreprises n’ont pas encore envie d’investir et travaillent toujours leurs passifs. C’est sans doute la raison pour laquelle il y a très peu d’émissions depuis le début de l’année. Je serais plus prudent sur le marché américain, où la classe d’actifs est déjà bien valorisée. Les investisseurs y sont plus en danger. Aux Etats-Unis, le cycle économique est plus favorable aux actionnaires qu’aux créanciers.

Eric Pictet, directeur du bureau de Paris, Muzinich & Co : Le risque n’est jamais là où on le pense et les marchés nous surprennent toujours. Qui aurait dit fin 2013 que les taux américains dix ans seraient plus bas de 30 pb mi-février ? Cela fait trois ans que nous avons des clients qui ont tendance à préférer les durations courtes alors que, finalement, la performance a été meilleure pour ceux qui étaient positionnés sur une duration plus longue. Si on regarde les trois principaux agents économiques, deux sont dans une situation souvent difficile, particulièrement dans les pays développés : les Etats dont l’endettement ne s’est guère amélioré et les consommateurs. Les entreprises, elles, se portent bien, mais si les deux premiers agents n’améliorent pas leur situation elles en subiront aussi les conséquences.

Pour le haut rendement et le crédit en général, les spreads, les taux de défaut et la courbe des taux dictent la performance. Ce dernier point était peu regardé dans le passé, car les taux étaient tendanciellement baissiers depuis trente ans et avaient un effet bénéfique sur la performance. Généralement, le cycle du crédit est d’une durée de cinq à sept ans, c’est-à-dire la durée qui sépare les points hauts et bas des spreads et des taux de défaut. Cette fois-ci, les entreprises ont renforcé leur structure financière après la crise et n’ont pas ou peu entamé le «releverage» de leur bilan depuis. Si la croissance repartait fortement aux Etats-Unis, les entreprises seraient poussées à utiliser le levier de la dette.

Mais nous n’y sommes pas encore vraiment. En Europe, la croissance repart mais plus mollement et avec des bilans de sociétés sains et des risques sur les pays périphériques bien amoindris. Les spreads sur l’Italie et sur l’Espagne sont revenus autour de 190 pb par rapport au bund. S’il y a un risque, c’est celui de déflation. Il est difficile de produire de l’inflation avec des prix des matières premières stables ou à la baisse, un taux de chômage élevé et une concurrence mondiale sur les salaires. Mais la BCE veille au grain et fera tout pour l’éviter. La volatilité devrait augmenter, mais les performances réelles en Europe et aux Etats-Unis devraient rester positives, proches du coupon avec peut-être une petite prime sur l’Europe.

Frédéric Salomon : Tant mieux s’il y a plus de volatilité car, sans volatilité, il n’y a plus de marché non plus.

Funds : Les investisseurs ont plutôt tendance à redouter les périodes de forte volatilité. En quoi est-ce une opportunité ?

Benoît Soler, responsable de la gestion crédit corporate, Ellipsis AM : Cela peut sembler effectivement difficile à comprendre pour un investisseur, mais un marché financier sans volatilité a tendance à mourir. Du côté des banques et des fournisseurs de produits, en l’absence de volatilité, il y a moins de légitimité à prendre des positions risquées. Par ailleurs, la vente en salle de marchés va être également très inactive : sans volatilité, les gérants ne procèdent plus à des arbitrages en portefeuille. Sans volatilité, il y a également moins de rendement. Et, dans un contexte de taux bas, il est plus compliqué de maintenir le même niveau de frais de gestion. C’est tout le marché qui subit cet effet et les portefeuilles, tels qu’ils sont constitués aujourd’hui, deviennent des fonds de portage. Cela peut engendrer un risque de liquidité qui, à mon sens, devrait être le premier sujet d’inquiétude du marché crédit en Europe.

Frédéric Salomon : Pour schématiser, moins il y a de volatilité, plus les primes de risque de crédit sont serrées, et moins il y a de capacité à générer de l’alpha. Quand tous les gérants font la même chose, il est difficile de se différencier.

Il est clair que nous allons avoir plus de volatilité en 2014. Nous devons nous y préparer en ayant recours à des couvertures dans le portefeuille pour couvrir le risque taux ou le risque d’écartement de spreads. Il faut donc se couvrir et garder du cash pour profiter des opportunités que devrait nous apporter le marché.

Benoît Soler : En tant que gérants, nous devons être tactiques. Nous ne sommes pas dans une phase durant laquelle il y aura des écartements importants de spreads. Il n’y a pas de risques exogènes, même si je rejoins ce qui a été dit précédemment : le risque ne vient jamais de là où on l’attend.

Eric Pictet : Sauf pour des raisons d’illiquidité ponctuelle !

Benoît Soler : J’insiste effectivement sur ce risque de liquidité. Le marché européen du high yield s’est profondément transformé, passant de 40 milliards d’euros en 2003 à 220 milliards aujourd’hui. La progression s’est faite sur des entreprises de taille moyenne qui émettent environ 200 millions d’euros de dettes. Elles ne présentent pas la même typologie de risques que par le passé lorsqu’il s’agissait de sociétés réalisant plusieurs milliards d’euros de chiffres d’affaires et émettant 1 milliard d’euros d’obligations. Le marché a attiré de nombreux nouveaux émetteurs, près de 30 % en 2013, souvent des sociétés mal suivies par les analystes et que nous avons beaucoup de mal à appréhender.

Brice Anger : En effet, il y a beaucoup de nouveaux émetteurs mais aussi une augmentation de la demande. La qualité du papier est moins bonne que par le passé. Cette situation requiert un travail plus important et plus exigeant de la part des analystes pour sécuriser les investissements. Pour obtenir de la performance et éviter les déconvenues, il faut donc fournir un gros travail de due diligence sur les émissions auxquelles nous voulons souscrire. Il y a deux ans, M&G participait à une émission sur deux sur le marché européen. Aujourd’hui, nous participons à une émission sur cinq. Par ailleurs, être tactique sur le marché du high yield engendre aussi un coût qui peut avoir une forte incidence sur la performance à la fin de l’année. Nous aurons plutôt tendance, dans une année comme 2014, à nous rapprocher d’un style de gestion «buy and hold» pour préserver le coupon et limiter les frais afin de dégager une rentabilité acceptable pour les investisseurs.

Frédéric Salomon : Je n’aime pas trop cette idée selon laquelle seul le portage génère la performance. C’est un signal dangereux envoyé aux investisseurs. S’il n’y a plus de resserrement de spreads à attendre, le marché finira par se retourner.

Eric Pictet : Le marché du haut rendement peut être volatil, mais les grosses secousses sont plutôt rares. En 2008, les spreads sont montés jusqu’à 1 800, mais l’écartement au-delà des 1 000 points n’avait rien à voir avec les fondamentaux des entreprises, mais avec les conséquences de la faillite de Lehman sur les marchés financiers en général. Les spreads ont commencé à remonter en mai 2007 (263 pb) et se sont ajustés progressivement à la dégradation économique et à l’état financier des entreprises. Nous ne sommes pas aujourd’hui dans cette configuration, puisque le cycle du crédit ne s’est pas encore fait. Dans cette configuration de marché où les spreads devraient demeurer dans une bande relativement étroite sauf tension ponctuelle, l’idée est de multiplier les offres pour répondre à différents besoins en termes de rendement/risque. Il y a cinq ans, l’offre se limitait souvent au high yield américain, global et européen. Aujourd’hui, il y a des fonds high yield à échéance, des fonds de loans, des crossover, des fonds investis dans les corporate de pays émergents, des long/short credit, des fonds crédit à performance absolue. Cependant, quelle(s) que soit la ou les solutions retenues, le crédit et le haut rendement en particulier sont parmi les seules classes obligataires susceptibles de produire un rendement réel.

Brice Anger : C’est bien la raison pour laquelle nous restons très investis dans le high yield, car il offre un des meilleurs rendements du marché obligataire.

Les dettes financières offrent un meilleur rendement

Funds : Dans le contexte actuel, êtes-vous toujours très investi en obligations corporate high yield ou bien préférez-vous les dettes financières ?

Frédéric Salomon : Dans le portefeuille que je gère, la partie investie en dettes corporate high yield est plutôt faible. Je me suis focalisé sur les dettes subordonnées financières. Avec les changements de réglementation, le secteur bancaire a subi une profonde mutation. Le risque systémique est quasi nul. Nous avons aujourd’hui un secteur de meilleure qualité en Europe et qui offre des rendements sur certains Tier 1 très intéressants. Pour les nouvelles émissions Tier 1, il convient de raisonner en coût du capital. Le secteur bancaire ressemblera demain au secteur des utilities, avec une rentabilité des capitaux très faible. Si les banques émettent des Cocos AT1 à 7, 8 ou 9 % pour augmenter leurs fonds propres, cela s’avère très coûteux. Lorsque la santé de ces banques s’améliorera, elles rappelleront ces Cocos. Les dettes subordonnées financières représentent 60 % de mon portefeuille contre 20 % seulement de crédit high yield.

Sjors Haverkamp : Dans un contexte de hausse des taux, il vaut mieux se concentrer sur les actifs à rendement élevé et sous-pondérer la duration. Les prêts bancaires européens n’ont pas de duration, ce qui est susceptible de répondre aux exigences et il en va de même pour le high yield, qui a une faible duration. Du point de vue des taux d’intérêt, il est légèrement préférable d’avoir des prêts bancaires européens que du high yield. Le revers de la médaille est la faible liquidité des prêts bancaires européens et l’absence de potentiel de hausse, les prêts pouvant être remboursés lorsque les spreads se resserrent. En revanche, le high yield bénéficie d’une liquidité quotidienne et d’une prime de remboursement anticipé. La tendance récente de refinancer des prêts sur le marché obligataire entraîne aussi un manque de diversité des prêts bancaires européens et un risque plus élevé de défaut.

Les prêts bancaires européens ont fait de moins bonnes performances que le high yield ces cinq dernières années et le taux de défaut est plus élevé pour les prêts bancaires européens que pour le high yield. Le benchmark du fonds ING (L) Renta Fund Euro High Yield s’entend hors subordonnées financières. Néanmoins, le fonds détient des valeurs financières seniors non sécurisées et a ainsi bénéficié de l’embellie économique des pays périphériques au cours de ces dernières années. Depuis une date très récente, le fonds détient certaines valeurs financières subordonnées hors indice, car nous constatons qu’elles ont une meilleure valorisation que les obligations d’entreprise hybrides et dynamiques à option de rémunération en obligation (PIK ou Payment-in-kind bonds).

Benoît Soler : Nous avons également des dettes financières en portefeuille mais, à ce stade du cycle, tant que nous n’aurons pas plus de visibilité sur l’évolution de la réglementation bancaire en 2014, il me semble compliqué d’être négatif sur les obligations corporate PIK (Payment-in-kind), qui sont du semi-equity, tout en étant très positif sur des titres subordonnés bancaires qui sont un risque action encapsulé dans un véhicule obligataire de nouvelle génération.

Frédéric Salomon : Toutes les banques ne sont pas identiques. Il faut bien choisir ses crédits et savoir où se situe le «trigger» (seuil de déclenchement – NdlR). Si le trigger est très loin du niveau actuel d’un ratio core Tier 1/Bâle 3, c’est plutôt pas mal. Nous voyons bien l’appétit des investisseurs pour ces titres.

Brice Anger : Le Credit Suisse a récemment émis une obligation à échéance 2049 à 7,5 %, ce qui est plus qu’intéressant. Ces dernières années, nous avons été très sous-pondérées sur les financières, ce qui nous a coûté en termes de performance. Nos gérants trouvent de nouveau de l’intérêt à revenir sur ces titres, à condition d’être investis dans des championnes nationales dans leur pays de référence ou dans des banques qui ne seront pas lâchées par l’Etat, comme c’est le cas pour Credit Suisse ou UBS pour qui le risque de défaut est très limité.

Frédéric Salomon : La revue de qualité des actifs (AQR) détenus dans les bilans des banques que va mener la BCE ou les prochains stress tests ne sont pas des motifs d’inquiétude, car ils ont été annoncés longtemps à l’avance. Les banques centrales ont été proactives et ont mis la pression sur les établissements bancaires. Au final, peu de banques devraient rencontrer des problèmes : quelques banques régionales notamment en Allemagne, ou des banques déjà en difficulté telles que Monte Paschi, HSHN… Concernant l’Espagne et l’Irlande, les régulateurs scrutent depuis trois ans le secteur bancaire. Il est peu probable qu’il y ait de mauvaises surprises. Nous allons plutôt voir à terme des reprises de provisions.

Eric Pictet : Nous ne sommes pas investis dans les financières, ce qui nous a coûté de la performance depuis quelques mois. Mais nous estimons qu’il est toujours difficile d’analyser une banque et que des éléments exogènes comme la réglementation sont susceptibles d’influencer largement ce marché. Il y a certainement des opportunités mais, chez Muzinich, notre valeur ajoutée principale est l’analyse crédit. Ce qui nous importe, c’est de s’assurer que le coupon soit payé, que l’entreprise puisse se refinancer et que nous obtenions le meilleur couple risque/rendement par rapport aux contraintes de gestion de chaque fonds.

Evolution du marché high yield

Funds : Il y a eu, en 2013, 30 % de nouveaux émetteurs sur le marché du high yield européen. Qui sont-ils ? Comment sont-ils notés ?

Frédéric Salomon : Certains nouveaux émetteurs viennent d’Italie, des grosses PME avec des profils assez intéressants, ou d’Espagne, deux pays où l’accès au financement bancaire est plus restreint.

Benoît Soler : La part des émetteurs issus des pays périphériques est nettement plus importante qu’il y a cinq ans. Par ailleurs, il y a eu aussi beaucoup de «fallen angels» (sociétés dont les notations ont été dégradées – NdlR) en 2012 et 2013.

Eric Pictet : C’est la raison pour laquelle 70 % du marché high yield européen est noté BB. Les corporate ont naturellement suivi la dégradation de la note de leur pays.

Benoît Soler : Les nouveaux entrants sur le marché européen sont, quant à eux, plutôt notés B.

Sjors Haverkamp : Le marché européen du high yield a connu une hausse significative des émissions en 2013. Au total, 216 obligations ont été émises pour un montant de 76 milliards d’euros. Une partie importante des titres a été émise par de nouveaux émetteurs principalement issus du marché des prêts. Les nouveaux titres émis se sont répartis sur l’ensemble des secteurs et pays, mais avec une notable augmentation des pays périphériques et des entreprises investment grade émettant des obligations high yield.

Funds : Dans vos portefeuilles, les titres sélectionnés couvrent-ils tout le spectre des notations (BB à CCC) ? Investissez-vous dans des obligations non notées ?

Eric Pictet : La notation est un élément parmi d’autres, notamment pour les sociétés de gestion qui ont des équipes d’analystes importantes. Notre métier est d’être en avance sur les agences de notation pour anticiper l’impact d’un changement de note, impact qui s’avère être moins important d’ailleurs que par le passé.

Brice Anger : La notation par les agences n’est en effet pas déterminante. Notre équipe d’analystes crédit note tous les émetteurs en interne.

Benoît Soler : Chez Ellipsis AM, nous avons choisi d’être présents sur tout le spectre. Nous pouvons être investis dans du high yield classique, des «perpetual corporate» ou des perpetual financières. Nous limitons le segment CCC à environ 10 % maximum, car il présente un risque action important. Le potentiel de croissance en Europe n’est pas suffisamment important pour investir dans ce segment.

Frédéric Salomon : Structurellement, nous avons toujours été faiblement exposés au segment CCC. Nous n’aimons pas les notations CCC seniors, car le risque de défaut est trop important. Un émetteur noté CCC peut rencontrer des difficultés pour se refinancer.

Sjors Haverkamp : Dans notre fonds high yield Europe, nous avons sélectionné des obligations couvrant l’éventail complet de notation, de CCC à BB. Nous pourrions même envisager des titres investment grade si nous constations qu’ils offrent une bonne valorisation. Nous investissons aussi dans des titres non cotés ou des obligations à taux variable, pour lesquels nous évaluons la qualité du crédit en appliquant une notation interne à ING IM. Plus généralement, nous ne nous fions pas aux notations des agences de notation pour fonder notre opinion sur le crédit et évaluer la valeur correspondante.

Funds : Qu’est-ce qui explique le faible volume d’émissions depuis le début de l’année ?

Sjors Haverkamp : Durant les deux premières semaines de l’année, le volume des nouvelles émissions est toujours faible. Cela n’est donc pas surprenant. Depuis lors, le volume des nouvelles émissions corporate a été plutôt bas, mais nous avons remarqué nombre de nouvelles émissions du côté du secteur financier. Pour le reste de l’année 2014, nous nous attendons à ce que le volume des nouvelles émissions soit identique ou supérieur à celui de l’année 2013 : nous nous attendons à ce que les entreprises continuent de se concentrer sur leur refinancement, et à ce que les banques se concentrent sur leur rôle de structuration du marché plutôt que fournisseurs de prêts.

Brice Anger : Si nous regardons les échéances, nous constatons également qu’il y a également très peu de refinancement en 2014.

Benoît Soler : S’il n’y a pas de besoin de refinancement à attendre, le risque de défaut va rester faible. Ce risque est élevé quand il y a beaucoup de refinancement et que le marché est gelé. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, puisqu’il y a beaucoup de souscriptions.

Risque de bulle

Funds : Peu d’émissions et beaucoup de flux de souscriptions. Faut-il craindre une bulle ?

Benoît Soler : Depuis le début de l’année, les flux sur la classe d’actifs restent importants. C’est ce qu’indique JP Morgan qui tente notamment de comptabiliser les flux sur les fonds ouverts. Par ailleurs, les ETF ont également pris une part importante du marché.

Eric Pictet : Les flux surtout vendeurs ont un impact important sur le «bid/ask» et donc sur les performances. Août/septembre 2011 est un bon exemple, puisqu’il y a eu une forte secousse et le marché européen a perdu plus de 10 % en quelques semaines. Les ETF étaient moins gros mais ont déjà joué comme un accélérateur du mouvement.

Benoît Soler : En Europe, les ETF sont les plus grands contributeurs aux flux de souscriptions. S’ils décident de vendre, l’impact sur le marché sera considérable.

Eric Pictet : Dans les fonds ouverts, les gestionnaires se doivent d’assurer une liquidité quotidienne ou hebdomadaire et donc d’investir dans de larges émissions. Les ETF sont par nature investis dans les crédits les plus liquides. Le paradoxe est donc que, dans le premier temps d’un fort mouvement de marché, ce sont les crédits les plus liquides qui sont les plus volatils avant que l’ensemble du marché ne s’ajuste.

Brice Anger : Chez M&G, nous travaillons beaucoup sur les CDS d’indices, ce qui nous donne de la liquidité pour intervenir de façon tactique sur les marchés et éviter certains risques. Nous sommes assez actifs sur des maturités longues en recourant à des futures pour couvrir la duration.

Benoît Soler : Chez Ellipsis AM, nous avons assez peu de maturités longues et nous sommes plutôt sur des maturités intermédiaires.

Brice Anger : Les gérants de M&G achètent également des titres d’émetteurs européens en dollar ou en livre sterling et couvrent la devise. Nous avons 23 % de notre fonds européen investi dans des émetteurs anglais.

Frédéric Salomon : Pour couvrir le risque de taux, nous avons vendu des futures OAT. Cela permet de se couvrir non seulement sur le risque de taux, mais aussi contre le risque d’écartement des spreads entre la France et l’Allemagne.

Funds : En dehors des flux liés aux ETF, qui investit dans le high yield : les institutionnels, la clientèle privée… ?

Eric Pictet : Les institutionnels sont les principaux investisseurs ainsi que les banques privées et les family offices.

Sjors Haverkamp : Au fur et à mesure des années, nous avons observé un changement d’attitude des investisseurs institutionnels avec une transition des titres investment grade vers les crédits moins bien notés. Les compagnies d’assurances comme les fonds de pension sont confrontés au faible rendement des obligations et à une hausse des risques liés à la duration. Ils doivent donc chercher des solutions alternatives à la baisse des rendements obligataires. Nous avons observé que les compagnies d’assurances et les fonds de pension augmentent leurs expositions au high yield et notamment aux obligations notées BB. Les clients particuliers et les banques privées cherchent aussi activement des rendements et sont désireux d’investir dans cette classe d’actifs.

Brice Anger : M&G ne vend pas de fonds high yield aux conseillers financiers britanniques ou aux CGP. Nous leur proposons plutôt des fonds flexibles obligataires qui ont une exposition à la classe d’actifs.

Benoît Soler : La classe d’actifs est relativement technique. Or, beaucoup pensent que, parce que les rendements diminuent, le marché est plus accessible. Mais ce n’est pas le cas.

Eric Pictet : Les particuliers peuvent investir dans la classe d’actifs, mais de façon indirecte via des banques privées ou des family offices. Du côté des investisseurs institutionnels et des assureurs, investir dans cette classe d’actifs est aujourd’hui beaucoup plus naturel qu’il y a quelques années, lorsque leur connaissance de ce marché était plus faible et que d’autres classes obligataires produisaient du rendement. Cette réallocation structurelle d’actifs vers le crédit et le haut rendement n’est sans doute pas terminée, ce qui devrait être un soutien pour le marché.

Benoît Soler : Certains investisseurs institutionnels européens ont déjà des expositions importantes à la classe d’actifs. Je ne suis pas certain de leur capacité à doubler leurs allocations en high yield.

Brice Anger : Il y a également un problème de liquidité dans les fonds : ils ne peuvent pas non plus monter jusqu’au ciel !

Eric Pictet : Nous savons que plus un fonds est gros, plus il a du mal en général à délivrer de la performance. Brice Anger : Chez M&G, nous essayons de globaliser les portefeuilles pour avoir de la liquidité et des capacités d’investissement. Nous avons développé notre recherche aux Etats-Unis pour globaliser des fonds historiquement très européens et avoir plus de choix.

Eric Pictet : Les pays émergents ont également un marché du high yield en croissance, de taille comparable à celui du marché européen. Ce marché est hétérogène, doit être divisé entre émissions en monnaies locales et en monnaies «dures», mais offre des opportunités.

Benoît Soler : Les grands fonds high yield américains peuvent gérer jusqu’à 15 milliards de dollars alors que, en Europe, la taille des fonds ne dépasse pas 3 milliards, ce qui est déjà beaucoup. A ce stade de développement du marché, la taille idéale pour un fonds high yield avec une gestion benchmarkée serait plutôt de l’ordre de 500 millions. Quand on s’intéresse à un nouvel émetteur sur le marché, plus la taille du fonds est importante, plus vous avez la capacité à négocier une bonne allocation avec le syndicat de la banque. Sinon, il faut acheter les titres sur le marché secondaire, souvent à un prix plus élevé.

Corrélation entre le high yield et les actions

Funds : Quelle est la corrélation entre le high yield et les actions ? Comment gérez-vous cette corrélation dans un portefeuille ?

Brice Anger : Notre fonds M&G Optimal Income offre la possibilité d’investir en actions. Le choix se fait en comparant le rendement réel attendu de l’obligation et le rendement de l’action. Lorsque l’action délivre un meilleur rendement, le gérant regarde le sous-jacent et s’il offre de bons fondamentaux, il privilégie l’action à l’obligation. Les actions représentent aujourd’hui 10 % du fonds M&G Optimal Income et la part du high yield est de 30 %. Depuis un an, cette part a été réduite au profit des actions.

Frédéric Salomon : Avec les niveaux serrés de spreads que nous avons, la corrélation aux taux est plus importante que la corrélation aux actions.

Benoît Soler : Effectivement, la corrélation aux actions est plutôt faible. L’Euro Stoxx 50 a perdu 3 % en janvier, alors que l’indice high yield gagne 0,5 %. Historiquement, cela n’a jamais été aussi faible, ce qui illustre bien tout ce que nous avons déjà évoqué : des bilans sains, un risque de défaut quasi nul des flux de souscription dans les fonds high yield toujours bien orientés.

Sjors Haverkamp : La corrélation entre le high yield et les actions est plus importante que la corrélation entre le high yield et la dette souveraine. Les investisseurs doivent s’en rappeler lorsqu’ils investissent dans des classes d’actifs à risque comme le high yield ou les actions. Le high yield présente l’avantage d’offrir un rendement plus attractif que la dette souveraine, avec un risque de baisse limité, tandis que les actions présentent de fortes hausses mais aussi des risques plus élevés de baisse. En fonction de leur appétit pour le risque et de l’acceptation des pertes dues aux baisses, les investisseurs doivent investir dans la classe d’actifs adaptée à leurs objectifs.

Funds : Comment choisir son fonds high yield ?

Frédéric Salomon : D’un point de vue géographique, l’Europe semble aujourd’hui mieux placée que les Etats-Unis ou les marchés émergents. Compte tenu du resserrement des spreads et d’un risque de volatilité plus élevé, mieux vaut privilégier des fonds qui ont la capacité d’être flexibles dans leur gestion : qui ne soient pas uniquement focalisés sur le corporate high yield et qui aient la possibilité de garder une proportion de liquidité importante. Cette liquidité permettra d’être réactif et de profiter de valorisations plus importantes.

Eric Pictet : Nous offrons différents couples de rendement/risque. Nous proposons trois fonds de duration courte, des produits sur différentes zones géographiques avec des durations neutres, ainsi qu’une gamme absolute return obligataire. Chaque investisseur choisit son niveau de risque, certains mixant deux ou trois fonds de la gamme.

Brice Anger : Les clients vont privilégier une gestion flexible qui va optimiser la classe d’actifs. Nous mettons en avant cette flexibilité, ainsi que la liquidité de nos fonds et une recherche importante qui permet d’être très sélectif et de se préserver des mauvaises surprises.

Benoît Soler : Entre 2004 et 2007, tous les fonds euro high yield avaient pratiquement en portefeuille les mêmes lignes, car le marché était très étroit. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. L’offre s’est considérablement enrichie, avec des produits de courte ou de longue duration, des fonds flexibles et des fonds internationaux, etc. Chez Ellipsis AM, nous avons pris un pari différenciant, celui de lancer un fonds de conviction concentré sur 45 à 55 lignes. Nous avons étoffé notre recherche et nos équipes sont proches des analystes, notamment actions, du groupe Exane.

Sjors Haverkamp : Le high yield européen est une proposition séduisante en raison de son rendement attractif par rapport aux autres solutions et de la faible duration de cette classe d’actifs. De plus, la sélection des titres en Europe est plus susceptible d’apporter une valeur ajoutée que sur le marché du high yield américain. La qualité globale des crédits sur le marché du high yield européen, qui est en majorité composé de titres notés BB, est bien meilleure que celle du marché high yield américain, où la plupart des titres sont notés B. La poursuite de la reprise américaine et l’annonce consécutive par la Fed de la réduction du soutien accordé au marché font pression sur les taux américains, tandis que l’absence de croissance en Europe a conduit la BCE à prendre position en faveur d’un soutien aux marchés, ce qui diminue la pression sur les taux en Europe.

Nous recommanderions de choisir un fonds high yield offrant une exposition pure au risque de crédit des entreprises (pas de dettes des marchés émergents ou de dettes souveraines), avec un profil de bêta proche du benchmark (sans prendre de paris directionnels marqués). Le choix le plus opportun pour un investisseur serait d’opter pour un gérant actif centré sur la recherche fondamentale de crédit, ayant la capacité de sélectionner les «winners» tout en évitant les pertes de crédit.

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